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Le vrai sens de nos luttes pour le droit à la retraite : l’exploitation capitaliste n’est pas la fin de l’Histoire, il y a une vie après le travail

LA COMMISSION PHILOSOPHIE de la REVUE ETINCELLES S’ADRESSE aux TRAVAILLEURS ACTIFS et RETRAITES EN LUTTE – 9 DECEMBRE 2019 Pour la Commission Philosophie d’Etincelles, la revue culturelle du Pôle de Renaissance Communiste en France (PRCF), www.initiative-communiste.fr, Georges Gastaud, Jean-François Dejours, Marie-France Fovet, Emmanuel H., Aymeric Monville, Victor Sarkis, Armand Verley. A la mémoire de Paul Lafargue, député du Nord ouvrier, introducteur du marxisme en France, auteur du Droit à la paresse.

Nous qui sommes engagés dans le bras de fer social de décembre 2019, ne nous laissons pas enliser dans les disputes sans fin sur la « pénibilité du travail » voulues par la CFDT qui, lorsqu’elles deviennent centrales et obsédantes, n’ont d’autre objet que de nous diviser, d’occulter la juste revendication du retrait total des contre-réformes, d’attiser les jalousies inter-catégorielles et d’enterrer l’indispensable combat anticapitaliste commun

ENVOYER AU DIABLE LES PARASITES DU CAPITAL QUI FONT LA MORALE AUX TRAVAILLEURS A PROPOS DES RETRAITES !

Ne nous laissons pas non plus culpabiliser par les leçons de morale souvent dispensées par les plus nantis des retraités, ceux qui, bardés de complémentaires par capitalisation et votant ordinairement à droite (c’est-à-dire LR ou LREM) – à propos des « jeunes générations qui crouleront sous les dettes si nous (en réalité : VOUS, les travailleurs du rang !) n’acceptons (N’ACCEPTEZ !) pas de reculer sans fin l’âge du départ en retraite » et la baisse sans fin des pensions.

N’oublions pas que Juppé, qui lança l’assaut en 1995 contre la retraite des cheminots, avait pris, lui, sa retraite dorée de haut fonctionnaire blindé d’actions à... 57 ans ! N’oublions pas non plus que nombre de « grands journalistes », payés à prix d’or pour dénigrer le mouvement social, ne savent rien du travail véritable : labourer le sol, soigner les bêtes, produire à la chaîne, réparer les câbles arrachés par la tempête, décharger des camions, nettoyer onze chambres d’hôtel par demi-journée, enseigner en des lieux où la police n’ose plus se rendre, replacer des tuiles sur un toit par nuit d’orage (ce que font couramment les pompiers), conduire des trains d’un bout à l’autre de l’Hexagone le dimanche, éduquer des tout-petits dans une maternelle en étant tous les jours à quatre pattes à leur côtés (comme cela sera facile à 65 ans !), etc. Ne parlons pas des ministres macronistes, des eurocrates bruxellois et autres PDG du CAC-40 qui disposent en permanence d’une armée de « chefs de service » à leur dévotion pour orchestrer jour après jour les décisions dévastatrices que paient comptant les salariés licenciés et leur famille. Bref, Messieurs-dames les VRAIS privilégiés, pas vous, pas ça, et PAS A NOUS* !

SANS LES RETRAITE(E)S, NOTRE PAYS NE TOURNERAIT PAS !

Mais surtout, n’hésitons pas à aller sur le « dur » : non, la retraite n’est pas seulement, ni même principalement faite pour mettre au repos des pré-grabataires qui, ne pouvant plus arquer, plomberaient du même coup la sacro-sainte « productivité » du travail, seule source véritable du profit capitaliste. Grâce à des héros méconnus comme les ouvriers communistes Ambroise Croizat ou Marcel Paul**, dont les manuels d’histoire taisent généralement les noms, la retraite en France tendait à devenir cette étape de la vie où, après des décennies de labeur éreintant, les ouvriers, employés et petits fonctionnaires pouvaient enfin commencer à s’occuper d’eux-mêmes, à savourer un peu le plaisir de vivre en profitant de leur ultimes années de vie en bonne santé (rappelons aux monstres moraux qui allèguent l’allongement de la vie pour nous la raccourcir à coups de contre-réformes, que ce qui compte, c’est l’espérance de vie en bonne santé ; laquelle est de 63 ans pour les hommes et de 64 ans pour les femmes en moyenne...).

