il manifesto, 12 mars 2006.
Slobodan Milosevic a fini par mourir dans la première « prison mondiale » (« galera gobale »). Il y avait été enfermé en juin 2001, grâce à un coup de l’OTAN et au consensus forcé du gouvernement de Zoran Djindjic. La remise de l’ex-dictateur à La Haye avait été posée comme condition aux aides promises par l’Occident pour la reconstruction du pays détruit par la « guerre humanitaire » de l’OTAN.
Le Tribunal de La Haye avait d’abord inculpé l’ancien président yougoslave pour crime de guerre et pour crime contre l’humanité. Le procureur général Carla del Ponte avait ensuite ajouté un dernier, gravissime chef d’accusation : le génocide. De fait, le Parquet s’était employé de façon acharnée à diaboliser la figure de Milosevic comme celle du premier - si ce n’est même de l’unique- responsable des tragédies dans les Balkans et comme véritable architecte de la purification ethnique. Il serait ingénu de nier les responsabilités politiques que Milosevic a eues dans le processus sanglant de démembrement de la Fédération Yougoslave après la disparition de Tito. L’extrémisme nationaliste qu’inspirait son régime, la gestion démocratique du pays en apparence seulement, en réalité fondée sur la force militaire, la collusion avec les organisations illégales. Tout ceci est indéniable - et aurait mérité, comme l’avait dit le premier ministre Kostunica, une commission « vérité et justice » en Serbie comme dans les autres pays des Balkans.
Mais tout cela n’atténue en rien les très graves responsabilités d’une cour d’assise pénale internationale qui a oeuvré ces dernières années non pas au service de la justice internationale mais au service de l’OTAN et des Etats-Unis en particulier, ceux là même qui ont mis en pièces la justice internationale. Le parquet général, sous la direction d’abord de Louise Harbour, puis de Carla del Ponte, n’a pas donné de garanties d’impartialité dans le jugement des inculpés serbes, ni aucune autonomie en regard des attentes des commettants politiques et financiers du Tribunal.
Il suffit de rappeler que, depuis 1993, les Etats-Unis ont été et sont actuellement les financeurs presque exclusifs du Tribunal, en violation ouverte du son Statut. Et il suffit de considérer que le Parquet du Tribunal a établi des rapports de collaboration systématique avec les sommets de l’Alliance Atlantique. Ca s’est passé avant comme après la « guerre humanitaire » déclenchée par l’OTA N contre la République Yougoslave. En pratique, les services de l’OTAN ont systématiquement opéré comme forces de police judiciaire au service du Parquet du Tribunal, dont ils recevaient en secret les actes d’inculpation et pourvoyaient à leur application manu militari, jusqu’à exalter l’incrimination de l’inculpé les jours même des effets collatéraux criminels des raids atlantiques. Même l’inculpation et l’extradition de Milosevic auraient été impossibles sans leur collaboration.
Et on ne peut passer sous silence que l’OTAN, en échange de sa précieuse collaboration, a ensuite obtenu de Carla del Ponte le classement des dénonciations présentées en bonnes et dues formes par des juristes occidentaux patentés, ainsi que par Amnesty International, contre ses dirigeants politiques et militaires, pour des crimes gravissimes commis pendant les 78 jours de bombardements ininterrompus. Il s’est agi d’un classement sans suite tout à fait inhabituel que l’ex-président lui-même du Tribunal de La Haye, Antonio Cassese, a sévèrement critiqué. Cette décision a fourni la preuve décisive du caractère politique de la juridiction du Tribunal. Du reste, Carla del Ponte avait fièrement dit avoir reçu les félicitations de Madeleine Albright, qu’elle appelait affectueusement the mother of the Tribunal, la « marraine du Tribunal ».
Le rôle que les vainqueurs ont assigné à Milosevic a été celui du bouc émissaire. La stigmatisation et la dégradation morale de l’ennemi en vue de son anéantissement comme victime sacrificielle - nous a appris René Girard - a un effet libérateur, diffuse des sentiments de sécurité et auréole les vainqueurs de moralité et d’innocence transcendante. Tout cela ne devrait rien avoir à faire avec une juridiction internationale. Et n’a rien en commun avec une politique de pacification et de délivrance des Balkans, et de renaissance de la Serbie, le pays le plus gravement dévasté par l’OTAN en 1999, et qui compte maintenant le plus grand nombre de réfugiés.
Du reste cette « guerre humanitaire » n’a jamais arrêté la violence. Comme toute autre guerre, la guerre du Kosovo - où Agim Ceku, jamais inculpé, est maintenant premier ministre - a laissé derrière elle un long sillon de haine, de peur, de corruption, de misère et de mort. La protection des droits des citoyens kosovars albanais n’était pas le véritable objectif de l’OTAN, de même que ne l’était pas non plus l’arrêt de la « purification ethnique ». Celle-ci a continué impitoyablement, contre les serbes vaincus.
Aujourd’hui la disparition de Milosevic, loin d’ouvrir la route de la renaissance et de la démocratie à Belgrade - thèse soutenue hier (samedi 11 mars, ndt) par Javier Solana, un des plus grands responsables de la tragédie des Balkans-, peut précipiter la situation. Il n’est pas improbable que l’Occident ne saisisse l’occasion pour donner l’impulsion définitive au processus de séparation du Kosovo (et du Monténégro ensuite). Vers la casse définitive de ce qui reste.
Tommaso Di Francesco, Gabriele Zolo
Tommaso di Francesco est co-rédacteur en chef de il manifesto, et auteur ces derniers mois de nombreux reportages sur les Balkans.
– Source il manifesto www.ilmanifesto.it
– Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
[Pour illustrer ce qui est erroné dans la tendance dominante, commençons par le slogan « ni-ni » : maintenant que Milosevic est à La Haye, les Talibans et Saddam Hussein renversés, les partisans de ce slogan peuvent-ils expliquer comment ils comptent se débarrasser de l’autre partie du « ni », Bush ou l’OTAN ? ]
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