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Mexique : Situation dans l’Etat d’Oaxaca, par Gérard Jugant.





La "Commune d’Oaxaca"



Introduction concernant la situation dans l’Etat
mexicain d’Oaxaca.


Septembre 2006.


L’Etat d’Oaxaca et la capitale du même nom qui est une
de principales villes touristiques du Mexique, sont
situés à 550 km au sud de Mexico. D’une superficie de
93 952 km2 (au 5e rang des 31 Etats qui composent le
Mexique et trois fois la taille de la Belgique) pour
une population de 3,5 millions d’habitants (10e rang
national), l’Etat d’ Oaxaca est l’un des plus pauvres
du pays (avec le Chiapas et le Guerrero), et celui qui
compte la plus forte proportion d’indiens soit 20% de
sa population (ce chiffre correspond précisément à 
celui de la population de l’Etat qui ne parle pas
l’espagnol).

Beaucoup d’habitants de l’Etat descendent des
Mixtèques et des Zapotèques, mais il existe 15 autres
groupes indigènes qui maintiennent vivantes leurs
traditions et leurs modes de vie. C’est à Oaxaca
qu’est né en 1806 le premier indigène président du
Mexique, Benito Juarez, qui était un authentique
indien zapotèque parvenu à faire des études de droit
tout en exerçant le métier de cordonnier.

La vallée d’Oaxaca a été de tous temps une terre de
résistance. Elle l’était déjà aux premiers temps de la
Conquête espagnole, les Indien opposant aux colons une
résistance acharnée. Dans la période actuelle,
l’Oaxaca indien résiste au plan Puebla-Panama (PPP)
annoncé en 2001 par le président mexicain Vicente Fox,
en application de l’ "accord de libre-échange
nord-américain" (Alena).

Pour mettre en place cette
politique, la militarisation des terres indigènes
d’Etats comme le Chiapas, le Guerrero et l’Oaxaca est
la seule réponse apportée aux résistances des
populations. Ce plan, qui affecte également les pays
centraméricains, accentue un phénomène migratoire aux
conséquences dramatiques [1]. Le plan Puebla-Panama
prévoit aussi l’exploitation des ressources
considérables en minerai de fer ("200 millions de
tonnes de bonne qualité", selon la firme Grupo Acero
del Norte) que recèle le sous-sol de la région, ce qui
nécessite l’expropriation de milliers d’indigènes et
la "vente" de leurs terres aux transnationales. Pour
cela les puissances économico-politiques ont recours à 
deux pratiques : les massacres de populations par des
hommes de main, qu’on appelle pistoleros, et
l’exploitation ou le montage de conflits
intercommunautaires, attisés par des caciques soudoyés
et les massacres par des pistoleros et autres
paramilitaires.

Un autre volet du modèle de développement du PPP, ce
qui n’est pas une nouveauté pour les indigènes, est le
tourisme. Pour édifier des paradis à touristes, sept
communautés de paysans et de pêcheurs zapotèques ont
été, depuis 1984, expulsées de 21 000 hectares, contre
des indemnités dérisoires. Ceux qui se sont opposés à 
ces expulsions ont souvent été assassinés.

Depuis plusieurs années, sur la place centrale de la
ville d’Oaxaca, les protestations sont quotidiennes :
pour se faire entendre les communautés campent devant
le palais du gouverneur, et ce malgré la répression.
Mais unir les communautés pour la reconnaissance des
peuples indigènes et la défense de leurs droits a
toujours été difficile. Difficile également de se
débarrasser des potentats locaux, les caciques, qui en
combinant corruption, usure et force, contrôlent les
indigènes avec la complicité des autorités. Difficile
encore d’unir métis et indigènes, alors que souvent,
dans les villages, quelques familles métisses sont
propriétaires de l’essentiel du commerce et tiennent
les indigènes par l’usure (prêts à 30%... par mois !).