Et c’est ainsi que les travailleurs retraités font vivre bien souvent les associations bénévoles, qu’ils aident leurs enfants qui « galèrent », qu’ils gardent souvent les petits-enfants (peu de crèches, aucun service à l’entreprise contrairement à ce qui se passait par ex. en RDA, lieu de travail trop souvent éloigné du domicile, des salaires ne permettant guère d’épargner ou de prendre un peu de relâche...), qu’ils soutiennent aussi leurs très vieux parents devenus dépendants (il faudrait parler de la cherté révoltante de certaines « structures d’accueil », et de leur taux d’encadrement souvent dérisoire).

Mais surtout, les retraités peuvent enfin, quand ils sont restés en bonne santé et ne sont pas décédés avant l’âge de la retraite (comme nombre d’ouvriers !), faire enfin de l’exercice « pour le plaisir », cuisiner à loisir, lire, se cultiver, recevoir des amis, parcourir le monde et jouir de sa beauté. Et pourquoi pas aussi – s’investir sur le terrain social de manière désintéressée, comme l’ont fait en 2019 tant de courageux pensionnés en gilet jaune qui furent l’âme des ronds-points en lutte ; ou comme le font actuellement tant de « Rouges » aux cheveux gris qui n’ont pas renié, sous prétexte qu’ils sont « déjà à la retraite » – le combat social qu’ils menèrent avec fougue en mai 68 ou en décembre 95 !

« DU BONHEUR ET RIEN D’AUTRE » (Aragon) !

Aussi, coupons court au discours hypocrite des médiacrates qui voudraient faire croire que le but de l’existence est, « à la japonaise »*** de bosser jusqu’à épuisement pour faire gagner de l’argent à des actionnaires fainéants, grands profiteurs d’hommes et irresponsables gâcheurs des ressources terrestres. Déjà dans l’Antiquité, Aristote démontrait que l’ « utilité » – donc le travail, qui lui est associé – n’est qu’une fin relative et subordonnée : en réalité, la seule « fin en soi » pour l’homme est le bonheur, c’est-à-dire l’accomplissement plénier de tout notre potentiel objectif et subjectif : en effet, le bonheur est la seule chose qu’on puisse désirer pour elle-même et en vue de laquelle est désiré tout le reste, santé, richesse, amour, etc.

Aristote notait en outre que, l’homme étant un « animal politique » qui vit dans des sociétés organisées, son bonheur comporte forcément une dimension civique. Défenseur des Lumières, le philosophe allemand Kant montrera au 18ème siècle que l’impératif de l’éthique est de toujours « traiter l’humanité en soi et dans les autres comme une fin, jamais seulement comme un moyen » : ce qui heurte de front la logique exploiteuse du capitalisme qui, précisera Marx, « n’enfante la richesse qu’en épuisant ses deux sources, la Terre et le travailleur ». Refusant cette logique de mort et se faisant les porte-drapeau à des degrés divers des classes populaires émergeant sur la scène historique sous l’impulsion de la Révolution jacobine, Maximilien Robespierre (le vrai fondateur de la République française), puis Gracchus Babeuf (l’initiateur, selon Marx, du « premier parti communiste de l’histoire ») firent brièvement triompher l’idée que « le but de la société est le bonheur commun » (première Constitution de la République française). Enfin, dans leur Manifeste du Parti communiste, Marx et Engels expliqueront que le communisme vise à l’accomplissement solidaire des individus car par « communisme » il faut entendre un mode de production dans lequel « le développement de chacun devient la clé du développement de tous »...

DU PLAISIR GRATUIT D’EXISTER ET DE COEXISTER... SANS MM. LES CAPITALISTES...

