RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

« Comment la Cia "sous-traitait" la torture » / La série noire du témoin Murray, P. Lombroso - S.Finardi - il manifesto.


« Comment la Cia "sous-traitait la torture" la torture »


il manifesto, Patricia Lombroso, New York, 9 février 2006


«  L’Angleterre et l’Italie, les alliés « fidèles » de Bush, sont des gouvernements européens et membres de l’Union européenne au courant, sans aucun doute, des pratiques de torture appliquées dans les prisons secrètes de la Cia, qui fait partie du programme de « extrême renditions » (enlèvement de citoyens étrangers suspectés de terrorisme et leur transfert dans des pays tiers, NDR). Les gouvernements européens, officiellement, ont promis de fournir leurs données et informations à l’enquête sur les prisons secrètes lancée par l’Ue. En fait, ils sont en train de faire tout ce qu’ils peuvent pour bloquer et entraver l’enquête qui révèlerait leur complicité dans les crimes de guerre commis par l’administration Bush ». C’est avec ce « j’accuse » que commence l’interview au manifesto de Craig Murray, ambassadeur britannique en Ouzbékistan de 2002 à 2004, contraint par le Foreign Office à donner sa démission pour avoir publié sur son site des informations et mémos prouvant les liens sales entre les Usa et la Grande-Bretagne concernant le programme de « extreme renditions ».


Quelles preuves avez-vous recueilli, pendant votre mandat en Ouzbékistan, sur les opérations Cia ?

J’ai déjà remis à Strasbourg la totalité de la documentation et les enregistrements des transferts, en « business jet » de la Cia, de détenus provenant sûrement d’Afghanistan et d’autres régions en Europe. Parmi les documents, l’enregistrement des sigles qui prouve le passage aérien par et pour divers aéroports civils et militaires. Des documents secrets et en possession de l’Euro control (l’agence qui contrôle l’espace aérien).


Et quelles preuves avez-vous recueilli de la complicité entre la Cia et le gouvernement ouzbek en ce qui concerne la disparition et les tortures infligées à des détenus en provenance de voies aériennes européennes et d’Afghanistan ?

Les témoignages de familles entières, qui se sont adressées à moi pour assister leurs parents « disparus » et séquestrés par les services secrets ouzbeks. J’ai mené une enquête et je peux dire que, au total, plus de 7000 personnes, opposants du régime ouzbek, ont été séquestrées et torturées jusqu’à l’impensable par ordre du gouvernement. Dans certains cas les prisonniers sont morts et on a restitué aux familles les corps torturés. Cette action de répression interne féroce a « couvert » l’action de la Cia. Depuis août 2002 déjà , les américains transféraient en Ouzbékistan les présumés terroristes capturés en Afghanistan.


Comment êtes-vous arrivé à entrer en possession de données et enregistrements qui prouvaient les parcours des avions Cia depuis l’Europe vers Tachkent ?

J’ai parlé directement avec le personnel affecté aux avions qui atterrissaient à Tachkent, et on m’a dit clairement que ces avions cargos ou « affaires » transportaient des détenus. J’ai enregistré les sigles des avions Cia. Les parcours effectués m’indiquaient l’origine et les différentes escales effectuées dans d’autres localités d’Europe jusqu’à l’atterrissage final à Tachkent.


La Cia devait-elle demander l’autorisation au gouvernement ouzbek pour atterrir sur l’aéroport civil ou bien les avions avaient-ils une autorisation tacite pour atterrir sur les bases militaires Us ?

Les chargements de prisonniers atterrissaient sur l’aéroport international de Tachkent, pas à la base militaire Us, proche de l’aéroport. Les détenus provenant d’escales européennes étaient remis aux agents des services secrets ouzbeks qui les transportaient ensuite dans leur quartier général pour être soumis aux interrogatoires et torturés.


Les agents de la Cia étaient-ils présents ?

Jamais. Le travail sale, la Cia le faisait exécuter par les services secrets ouzbeks.


Quand vous avez, vous, dénoncé ces crimes à votre gouvernement, quelle a été sa réponse ?

On m’a répondu en date du 8 mars 2003 qu’il était « parfaitement légal » d’obtenir des informations de renseignements (intelligence) à travers les chambres de torture de l’Ouzbékistan.


Pensez-vous qu’aujourd’hui le programme des renditions compromette encore l’Ouzbékistan ?

Je crois que l’Ouzbékistan ne joue plus le rôle de chambre de torture de la Cia, parce qu’il s’est rapproché de la Russie. Mais je ne doute pas que la Cia continue ailleurs son action, avec la connivence de nombreux gouvernements, et certainement des gouvernements européens « alliés » dans la lutte contre le terrorisme.


Parmi les gouvernements européens qui sont au courtant des crimes vous citez l’Italie. Pourquoi ?

Je suis certain que le gouvernement Berlusconi était au courant. Abou Omar a été enlevé par des agents de la Cia à Milan pour être transféré en Egypte. En tant que diplomate je sais comment fonctionnent ces liaisons dangereuses (en français dans le texte, ndt) entre gouvernements. Je sais comment adviennent les connexions et les échanges d’informations. J’admire beaucoup vos magistrats pour avoir lancé le mandat d’arrêt contre 22 agents Cia mais je suis sûr qu’Omar n’aurait pas pu être enlevé sans que les services italiens ne soient au courant.

Patricia Lombroso



La série noire du témoin Murray


il manifesto, Sergio Finardi, 9 février 2006.


