L’ humanité, 14 août 2007.
(...) Une ouvrière de Cellatex, une usine de la vallée de la Meuse, dans les Ardennes, ayant participé à une table ronde télévisée, en compagnie de cadres, de hauts fonctionnaires et de journalistes, a confié son désarroi à François Bon, qui l’a citée dans son récit Daewoo. « Moi, ce qui m’énerve, déclarait-elle, ce sont nos tronches. La différence, qu’on en porte autant sur soi-même, de ce qu’on est et de ce qu’on fait. On peut faire des efforts, courir les soldes, les démarques. Tu en reviendras au même : une manière des épaules, de tenir les mains ou le sac quand tu marches. »
Mais que le corps soit redressé et discipliné, comme dans les familles de la haute société, qu’il soit décontracté, comme dans les classes moyennes intellectuelles, ou qu’il exprime des conditions de vie et de travail difficiles en milieu populaire, chacun vivra cette présentation de soi et cette gestion du corps comme exprimant une réalisation de son essence. Les inculcations les plus arbitraires et les plus contraignantes finissent, lorsqu’elles sont efficacement menées, par être ressenties comme une exigence de la personne elle-même, dans son authenticité unique, qui peut devenir charme et pouvoir charismatique.
Les inégalités face aux soins du corps
Le corps porte les stigmates, positifs ou négatifs, de ses origines et de ses conditions de vie. Les mains ouvrières montrent les traces de leur travail. Celles des princesses manifestent aussi le travail, mais celui de la manucure. Les visages révèlent les conditions difficiles ou confortables de l’existence : les traits tirés et les rides précoces, pour les uns, les peaux toujours légèrement hâlées et lisses pour les autres.
Les caricaturistes dessinaient, autrefois, des capitalistes rondouillards, rebondis comme les sacs de dollars de l’oncle Picsou. Cette tradition se perd : croquer le riche d’aujourd’hui sous les traits d’un gros bedonnant serait un contresens. (...)
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