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Langue française : « moderniser » la loi Toubon, ou la renforcer et l’appliquer enfin avec rigueur ?

Par Georges Gastaud, philosophe, président de l’association CO.U.R.R.I.E.L., Annie Lacroix-Riz, professeur émérite d’histoire contemporaine (Paris VII), Jany Sanfelieu, certifiée de lettres classiques (89), Bernard Colovray, militant ouvrier du Livre (69), Aurélien Djament, mathématicien, militant CGT du CNRS (59), Thierry Saladin, médecin (34), Jean-Claude Houseaux, médecin (84), Vincent Flament, professeur agrégé de Lettres classiques (59), Dominique Mutel, professeur agrégé d’anglais (62), Gilliatt de Staërck, militant ouvrier des transports (22), Régis Ravat, ancien délégué de la CGT-Carrefour (30), président de l’Association Francophonie-Avenir, Michel Debray, vice-amiral, ancien président de l’Institut Charles de Gaulle .

Dans Le Figaro du 4 août, – qui est en partie consacré au 25ème anniversaire de la loi Tasca-Toubon censée protéger le français contre l’anglomanie linguistique –, le ministre de la culture Franck Riester déclare sans rire que « la loi Toubon est globalement bien appliquée » ; selon lui, il conviendrait seulement de la « moderniser » pour l’adapter aux outils informatiques modernes. Même si la bonne foi de nombre de défenseurs du français qui espèrent en cette « modernisation » est insoupçonnable, l’expérience historique doit pour le moins les inciter au doute méthodique tant il est clair que la « langue de la République » (au titre de l’article II-a de la Constitution) est harcelée, marginalisée, voire ridiculisée ; en effet, dans un nombre grandissant de secteurs d’activité culturels, économiques ou éducatifs, notre langue est la cible d’un arrachage et d’une substitution systématiques, pour ne pas dire d’un linguicideprogrammé. En outre, les « adaptations » et autres « toilettages » de la législation linguistique effectués jusqu’ici sous couvert de « modernisation » ne furent que trop souvent synonymes de capitulation devant les « collabos de la pub et du fric » (dixit Michel Serres) qui font désormais la loi en France en matière de politique linguistique.

Un viol massif et permanent de l’état de droit linguistique !

Tout d’abord, comment oser prétendre que la loi Toubon – qui fut votée par l’ensemble des groupes parlementaires en 1994 – est « globalement bien appliquée » alors que, non seulement les grandes entreprises privées, notamment celles du CAC-40, mais la Poste, la SNCF, EDF, sans parler de nombre de collectivités territoriales publiques ne cessent de la violer et de la contourner grossièrement ? Au Only Lyon de Gérard Collomb fait désormais écho le lourdingue In Annecy Mountains haut-savoyard, mais aussi les Loire Valley, les Ouigo (faux nez d’allure francophone de We go...) de la SNCF en voie de privatisation, le Pulse ! d’EDF, le France is in the air d’ « Airfrance » ou le Navigo Easy Pass de Valérie Pécresse... Quant aux associations de défense du français qui se réfèrent à la loi Toubon pour inviter la justice à faire respecter la législation linguistique, elles s’indignent de voir ce que certains « juges » ne savent plus quel sophisme inventer pour contourner la loi... voire pour condamner les plaignants aux dépens ! Mais comment s’étonner de cette violation permanente de l’État de droit linguistique quand le président de la République lui-même et ses ainsi-dits helpers du parti majoritaire ne cessent de baragouiner en globish sur notre propre sol en promouvant la « french Tech » et en appelant, depuis l’Élysée, à « make the planet great again »* ?

Une politique linguistique de casse et de classe !

Comme le démontre le Manifeste contre le linguicide du français publié le 20 mars 2019, l’arrachage en cours du français ne relève pas seulement d’une « tendance », même si l’infinie veulerie – pas seulement linguistique ! – des foules médiatico-formatées ne laissera jamais d’étonner et de navrer. Elle résulte d’une POLITIQUE DE CLASSE menée par les « élites » à l’échelle de la France, de l’Europe et du monde entier. En France, c’est le MEDEF qui prend officiellement pour slogan « ready for the future » (ce qui dit sous-entend que le français appartient au passé...). En Europe, les élites politico-économiques – sans que nul ne s’en offusque au Quai d’Orsay – songent ouvertement à faire de l’anglais la langue officielle des institutions supranationales (et cela en plein Brexit, et alors que l’anglais n’est plus désormais la langue officielle déclarée d’aucun État européen !). Au niveau mondial, c’est en anglais que se plaideraient les futurs procès que les transnationales ne manqueront pas d’intenter – devant des tribunaux de droit privé qui plus est ! – contre les rares États insoumis qui auraient tenté de taxer les profits des monopoles capitalistes transcontinentaux...

Mutisme, aveuglement et servitude volontaires de la fausse gauche !