Bref, retraités d’aujourd’hui, de demain ou d’après-demain, annonçons sans complexe la couleur aux parasites qui nous trouvent toujours trop « gourmands » : en ce brûlant Décembre 2019, nous refusons la retraite par points et nous revendiquons la retraite à soixante ans (et encore plus tôt si possible), pas seulement parce que nous savons bien que chacun devient moins productif et physiquement plus fragile avec l’âge, mais parce que le but même du travail humain, y compris quand il est porteur d’épanouissement personnel (et c’est loin d’être la situation majoritaire des salariés dans nos sociétés divisées en classes) est d’affranchir l’homme du règne de la contrainte économique et étatique, en un mot d’en faire un être libre, égal à ses concitoyens et solidaire de tous ses contemporains. C’est-à-dire de permettre à chacun de devenir son propre maître pour, solidairement avec autrui et à égalité avec lui, goûter la vie et en célébrer gratuitement les beautés par l’activité créatrice libre – y compris quand elle est ardue et exigeante, comme le sont par ex. la recherche scientifique, la création artistique, l’engagement bénévole au service des siens, de son pays et de l’humanité, sans parler de l’engagement politique au sens vrai du mot (contribuer de manière éclairée aux décisions démocratiques d’une société tournée d’émancipation).

Bref, le sens de l’existence n’est ni de se crever au boulot ni d’« accumuler des points » fébrilement avec la hantise permanente de la précarité et de la misère ; il est de vivre une vie pleinement humaine en partageant avec tous cette chose rare, brève et précieuse : l’existence ; et avec elle, cette jouissance d’être dont Rousseau, le grand inspirateur philosophique et politique des Jacobins, sut si poétiquement parler dans ses Rêveries du promeneur solitaire****. C’est cette transformation radicale dans la manière de « faire humanité » qu’anticipe la Révolution, ce moment de haut partage que le poète communiste Paul Eluard définissait superbement comme ce temps magnifiant où, d’un peuple fracturé par les aliénations et segmentations de toutes sortes, émerge, se fédère et cristallise enfin, dans sa chatoyante diversité, « une foule enfin réconciliée ».

* La remarque s’adresse aussi aux « syndicalistes » à la Laurent Berger (CFDT : C’est Fructueux De Trahir !) dont une journaliste de Radio-France nous apprenait récemment qu’il « n’a jamais travaillé de sa vie ».

** A une époque où le PCF, à bon droit surnommé le « Parti des Fusillés », obtenait 29% des voix et où la CGT sortie de la clandestinité comptait cinq millions d’adhérents, ces ministres communistes d’origine ouvrière mirent deux ans – avant d’être chassés du gouvernement sur pression étatsunienne – pour instaurer la Sécu, les retraites par répartition, le statut des mineurs, le statut des fonctionnaires, la première version du SMIG, le Commissariat à l’Energie Atomique (Joliot-Curie), la relance démocratique de l’Education nationale (sous l’égide d’Henri Wallon), les comités d’entreprise, un Code du travail protecteur, la nationalisation de Renault, des mines, de l’aéronautique, de l’électricité et du gaz, etc. Ils mettaient alors en pratique le programme du Conseil National de la Résistance qui n’était pas intitulé pour rien « LES JOURS HEUREUX ».

*** “Cette expression vise bien sûr à moquer les représentations médiatiques du Japon. En réalité, le PC Japonais a longtemps été et continue encore d’être tout à fait honorable, tant sur le plan de la ligne que sur celui de ses scores (400000 membres et 6M de voix en 2014. Il ne s’agit donc pas de la substance éternelle de la “culture japonaise du travail”... car il ne s’agit que de la “culture du travail” de la bourgeoisie japonaise ! Il est important de combattre ces clichés sur le peuple japonais (et sur les autres Asiatiques), qui sont trop souvent vus par la bourgeoisie européenne comme des “fourmis jaunes” (Edith Cresson), ou comme des “fourmis chinoises” (Nietzsche, Aurore, §206), ce qui est insupportable politiquement et humainement, et qui de surcroit n’explique rien à l’Histoire de ces pays, et encore moins leur Histoire récente (poids du PC japonais, révolution chinoise et vietnamienne...)”.

**** Donald Trump a osé déclarer récemment aux travailleurs étasuniens, dont la majorité n’ose même pas prendre la totalité des jours de congé auxquels ils ont droit : « si vous rêvez de vacances, vous vous êtes trompé de métier ». Mais au cours de ses premiers six mois, le très agressif milliardaire qui préside les Etats-Unis d’Amérique a passé un tiers de son temps à jouer au golf dans ses nombreux ranchs et propriétés...

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