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La très étrange transaction de 170 millions d’euros entre Areva et M. Bolloré

En 2003, Areva aurait pu acquérir l’usine de pièces nucléaires du Creusot pour une bouchée de pain. Il a préféré l’abandonner à Michel-Yves Bolloré, et lui racheter trois ans plus tard pour 170 millions d’euros. Au coeur de la tractation, une usine d’où sont sorties des pièces défectueuses de l’EPR de Flamanville..

Sur la terrasse du petit restaurant cannois flotte une agréable odeur de poisson grillé. De l’autre côté de la palissade, la plage ensoleillée s’égaye des rires des estivants. Mais Jean-François Victor a la mine sombre. L’élégant septuagénaire roule une cigarette et fait défiler une nouvelle fois toute l’histoire : le rachat en 2006 par Areva (dont l’État est actionnaire à plus de 95 %) de l’Unité industrielle de grande mécanique (UIGM) du Creusot (Saône-et-Loire) pour 170 millions d’euros, alors qu’Areva aurait pu l’acquérir pour une bouchée de pain trois ans plus tôt. Grand bénéficiaire de ce pactole, Michel-Yves Bolloré, frère aîné de Vincent et propriétaire de l’UIGM depuis 2003 : en revendant l’affaire à Areva, il a empoché plus de quinze fois sa mise de départ.

Comment le groupe nucléaire a-t-il pu se lancer dans une opération aussi ruineuse ?

Reprenons cette intrigante histoire, qui retentit aujourd’hui avec les défauts de fabrication des pièces du réacteur EPR. En 1999, Framatome, qui allait se fondre dans Areva en 2001, possède au Creusot une activité d’usinage, dont il cherche à se débarrasser. C’est dans cette usine que se déroule la dernière étape de la fabrication d’une pièce nucléaire après la coulée du lingot et le forgeage. Framatome se rapproche alors de la société Seeb [1], basée en Saône-et-Loire. En 2001, Framatome et Seeb créent ensemble l’UIGM. Seeb en détient 60 % du capital et Framatome, devenu Areva, en conserve 30 %.

Mais très vite, les difficultés s’accumulent. En septembre 2002, l’UIGM accuse plus de 200.000 euros de perte nette. Jean-Claude Lajugie, PDG de Seeb et dirigeant l’UIGM, décide de passer la main. Il se tourne vers France Essor, dirigé par Michel-Yves Bolloré. France Essor s’est implanté en Saône-et-Loire en 2000 en rachetant deux sociétés industrielles du département, la Sfar et la Civad.

M. Lajugie avait déjà eu affaire à M. Bolloré moins de deux ans auparavant. « La Sfar avait été un concurrent pour le rachat de l’UIGM, et un candidat malheureux », dit-il à Reporterre. « Il n’avait pas digéré le fait que nous ayons remporté l’affaire. » M. Lajugie se souvient d’un épisode en particulier : au moment de l’appel d’offres pour le rachat, « alors qu’il y avait en lice la Sfar et Seeb, c’est-à-dire Bolloré et moi, Bolloré a voulu que nous déjeunions pour me connaître et voir comment j’envisageais les choses. Tout doux, tout miel, il m’a simplement expliqué que je ne faisais pas le poids pour garder cette entreprise, que j’étais un petit garçon et qu’il fallait que j’abandonne ! » Heureusement pour M. Lajugie, « l’ancien directeur du Creusot, qui faisait partie du directoire de Framatome, était un gars bien. C’est avec lui que j’avais négocié le plan de cession. Il a fait ce qu’il fallait et a écarté l’offre de Bolloré. C’est quand ce monsieur est parti à la retraite que tout est parti en couille ».

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