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Blasphème : un péché de la langue

Limpide, clair, didactique, l’Encyclopédie anarchiste, de Sébastien Faure, ne tournicote guère sur le sujet : « Un blasphème, au sens propre, est une parole qui outrage la Divinité, la religion. Par extension, le mot blasphème sert à désigner une parole outrageante pour quelque chose, en général. Ainsi, lorsqu’un antimilitariste traite le drapeau de son pays de loque malfaisante, les patriotes ne manquent pas de crier au blasphème. C’est tout juste également si les capitalistes ne traitent pas de blasphémateur celui qui ose proclamer, par exemple, que la propriété c’est le vol.

Les anarchistes, qui n’ont de respect pour aucune entité, disent ce qu’ils pensent de toute chose et se rient d’être appelés blasphémateurs. La crainte du blasphème, en effet, a été imaginée par les puissants pour faire respecter par la masse toutes les idoles néfastes : Dieux, Patrie, État, Propriété, etc... »

Tout cela, comme la plupart du temps chez Sébastien Faure et alii (l’ouvrage est collectif), est joliment dit.
Je veux dire que c’est exprimé sans ronds de jambes ni ambages.

Le roboratif Littré, vaste et prestigieux dictionnaire conçu par Émile Littré (1801-1881), aura défriché le potager du chiendent inutile, donnant comme exemple Bossuet, au XVIIe siècle : « Il vomit des blasphèmes contre le Très Haut », et puis Racine (même période) « Une femme… peut-on la nommer sans blasphème  ? » Racine, Athalie. II, 2.

C’est, par exagération, un propos qui outrage. « Il disait qu’on n’avait jamais proféré un si grand blasphème contre l’amitié. » Le Dictionnaire de l’Académie française (diverses éditions) emprunte les mêmes chenaux : « Parole qui outrage la Divinité ou qui insulte à la religion. Blasphème horrible, exécrable. Proférer un blasphème. Dire un blasphème. »

Le Trésor de la langue française informatisée. http://www.atilf.fr/tlfi, ATILF – CNRS, renvoie d’emblée à Bernanos – serait-ce à ses saints que l’on reconnait le Seigneur ?
« Oh ! La révolte qui s’épuise d’elle-même en injures, en blasphèmes, cela n’est rien, peut-être ?... La haine de Dieu me fait toujours penser à la possession. » Georges Bernanos, Journal d’un curé de campagne,1936.

Une atteinte à la pureté

Si la notion de blasphème1 désignait à l’origine le fait de « parler mal de quelqu’un, injurier, calomnier », elle prit progressivement un sens plus restreint pour ne plus concerner que l’injure appliquée au fait religieux. La France sera le premier État à abolir le délit de blasphème du Code pénal le 25 septembre 1791 lors de la Révolution Française mais celui-ci restera persistant dans divers textes ; le délit de blasphème inscrit dans le Code d’Alsace-Moselle ne sera abrogé qu’en 2017.

Selon les époques et les régions du monde, le blasphème dans son acception religieuse a pu être toléré ou réprimé. En 2022, la situation varie fortement d’un pays à l’autre. Ainsi, certains pays n’ont jamais pénalisé le blasphème ou ont aboli leurs lois sur les propos blasphématoires, tandis que d’autres appliquent encore plus ou moins strictement une législation pénalisant les blasphémateurs, par des sanctions allant de la simple amende jusqu’à la peine de mort, en passant par diverses peines d’emprisonnement.

Au fil des siècles, le mot concerne de plus en plus exclusivement l’insulte envers la religion.
Voltaire faisait remarquer qu’on accusa de blasphème les Joviens – terme qui se rapporte à la planète Jupiter, synonyme de « Jupitériens » –, qui reprochaient le blasphème aux premiers chrétiens, mais furent condamnés eux-mêmes comme blasphémateurs sous Théodose II.

En Europe, la tradition des Lumières a sorti la religion de la sphère politique et juridique et a laissé à la seule religion l’idée de blasphème.

La définition du « blasphème » entre dans le droit avec la définition donnée par Thomas d’Aquin après de multiples débats avec les moralistes : un péché de langue, une « défaillance dans la profession de foi », donc une atteinte dans sa « pureté », ce qui justifie sa répression qui devient féroce avec le roi Louis IX, préoccupé par sa lutte contre les hérétiques, les juifs et l’islam, et passait par la mutilation de la langue et des lèvres.

Éviter l’idolâtrie

Immense avancée, les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 supprimèrent la notion de blasphème du droit français, tant qu’il n’y avait ni abus ni trouble à l’ordre public. « Nul, affirme-t-elle, ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ». La Restauration tenta bien de promulguer une loi sur le sacrilège (notion voisine du blasphème) ; mais celle-ci fut rapidement abrogée sous la monarchie de Juillet, puis définitivement supprimée par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse intervient dans un contexte de laïcité conduisant finalement à la Séparation des Églises et de l’État de la loi de 1905.

La loi française de séparation des Églises et de l’État ne s’applique pas en Guyane française, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie, et, pour l’essentiel à Mayotte. Ainsi, les auteurs de la dépose d’une tête de cochon sur une mosquée du département de Mayotte, dont la population est majoritairement de confession musulmane, ont-ils été relaxés en appel.