Mardi 24 janvier dernier a été une étrange journée pour Craig Murray, ex-ambassadeur britannique en Ouzbékistan. Ce même jour, devant l’Assemblée Parlementaire de l’Assemblée Européenne à Strasbourg, le député suisse Dick Marty rapportait les premiers résultats de l’enquête sur l’implication européenne dans le « programme » étasunien de extraordinary renditions, enquête dont il avait été chargé en novembre dernier par le Comité pour les Affaires Légales de cette même assemblée.

Murray s’était rendu à Strasbourg et avait corroboré le rapport de Marty par son témoignage et par des documents prouvant la collusion des services secrets britanniques et étasuniens avec les bourreaux de la police secrète ouzbek (Snb) pour obtenir des « confessions » sous la torture, de présumés terroristes. Avant d’être démis de sa charge pour avoir fortement critiqué dans des rapports internes ces collusions (15 octobre 2004), Murray avait défendu publiquement les droits humains de milliers de personnes arbitrairement incarcérées et horriblement torturées par ce régime, l’un des plus corrompus et néfastes d’Asie Centrale, ainsi qu’important allié de Bush.

De retour de Strasbourg, Murray avait fait escale quelques heures à l’aéroport de Paris Orly, d’où il était reparti pour Londres et avait atterri au London City, petit aéroport pour les liaisons « affaires » avec certaines autres localités européennes. Trahi peut-être par l’habitude de voyager avec des valises diplomatiques intouchables, Murray n’avait pas emmené avec lui en cabine son ordinateur portable et sa documentation, mais il les avait laissés dans ses bagages confiés à la compagnie. Au London City, cependant, les bagages n’étaient jamais arrivés, et Murray s’était mis patiemment dans la file du bureau aéroportuaire adéquat pour savoir où ils étaient passés. Pendant qu’il était confronté à la série habituelle de questions relatives à son voyage et aux caractéristiques de ses bagages, Murray avait cependant noté que, à côté du computer de l’employé qui l’interrogeait, il y avait déjà un feuillet avec son nom et le numéro de ses bagages. Ayant fait remarquer la présence de ce feuillet, Murray avait reçu des explications confuses et embarrassées.

De retour chez lui, deux coups de téléphone successifs à la compagnie aérienne avec laquelle il avait voyagé l’informaient, d’abord, que le bagage serait arrivé par le premier vol d’Orly, puis qu’il avait été « retenu » et qu’il ne pouvait être chargé sur aucun autre vol. Personne, apparemment, ne savait « qui » l’avait retenu, mais il était clair que personne d’autre que les services de renseignements français et/ou d’autres en collusion avec eux ne pouvaient avoir fait ce genre de travail. De toute évidence, la vermine qui est en train d’être découverte autour de l’implication européenne dans les extraodinary renditions étasuniennes en est arrivée au point d’utilisation de telles intimidations contre un témoin d’une enquête officielle européenne.

Les petits mystères de l’après-rapport Marty et du témoignage de Murray ne semblent cependant pas s’arrêter là . Le rapport de Marty n’avait pas exposé de nombreux détails sur l’implication européenne, mais il avait mis fortement en évidence de quelle façon d’inquiétants mécanismes et complicités émergeaient d’enquêtes comme celle de la magistrature italienne sur l’enlèvement d’Abou Omar. Le jour même du rapport Marty, Amnesty International et il manifesto avaient publié une dénonciation circonstanciée des vols et des compagnies aériennes impliquées dans le programme étasunien, en accordant une importance particulière aux pays européens qui avaient accueillis ces vols, Italie comprise. Une dénonciation similaire était déjà arrivée en novembre dernier, cette fois aussi, d’Amnesty et du Guardian de Londres, à propos de vols effectués depuis et vers des aéroports britanniques et irlandais. Et bien, on aurait pu s’attendre à ce que l’importance donnée par Marty sur le cas italien suscite l’intérêt des medias italiens sur les dénonciations d’Amnesty et du manifesto. Si l’on va lire les articles publiés avec un certain relief sur les plus grands quotidiens italiens pendant les jours qui ont suivi le rapport Marty, on ne trouvera aucune trace des circonstances dénoncées ci-dessus.

A l’improviste, des médias qui pourtant avaient consacré beaucoup de place et d’enquêtes à l’inculpation des agents étasuniens pour le cas Abou Omar, décident que ce n’est pas la peine d’informer leurs lecteurs ou spectateurs sur des faits cités dans les dénonciations par Amnesty et il manifesto. Sommes-nous peut-être trop proches des élections pour mettre en ultérieures difficultés le gouvernement Berlusconi ou un possible gouvernement successif de l’Union (centre-gauche, ndt) dans leurs rapports avec l’administration étasunienne ?

Sergio Finardi



 Source : www.ilmanifesto.it

 Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio



URL de cet article 3264
   
La Stratégie du Choc
Naomi KLEIN
Qu’y a-t-il de commun entre le coup d’état de Pinochet au Chili en 1973, le massacre de la place Tiananmen en 1989, l’effondrement de l’Union soviétique, le naufrage de l’épopée Solidarnösc en Pologne, les difficultés rencontrées par Mandela dans l’Afrique du Sud post-apartheid, les attentats du 11 septembre, la guerre en Irak, le tsunami qui dévasta les côtes du Sri-Lanka en 2004, le cyclone Katrina, l’année suivante, la pratique de la torture partout et en tous lieux - Abou Ghraib ou (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

Parfois sans le savoir, nous gagnons tous les jours. Ailleurs.

Viktor Dedaj

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.