CQFD N°049, 15 octobre 2007. Le bouledogue rouge.
Un jour Yann Arthus-Bertrand eut une illumination : et si je montais à bord d’un hélico pour shooter la terre vue du ciel ? Oh le joli champ de tournesols, la petite île en forme de coeur, l’iceberg qu’on dirait un glaçon qui flotte dans un verre de Javel, les déserts d’Afrique irisés comme une bonbonnière. Et pas un seul terrien pour polluer le paysage ! L’idée de Bertrand était d’autant plus géniale que c’était la seule qu’il ait jamais eue de sa vie. Un peu comme Jean-Alphonse Michu avec l’épluche-patates, Patrick Hernandez avec « Born to be alive » ou Bernard Henri-Lévy avec sa chemise blanche ouverte sur deux boutons, l’inventeur de La terre vue du ciel n’a pas eu à se creuser les méninges une seconde fois. La première était la bonne : trois millions d’albums en vingt-quatre langues déversés au pied du sapin de Noël et sur la table de nuit de la belle-mère, entre le Goncourt et le dentier, assortis d’un brevet d’écologiste criant son « chant d’amour à la terre ». Un chant qui se décline en dérivés innombrables, dont ce champion du recyclage veille à extraire tout le jus commercial sans en perdre une goutte : Côtes atlantiques vues du ciel (1994), La Bourgogne vue du ciel (1996), Paris vu du ciel (1999), Les Yvelines vues du ciel (2002), Mon cul sur la commode vu du ciel... « C’est quelque chose de fort, l’amour », expliquait-il récemment chez Laurent Ruquier (France 2, 06/10/07).
Avant de plastifier le globe en cartes postales, Yann Arthus-Bertrand militait déjà en faveur de la biodiversité. Dix années durant, il a couvert le rallye du Paris-Dakar pour Paris-Match, afin que le monde légué à ses petits-enfants conserve la mémoire des pionniers du développement durable qui fertilisaient le Sahel en éventrant les dunes, en vidangeant leurs 4x4 et en transformant des gamins en compost organique. Photographe officiel de Ferrari, de Disneyland, du tournoi (équitable) de Roland-Garros et du Salon (propre) de l’agriculture, « YAB » a aussi offert ses services au groupe Total, protecteur des plages bretonnes et des décroissants birmans. Dans une des plaquettes illustrées par ses soins, intitulée Créateurs d’énergie, l’exigence de la performance (2004), on peut lire que Total « place en tête de ses priorités le respect des hommes et de l’environnement ». Une priorité affirmée aussi par Nicolas Sarkozy et Jean-Louis Borloo, auxquels l’artiste parrainé par l’Unesco a servi de guide dans leurs trekkings respectifs en Guyane et au Groenland. Non pour faire de la politique, précise-t-il, mais pour « témoigner de la beauté du monde ». Bien sûr, les bonnes causes ont un prix : trois mille heures de vol en 2006 pour mitrailler une centaine de pays à bonne distance. Ca en fait, des tonnes de CO2 balancées dans les gencives de l’atmosphère. Mais le héraut de Grenelle a tout prévu. Il y a un an, faisant la promo d’une émission spéciale que lui dédiait France 2 (évidemment baptisée « Vu du ciel »), Bertrand a pavoisé : « C’est la première émission au monde qui est compensée carbone [sic]. C’est-à -dire qu’on a calculé tout ce carbone dépensé par les billets d’avion [re-sic] et par les hélicoptères pour ne pas réchauffer la planète et on a fourni des fours au Cambodge pour essayer de réduire l’impact des déforestations » (JT, France 2, 31/10/06). Des fours au Cambodge pour compenser les montagnes de kérosène, de chlore, de bois et d’emballages qui abreuvent sa marchandise ? Comme dit un vieux proverbe provençal : Fais du bien à Bertrand, il te le rend en caguant.
– Source : CQFD www.cequilfautdetruire.org
Jean Ziegler : « Protéger ceux qui fuient la faim », par Alberto d’Argenzio.