La notion de blasphème est définitivement supprimée du droit français par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

La question du blasphème fut également abordée en France en janvier 2020 lors de l’affaire Mila, une adolescente qui avait eu des propos critiques envers l’islam.

Dans le judaïsme, où il est interdit de représenter Dieu, la notion de blasphème reste limitée : le judaïsme condamne et exclut plus facilement « celui qui porte atteinte à la communauté » que celui qui maudit Dieu. Selon le Talmud, le blasphème est le fait de considérer Dieu comme un homme. Il faut conserver une connaissance de l’infini pour éviter l’idolâtrie.

Le prétendu Jésus aurait été préalablement condamné pour blasphème par les Juifs qui l’amenèrent à Ponce Pilate.

Le « Christ-des-bénéfices »

Dans la Bavière catholique, Oskar Panizza publia en 1894 une pièce de théâtre intitulée Le Concile d’amour, où Dieu, indigné par le comportement dépravé de la cour du pape Alexandre Borgia, punit l’humanité en lui envoyant la syphilis. La pièce fut interdite et l’auteur condamné à un an de prison pour cause de blasphème.
En 2003, l’artiste Dorota Nieznalska (née en 1973) a été poursuivie à Gdansk (Pologne) pour avoir réalisé une sculpture représentant des organes génitaux suspendus à un crucifix.

Après l’attentat contre Charlie Hebdo du 7 janvier 2015, des militants laïques voulurent abroger la loi anti-blasphème au Canada.

Immersion (Piss Christ), plus souvent désignée par le titre abrégé Piss Christ, est une photographie de l’artiste américain Andres Serrano, réalisée en 1987. Elle représente un crucifix de couleur claire, vu de trois-quarts par la gauche, et baignant dans une atmosphère d’apparence fluide. La scène est traversée de traînées de pointillés blancs aux allures de bulles.

Pour réaliser sa photographie, Andres Serrano dit avoir rempli un verre de sa propre urine et de son propre sang, puis y avoir immergé un petit crucifix en plastique. L’artiste défend son travail comme étant une critique de l’« industrie milliardaire du Christ-des-bénéfices » et une « condamnation de ceux qui abusent de l’enseignement du Christ pour leurs propres fins ignobles ».

L’œuvre a été plusieurs fois l’objet de vandalismes : en 1997, à la National Gallery of Victoria de Melbourne, ou en 2007, dans une galerie d’art suédoise. Idem en France, où elle fut accrochée publiquement dans le cadre de l’exposition « Je crois aux miracles », qui s’est tenue à la collection Lambert d’Avignon du 12 décembre 2010 au 8 mai 2011. En avril 2011, une campagne de protestation, lancée par des mouvements catholiques intégristes proches de l’extrême droite (Civitas et l’Agrif, l’Alliance générale contre le Racisme et pour le Respect de l’Identité française et chrétienne), exigea son retrait. L’Hôtel de Caumont, qui hébergeait la collection fut quotidiennement harcelé. Le 16 avril, un millier de personnes défila dans les rues d’Avignon. Le lendemain, un tirage de Piss Christ ainsi qu’une autre œuvre de Serrano, Sœur Jeanne Myriam, portrait issu de la série des « Churchs », furent vandalisés par des individus armés de marteaux et d’objets contondants ; plusieurs gardiens qui tentaient de s’interposer furent violemment agressés.

Ayons une pensée solidaire et émue pour Bettina Rheims et Serge Bramly, pour avoir publié sous le titre d’I.N.R.I. (en 1998) une photographie de la Vierge Marie clouée nue en croix ; Jean-Luc Godard pour l’affiche de Je vous salue Marie, film sorti en 1985 ; Pierre Desproges prouvant, dans une des Minutes de Monsieur Cyclopède, que l’on pouvait déclencher la colère de Dieu en allumant simplement une cigarette.
Tous quatre furent pour cela victimes de censures plus ou moins sournoises.

The Satanic Verses (1988), de Salman Rushie, est toujours l’objet d’une fatwa.
Hogre (street artiste italien), pour Ecce homo erectus (2017), a subi les foudres d’Anastasia.
Quant à Deborah de Robertis (franco-luxembourgeoise) déjà connue pour avoir posé nue devant le célèbre Courbet, L’Origine du monde, qui avait appartenu à Jacques Lacan, au Musée d’Orsay, subissait, pour s’être montrée nue au sanctuaire de Lourdes, une plainte de l’épiscopat local, condamnant « un acte d’exhibitionnisme qui a choqué les fidèles présents ».

La Journée internationale du blasphème (Blasphemy Day) est célébrée chaque année le 30 septembre pour encourager les individus et les groupes à exprimer ouvertement leurs critiques de la religion et des lois sur le blasphème.
Il n’est pas interdit de la célébrer par la (libre) pensée en famille en cette approche de Noël.

Alain (Georges) LEDUC

Alain (Georges) Leduc est membre de l’Association internationale des Critiques d’Art (AICA) et de l’Association internationale des Sociologues de Langue française (AISF).

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Arundhati Roy - Capitalism : A Ghost Story (2014), p. 37

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