Mais depuis quelques mois, on assiste à une nouvelle
donne dans les luttes sociales. Cela a commencé le 22
mai dernier par la traditionnelle lutte des
enseignants pour la satisfaction de leurs
revendications. A priori, il n’y avait rien de bien
nouveau. Sauf que cette fois le gouvernement de l’Etat
d’Oaxaca a voulu en finir au plus vite avec le
mouvement par une répression brutale le 14 juin 2006,
qui a eu pour effet de le radicaliser. Les enseignants
ont alors exigé la démission du gouverneur, le
sénateur Ulises Ruiz Ortiz, membre du Parti
Révolutionnaire Institutionnel (PRI), le parti qui a
été au pouvoir 71 ans au Mexique, et qui était
jusqu’ici particulièrement implanté dans les Etats du
sud. Une grande partie de la société s’est jointe à 
la lutte des enseignants. Révoltés tant par la fraude
électorale par laquelle Ruiz était devenu gouverneur
que par la violence gouvernementale contre une
multitude d’organisations communautaires et
régionales, des centaines de milliers d’habitants de
l’Etat d’Oaxaca ont occupé la rue et une trentaine de
mairies. Plus de 380 organisations (communautés
indigènes, syndicats et associations civiles), ont
formé l’Assemblée Populaire du Peuple d’Oaxaca (APPO).
Chaque organisation a un représentant à l’APPO.

Les protestations ont pris de l’ampleur avec les
élections fédérales du 2 juillet. Les insoumis ont
décidé de sanctionner les deux partis successifs de
gouvernement, le PRI et le PAN (Parti d’Action
Nationale, conservateur). Le PRI, qui détenait la
quasi-totalité des mandats parlementaires fédéraux, a
été balayé. La coalition de "centre-gauche", "Pour le
Bien de Tous" a obtenu 9 des 11 sièges de députés à 
pourvoir et les 2 sièges de sénateurs. En outre,
l’Etat d’Oaxaca a placé largement en tête Manuel Lopez
Obrador le candidat Coalition-PRD à l’élection
présidentielle.

L’APPO a entamé le 11 juin, avec succès, une campagne
de désobéissance civile et pacifique qui tend à 
démontrer la mauvais gouvernance et l’absence de
légitimité de l’Etat. Le mouvement assume le contrôle
politique de la ville d’Oaxaca, et procède
ponctuellement à des actions de blocages ciblées
(hôtels de luxe, établissements appartenant à des
multinationales, aéroport, grandes artères, édifices
publics, palais gouvernemental, etc.). Le gouvernement
officiel est tellement affaibli qu’il a été contraint
d’annuler la traditionnelle fête de la "Guelaguetza",
d’origine indigène zapotèque, mais enseignants et
citoyens ont réalisé une fête alternative populaire,
qui a été un immense succès.

A mesure que le temps passe, la situation s’aggrave.
Le 22 juillet, un groupe d’une vingtaine d’ inconnus a
fait usage d’armes à feu de gros calibre contre les
installations de Radio Universidad, une radio qui
s’est transformée en un important outil d’information
et de mobilisation sociale. Dans les jours qui ont
suivi, des dirigeants syndicaux ont été menacés ou
molestés.

Pour autant, la désobéissance civile, loin de se
tarir, n’a fait que s’amplifier et se radicaliser jour
après jour. Le mouvement a cessé d’être une lutte
traditionnelle de protestations pour devenir un
embryon de pouvoir alternatif au travers d’assemblées
populaires, alors que les institutions
gouvernementales n’ont cessé de se déliter pour
apparaître comme des coquilles vides.

Néanmoins, la répression est plus que jamais à 
craindre. Ainsi le 21 août, des policiers et des
paramilitaires ont attaqué des stations de radio
communautaires et une chaîne de télévision, faisant
des blessés et des disparus. Le photographe du
quotidien Noticias, Mario Jimenez Leyba, a été
grièvement blessé. L’état de siège a été décrété.

Pour le quotidien Noticias, le plus important de la
région, des paramilitaires sont arrivés, qui
travaillent de pair avec les policiers déguisés en
civil. Ce qui fait craindre au journal, dans son
éditorial du 16 août, un retour à la "guerre sale", en
référence aux opérations violentes extrajudiciaires et
clandestines (enlèvements, tortures,
assassinats-disparitions) commises dans toute
l’Amérique latine dans les années 70 et 80 du siècle
dernier. Si l’on veut empêcher cela, qui n’arrive pas
"qu’aux autres", et donner à chacun sa chance de
pouvoir choisir vraiment ses formes d’organisation et
de vie sociale, il incombe à chacun d’entre nous,
individus et organisations, d’apporter, d’une manière
ou d’une autre, notre soutien à la population
d’Oaxaca, dont la déclaration ci-dessous est une des
expressions.

Bien entendu ce mouvement, avec ses spécificités, ne
peut être dissocié de la situation politique globale
du Mexique et de la tendance générale de montée des
luttes sociales en cours dans l’ensemble du continent
latino-américain, sans oublier qu’en Amérique du Nord,
les latinos importés de l’ "arrière-cour" constituent
un prolétariat surexploité qui a su, contre toute
attente, se faire entendre massivement tout
récemment.