Bref, il est honteux que les organisations politiques, les syndicats et les personnalités intellectuelles qui se réclament de la gauche ne se rebiffent pas contre le nouvel ordre linguistique mondial qui, pour accompagner la mise en place globalitaire du nouveau marché transatlantique esquissé par le CETA (et qui sera tôt ou tard couronné par le retour d’un équivalent du TAFTA ?), établit – sans le moindre débat démocratique ! – une langue unique mondiale porteuse de pensée, de politique, d’idéologie et de culture uniques. Comment ne voit-on pas, dans les partis qui disent se situer à la gauche du PS, pas davantage chez les Verts et encore moins dans les confédérations syndicales de salariés, que l’établissement potentiellement irréversible de cette (nov-)langue unique mondiale serait une catastrophe anthropologique sans précédent pour la diversité culturelle de la planète, pour tous les peuples dont l’anglais n’est pas la langue maternelle (et plus particulièrement pour les prolétaires de ces pays) sans parler des anglophones de naissance dont la langue va nécessairement pâtir du rôle qu’on lui fait jouer ; pourquoi la gauche et l’extrême gauche établies refusent-elles de voir, et surtout de dire, qu’en créant un marché mondial linguistiquement uniformisé de la force de travail, cette politique globalitaire de la langue unique vise à multiplier par mille, sur chaque poste de travail, les pressions concurrentielles infligées aux travailleurs de chaque pays au seul avantage de l’oligarchie capitaliste ? Comment le triomphe du tout-anglo-américain pourrait-il s’avérer « bénin » et « sympathique », alors que la politique économique, culturelle, économique, environnementale qu’accompagne le bulldozer du tout-globish mondial se montre si ravageuse pour le progrès social, pour les productions locales, pour l’indépendance des nations, pour leur libre coopération égalitaire et pour la biodiversité proprement dite ?

Renforcer et appliquer la loi !

Face à cela, c’est moins une « modernisation » à la Macron de la loi Toubon qui s’impose que son application plénière, frappant durement – à la caisse ! – les grands délinquants linguistiques du tout-globish ; c’est aussi le renforcement de cette loi, de telle façon que tout citoyen ou groupe de citoyens puisse porter plainte facilement contre ceux qui, par ex., sur BFM-TV, TF1 ou C-News, privilégient systématiquement les noms d’émission en anglais bas de gamme (The Voice, Ninja Warrior, Soft Power, etc.). Rien à voir avec on ne sait quel purisme, car les signataires du présent texte défendent tous les usages du français, y compris les usages dits populaires ; or le tout-globish n’émane pas du peuple (même si à la longue celui-ci se laisse imbiber) mais du « haut » de la société désireux d’établir un code distinctif commun à tous les maîtres de la société capitaliste mondialisée : car encore une fois, dire « TGV Night » au lieu de « TGV Nuit » ne relève pas de l’invention linguistique populaire et encore moins d’une construction savante, mais de la manipulation antidémocratique décidée à huis clos par des communicants stipendiés par le grand capital et dénués de toute espèce de patriotisme culturel, voire de tout internationalisme véritable.

Respectez les francophones de France et d’ailleurs !

Comment en particulier ne pas s’inquiéter de la « modernisation » annoncée par M. Riester ? Quand on voit comment, depuis des décennies, les Sarkozy, Hollande, Macron et Cie « modernisent » la Sécu, l’hôpital public, l’Éducation nationale, l’Université, le baccalauréat, la Recherche, chaque fois en détruisant les services publics et les acquis sociaux hérités de décennies de luttes sociales et antifascistes, il y a de quoi s’angoisser à propos de la manière dont l’équipe macroniste s’apprête à « toiletter » la loi Toubon. Il y a d’ailleurs déjà le précédent navrant de la Loi Fioraso de 2013 qui, sous couvert d’ajuster la loi Toubon à l’enseignement supérieur moderne, a permis que se mettent en place des centaines de « masters » intégralement enseignés en anglais ; à cette occasion, on voit des enseignants français s’abaisser à instruire en anglais une écrasante majorité d’étudiants non moins francophones qu’eux ; et cela dans un des pays qui a le plus apporté aux sciences et aux lumières (Descartes, Pascal, Diderot, Lavoisier, Galois, Pasteur, Durkheim, Marie et Pierre Curie, Langevin, Wallon, Louis de Broglie au secours !) en s’exprimant dans une langue qui est parlée et apprise sur cinq continents ! Quel mépris pour les francophones étrangers qui vivent et qui étudient en France ou pour tous ceux qui, à l’étranger, en Afrique, en Amérique du nord, en Belgique, en Suisse, etc., parlent notre langue commune avec leur propre accent et leur propre créativité linguistique ! Plus intelligents que nos élites bourgeoises aveulies, les Chinois sont du reste de plus en plus nombreux à apprendre le français pour pouvoir parler dans leur langue aux peuples africains francophones qui forment déjà, potentiellement la majorité des francophones de notre temps.

Collaborer ou résister à la casse sociale et culturelle généralisée de notre pays ?

C’est pourquoi nous appelons à la vigilance démocratique face à cette « modernisation » annoncée par le gouvernement néolibéral et fanatiquement atlantiste de Macron. Lequel n’a cessé de s’acharner en tous domaines sur l’ « exception française » : entendre par là les conquêtes sociales et démocratiques (par exemple la loi de 1905 séparant l’État des Églises) issues de notre histoire et fixées dans notre langue qui « font tache » dans la mondialisation néolibérale dominée par l’Empire euro-atlantique guidé par Donald Trump. La résistance ne se divise pas et elle commence par la capacité à dire non, dans sa langue, celle du peuple** – et non pas « yes », « OK ! » et « my God ! » – dans celle de l’Empire étatsunien imposant partout son « soft power » (souvent suivi par des bruits de bottes !) au plan d’ajustement linguistique mondial qu’une oligarchie félonne relaie chez nous avec un zèle écœurant.

* « rendre sa grandeur à la planète », ce qui d’ailleurs, ne veut pas dire grand-chose...

** Celle des peuples faudrait-il dire, car le même totalitarisme linguistique écrase aussi l’allemand, l’italien, le néerlandais, etc. dans leurs aires linguistiques respectives. L’anglais lui-même est menacé en tant que langue porteuse de culture et d’histoire. Une novlangue mondiale serait d’ailleurs une non-langue ruineuse pour la pensée humaine, laquelle s’est largement construite sur le partage de la diversité...

»» https://www.initiative-communiste.f...
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"Acheter un journaliste coute moins cher qu’une bonne call-girl, à peine deux cents dollars par mois"

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