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Mexique : L’Alena met la tortilla à plat, Babette Stern.









Libération, mardi 13 mars 2007.

Aljojuca envoyée spéciale.


A l’occasion aujourd’hui de la visite de Bush, l’accord de libre commerce avec les Etats-Unis, qui pénalise les paysans mexicains, devrait être évoqué.


Rendez-vous avait été pris avec Adalberto Bravo à la sortie de Puebla, capitale de l’Etat du même nom, à quelque 250 kilomètres à l’est de Mexico. Adalberto est le gérant de l’Entreprise intégrée de services agricoles, une coopérative qui regroupe 220 organisations paysannes, soit environ 200 000 petits producteurs. Un grand gaillard qui se consacre au développement du réseau Nuestro Maà­z, défenseur acharné de la tortilla artisanale faite à partir de nixtamal, une pâte élaborée de manière traditionnelle (maïs, eau, chaux), sans additif chimique et à teneur nutritive élevée.

A 150 kilomètres de là , à Aljojuca, dans un village de 5 000 habitants (dont 1 500 ont déjà émigré vers les Etats-Unis), les paysans luttent pour survivre. Pedro Catarino, 44 ans, 4 enfants, est l’un des 20 associés de l’organisation locale. Il possède 25 hectares de maïs, mais en travaille une soixantaine d’autres qui ne lui appartiennent pas. « Il y a treize ans, semer, moissonner, récolter, c’était encore rentable », dit-il. Ca ne l’est plus aujourd’hui. Entre-temps, il y a eu l’Alena (accord de libre échange nord-américain). Ce fameux traité de libre commerce avec les Etats-Unis, signé en janvier 1994, qui devrait être évoqué aujourd’hui à l’occasion de la visite de George Bush au Mexique.


Entraide.

Don Pedro parvient à améliorer l’ordinaire avec quelques brebis et des poules. Mais même si l’an dernier a été faste, puisque le prix du maïs est monté à 3,50 pesos le kilo (0,24 euro), « les "coyotes" [les Américains, ndlr] ne nous l’ont acheté qu’à 2,40 [0,16 euro]. Et on a bien été forcés de vendre notre production puisque nous n’avons pas de quoi stocker », explique-t-il. Alors, bien sûr, on s’entraide, surtout pour l’achat des semences. En commandant une plus grande quantité, les paysans peuvent négocier le prix. « On arrivera à 20 tonnes à 6 000 pesos [409 euros] la tonne », dit Nicolás Mendoza Carmona, qui ne fait pas partie de la coopérative. Pour un hectare, il faut compter 25 kg de semences. L’investissement est lourd pour chaque récolte : semences, fumigation, fertilisants, herbicides, essence... L’essence, justement.

« Avant l’Alena, les prix étaient garantis. Quand l’essence augmentait, le prix du maïs aussi. Et puis est venu le libre commerce » , se souvient Leobardo de Marcos Mendoza, membre du réseau Nuestro Maà­z. « En 1994, les Américains ont d’un seul coup de baguette mis 25 % de la population mexicaine sous leur coupe, dit Adalberto. Il faut se battre pour retrouver notre souveraineté alimentaire. » Jusqu’au milieu des années 70, en effet, le Mexique était autosuffisant en maïs. Après la signature de l’Alena, « les importations ont été multipliées par 15 », affirme Abel Pérez Zamorano, professeur d’économie de l’université de Chapingo, près de Mexico. Aujourd’hui, le Mexique produit 19 millions de tonnes de maïs par an et en importe entre 6 et 7 millions pour l’alimentation. La demande de maïs ne cesse d’augmenter quand l’offre baisse.

Mais « importer plus de maïs ou anticiper la date de l’ouverture totale du marché du maïs et des frijoles [« haricots »] [qui doit intervenir en janvier 2008, comme l’a suggéré le gouvernement] aggravera les problèmes du campo [« paysan »] et n’aura aucun effet sur le prix de la tortilla », estime Leobardo. Il faudrait s’organiser au niveau national pour combattre les grandes entreprises comme Maseca ou Cargill qui importent le maïs des Etats-Unis et imposent leurs prix sur les marchés. » Beaucoup de familles mangent d’ailleurs des tortillas faites avec de la farine et vendues par ces grandes compagnies. Elle est souvent de mauvaise qualité et nourrit moins.

« Les subventions aux producteurs américains pèsent lourd, mais nous avons aussi des problèmes structurels, une production peu compétitive avec des rendements de 2 tonnes par hectare contre 9 ou 10 aux Etats-Unis », explique le Dr José Cacho Ribeiro, président de la Chambre nationale du maïs industrialisé.


Devises.

Dans la région de Puebla, les paysans gagnent 3 000 pesos (204 euros) par mois. Au cours du mandat du président Vicente Fox (2000-2006), la pauvreté a poussé 3,4 millions de Mexicains à émigrer aux Etats-Unis. Cet exode contribue à rapporter des devises au pays. En 2006, les remesas (argent envoyé par les émigrés) sont devenues, avec un montant de 24 milliards de dollars, la deuxième source de devises.
« Sans les 2 000 pesos [136 euros] que mes fils nous envoient chaque mois, on ne pourrait pas vivre. L’Alena nous a été fatale », dit Nicolás. Alors des groupements comme Nuestro Maà­z continuent de se battre pour défendre le maïs mexicain et la tortilla de qualité, créer des emplois. Mais, à Aljojuca, chaque jour, les enfants du pays quittent la terre.

Babette Stern


 Source : Libération www.liberation.fr




- Sur RISAL : Le pacte de la tortilla par Carlos Fazio


Dr. Miguel Angel Altieri : "Les biocombustibles sont un mode d’impérialisme biologique", par Roberto Aguirre.

Agrocombustible - Le maïs dans le moteur d’accord, mais à notre façon : campesinos contre Bush, par Joao Pedro Stedile.


Mexique : une aussi longue ingérence US, par Comaguer.







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