Gérard Jugant



Déclaration du peuple d’Oaxaca


La population d’Oaxaca vit des temps difficiles.
Néanmoins, ces difficultés ne sont pas nouvelles. En
effet depuis plusieurs années nous assistons avec
inquiétude et tristesse à l’accentuation de la
violence politique, de la violation permanente des
droits humains et de la vague féminicide dans notre
Etat. Devant les problèmes innombrables et les
demandes de justice de la population, la situation
s’aggrave par le silence, l’indifférence et l’action
impunie du gouvernement, lequel est devenu le
responsable direct de l’ingouvernablité dans l’Etat.

Les habitants d’Oaxaca ont pris conscience et ce sont
des milliers de voix qui ne cessent de clamer leur
indignation lors de manifestations de masse. Les
événements du 14 juin dernier, au cours desquels il a
été fait un usage irrationnel de la force publique ont
servi de détonateur pour mettre en lumière le régime
autoritaire et la crise d’ingouvernabilité de l’Etat.
Nous ne voulons pas continuer à garder le silence,
nous voulons des solutions aux problèmes d’Oaxaca.

Nous nous rebellons contre le gouvernement d’Ulises
Ruiz Ortiz, car nous ne voulons plus d’un gouvernement
qui gère les ressources du peuple au profit d’un
secteur privilégié de la société. Nous ne voulons plus
d’institutions qui ne remplissent pas leur mission et
qui sont utilisées pour faire taire la voix de la
population au profit de partis politiques. Nous ne
voulons plus de discours faits de mots creux, reposant
sur le cynisme et le mensonge.

Nos propos s’appuient sur la mémoire historique
d’événements et d’injustices commis à l’abri du
pouvoir et qui demeurent impunis.

Faisons un récapitulatif :

Depuis 2004 nous devons déplorer des assassinats
politiques qui demeurent non élucidés. Depuis, les
violations des droits humains ont été permanentes ; on
réprime la liberté d’expression ; on achète les
syndicats et on empêche leur vie indépendante ; à 
l’intérieur de l’Etat, on renforce les pouvoirs des
caciques. La justice s’applique de manière
discrétionnaire et les institutions en charge de faire
appliquer les lois se sont transformées en instruments
de pouvoir, par lesquels on réprime les leaders
politiques oppositionnels.

Des centaines de fois n’a t-on pas entendu que l’Etat
d’Oaxaca est une des régions les plus riches du pays
pour sa diversité culturelle et environnementale.
Pourtant, aucune politique ne reconnaît
l’inter-relation entre les peuples indigènes et les
ressources naturelles, pour contribuer à leur
développement. Les programmes qui sont réalisés ont
détérioré la production rurale, endommagent
l’environnement et excluent la population, qui devant
cette situation se voit contrainte à émigrer ; les
ressources vitales comme l’eau sont mises en
concession au profit d’entreprises transnationales.

Les institutions en charge de la santé publique ne
remplissent pas leurs fonctions. Il y a du retard dans
le traitement de maladies aussi graves que le cancer
cervico-utérin (ou du col de l’utérus) et nous
observons une augmentation dramatique de la mortalité
maternelle. Les hôpitaux de l’Etat n’ont pas
suffisamment de médicaments et manquent des
équipements minimums nécessaires. Dans le domaine
éducatif l’Etat présente de sérieuses carences, non
seulement en termes budgétaires, mais aussi en matière
d’orientation et de contenus. En revanche, le
gouvernement gaspille les ressources de la population
en travaux somptuaires et non nécessaires, comme la
rénovation du Centre Historique de la Cité, qui porte
atteinte au patrimoine culturel des habitants
d’Oaxaca.

Il n’y a ni transparence ni reddition de comptes des
actions du Gouvernement. Pour l’attribution des
commandes publiques, est privilégiée la dissimulation
et la manipulation afin de favoriser les entreprises
de parents et personnes proches du gouverneur ; de
plus les programmes sociaux - fédéraux comme de l’Etat
- sont utilisés par le gouvernement de l’Etat à des
fins politiques partisanes.

Le gouvernement porte atteinte à nos traditions. Il
commercialise notre culture d’une manière grossière et
insultante pour la population et intervient
ouvertement dans les municipalités et communautés qui
ne se plient pas à ses consignes. De la même manière,
il entrave et violente la vie communale des peuples
indigènes, qui cherchent dans leurs traditions des
formes de vie en commun et qui élisent leurs autorités
conformément à leurs systèmes normatifs. Le
gouvernement méconnaît la volonté populaire et impose
des administrateurs municipaux, ce qui fracture la vie
des communautés.

Tout ce qui précède met en évidence l’ "état
d’exception de fait" que vit notre Etat. C’est
pourquoi la population d’Oaxaca est unie, non
seulement pour exiger un Jugement Politique et la
Révocation du Mandat du Gouverneur, mais aussi pour
jeter les bases des gouvernements qui nous
représenterons dans le futur.

Nous avons besoin d’un vrai gouvernement, un
gouvernement qui représente la population d’Oaxaca
dans toute sa diversité : peuples indigènes, habitants
des villes, des campagnes, travailleurs,
entrepreneurs, femmes, hommes, enfants, jeunes et les
communautés lesbiennes et gays. Un gouvernement dont
la priorité sera d’établir les passerelles de dialogue
permettant l’inclusion de toutes les voix ; qui
établira des institutions, des lois et des politiques
qui s’accordent à la diversité culturelle et à 
l’autonomie des peuples et communautés d’Oaxaca ; qui
respecte la liberté d’expression et encourage le droit
à la communication dans un cadre de pluralité
culturelle. Un gouvernement qui génère des conditions
de participation afin que la société toute entière
construise le développement, la démocratie et la
gouvernabilité au sein de l’Etat. Un gouvernement qui
inclut, qui travaille à la recherche de solutions aux
problèmes politiques, sociaux, économiques d’Oaxaca et
qui travaille à la construction d’institutions qui
représentent le peuple, nourri de la transparence, de
la reddition de comptes et du respect de la volonté
populaire.

Pour avancer dans la construction de cette nouvelle
forme de gouvernement nous appelons à l’élaboration
d’un Programme Politique Unitaire ; nous appelons à un
Nouveau Pacte basé sur le dialogue de tous les
secteurs de la population d’Oaxaca. Nous appelons à 
construire de Nouvelles Conditions Politiques, qui
respectent les droits humains ; qui respectent la vie
des communautés et l’autonomie des gouvernements
municipaux ; qui se conduisent avec égalité, équité et
transparence. En somme, nous appelons à rétablir
l’état de droit, la démocratie et la gouvernabilité
avec l’instauration d’une Nouvelle Constitution pour
notre Etat, laquelle inclura les voix et l’avis des
habitants d’Oaxaca.

La "Déclaration du peuple d’Oaxaca" est un document
ouvert à l’avis et aux demandes des hommes et des
femmes : paysans, communautés et peuples indigènes,
entrepreneurs, syndicats indépendants, travailleurs,
enseignants, étudiants et professionnels ; aux
personnes aux capacités différentes ; aux personnes de
différentes croyances religieuses et aux libres
penseurs ; aux personnes de différentes préférences
sexuelles et à tous ceux qui croient qu’il est
possible non seulement de rêver d’un Oaxaca meilleur,
mais de s’engager à travailler à la construction d’une
société plus juste, d’un gouvernement qui nous
représente vraiment et travaille à nos côtés et avec
nous pour faire d’Oaxaca le lieu que nous voulons. Une
terre où l’on vit dans la dignité et la justice.

Oaxaca de Juarez, août 2006.

Signatures de soutien à envoyer à  :
declaraciondelpueblodeoaxaca@yahoo.com.mx...



Quelques articles en français sur la "Commune de
Oaxaca" aux liens suivants :

- http://risal.collectifs.net/article.php3?id_article=1861

- http://paris.indymedia.org/article.php3?id_article=6828

- www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3222,36-806596,0.html
- http://french.epochtimes.com/article.asp?id=4777

- www.humanite.presse.fr/journal/2006-06-30/2006-06-30-832646

- ainsi qu’un article récent dans l’hedomadaire Lutte
Ouvrière



 Documents traduits de l’espagnol par Gérard Jugant.
Copyleft sous réserve de reproduction honnête et
véritable, non commerciale, et de mention des sources, ansi que des auteurs et traducteurs.



Mexique : La Commune d’Oaxaca en alerte rouge, par Hermann Bellinghausen.


Mexique : Président au rabais, Benito Perez - Fraude lourde de conséquences, Sergio Rodriguez Lascano.

Mexique : une aussi longue ingérence US, par Comaguer.




 Photo : Indy Mexico http://mexico.indymedia.org


[1Cf. l’article de Cédric Gouverneur, Le Monde
Diplomatique de juillet 2003, "Sur l’autel du
libre-échange, au Mexique, l’Oaxaca indien résiste".


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