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De la dignité de ceux qui n’ont rien à l’indigence de ceux qui ont tout.

Quand le simplisme de la pensée indigente oppose échec et succès

La pensée indigente a cette particularité de laisser retentir, dans ses moindres soupirs, des échos angoissants d’une suffisance qui dissimule encore très mal la plénitude de la bêtise de ceux et celles qui y adhèrent. Et comme pour confirmer la thèse de l’indigence pour tous, les échos de cette suffisance se manifestent à la fois au nord et au sud de la vie, par-delà les clichés qui divisent le monde en riches et en pauvres, en pays développés et pays sous-développés, en peuples cultivés et peuples analphabètes.

Forts de leur appui financier et de leur accointance médiatique, les représentants de cette idéologie indigente, promue par le capitalisme sauvage, n’hésitent plus à opposer ceux qui réussissent et ceux qui échouent, ceux qui sont tout et ceux qui ne sont rien, ceux qui sont riches et ceux qui sont pauvres.

On se souvient en Haïti que quelque temps, après sa victoire électorale, fortement soutenue et promue par les réseaux locaux et internationaux d’accointances mafieuses, Michel Martelly avait traité de « petits avocats pauvres » les deux hommes de loi qui avaient osé déposer une plainte contre sa famille pour corruption. Six ans plus tard, c’est son successeur, promu par le même réseau soutenant ardemment raclures et crapules, qui, au lendemain de sa victoire, avait aussi défrayé la chronique en disant que « la richesse est une vertu » tout en négligeant pas de placer sa présidence sous le signe de la « redevance envers le secteur d’affaires » qui l’a fait « élire ».

On voit bien émerger à travers le langage de ce profil d’hommes politiques une constante sous la forme d’un mépris certain pour les honnêtes gens qui n’ont pas réussi à accéder à la vertu par le truchement de la richesse.

On serait tenté de croire que ces marques de pensée méprisante pour les trois quarts de l’humanité sont le monopole d’hommes et de femmes ayant un grand déficit de culture comme c’est flagrant chez les deux exemples cités plus haut. Mais rien n’est plus faux. Car en France aussi, on retrouve les échos de cette pensée indigente. En effet, le président français, brillant énarque de son état, vient de nous prouver, encore une fois, qu’indépendamment de la culture, l’indigence est la chose la mieux partagée parmi les adeptes du modèle politique triomphant. Ainsi, est-il allé de son cru suffisant en opposant « ceux qui ont réussi et ceux qui ne sont rien ».

Questionner le modèle d’affaires qui détermine les voies du succès et de l’échec

Evidemment, toute chose étant par ailleurs égale, dans le simplisme de cette pensée, il n’est pas question de distinguer ceux qui ont réussi honnêtement et ceux qui mettent en place ou bénéficient de mécanismes frauduleux pour réussir au détriment des règles d’éthique. Dans ce monde manichéen qui méprise les petites gens, la célébration de la richesse est un éloge au modèle d’affaires qui légitime et valorise la corruption. Les nombreuses affaires de corruption qui noircissent le profil des politiques d’ici et d’ailleurs et augurent de leur sombre destin judiciaire nous rappellent que la réussite n’est pas toujours légale. Ainsi, à travers ce mépris pour ceux qui ne sont rien parce qu’ils n’ont rien, c’est tout un modèle basé sur l’honnêteté et l’effort qu’on exècre sur l’autel de la richesse devenue, par inversion, vertu et symbole de la réussite.

Pourtant, si tant est que la réussite soit une marque distinctive, il est essentiel qu’elle ait des fondements éthiques. D’où la nécessité de questionner les voies qui déterminent le succès des uns et l’échec des autres. Car dans certains pays, la réussite est intimement liée à un certain modèle d’affaires qui structure la médiocrité, récompense la corruption et valorise la soumission. En ces lieux, réussir, c’est renoncer à son humanité et à sa dignité. C’est se dépouiller de ce qu’on a de meilleur pour accéder à ce superflu de richesse qui souvent déshumanise et enlaidit.

Dès lors, chaque fois que l’envie nous prend de mettre en avant notre réussite, il est de bon ton de regarder ou de questionner le modèle d’affaires qui détermine le succès que nous revendiquons. Car certains succès ne sont que des éloges à la crapulerie. En effet, quand ceux et celles qui se targuent de réussir doivent leur succès à la corruption, à la soumission et à la transgression des normes éthiques, il y a de la dignité à échouer et à n’être rien.

L’échec comme outil d’apprentissage à valoriser

Ainsi, opposer ceux qui sont et ceux qui ne sont rien, ceux qui sont qui riches et ceux qui sont pauvres, ceux qui ont réussi et ceux qui ont échoué est un produit de la pensée indigente. Car la pensée scientifique nous enseigne depuis Gaston Bachelard que le succès n’est jamais rien d’autre qu’un ensemble d’échecs rectifiés.

Le succès se situe donc dans le prolongement de l’échec. Et celui-ci doit être valorisé comme un outil d’apprentissage, « une étape incontournable dans un processus d’essais-échecs » permettant d’aboutir au succès. Évidemment, pour positiver l’échec, il faut tout un dispositif permettant d’identifier et de « mémoriser ses leçons » afin d’aboutir à une « rectification du comportement » et de la stratégie jusqu’à ce que le succès survienne.

C’est en cela que le modèle d’affaires est important pour permettre à ce que ce ne soit pas un réseau d’accointances mafieuses, mais bien un réseau de compétences et d’intelligence éthique, qui modélise le succès.

Mais au-delà de cette démarche de « positivation » de l’erreur, il y a lieu aussi de rappeler que le succès a ceci d’éclatant qu’il génère toujours une énergie qui irradie davantage de lumière pour éclairer le chemin de ceux qui ne sont rien. Car toute vraie réussite est appelée à devenir éclairage pour lutter contre la désespérance et l’échec. C’est la réussite indigente qui, n’étant qu’enfumage et obscurité, tend à s’opposer aux autres et à s’affirmer contre les autres.

Et c’est avec force raison que cette réussite indigente fasse l’objet de l’indignation et de la colère de ceux qui ne sont rien. Pour autant, il est temps de savoir mobiliser intelligemment notre indignation pour lutter collectivement contre les politiques et les modèles d’affaires qui rendent possible ces réussites indigentes.

C’est seulement ainsi que nous pourrons contrer l’indigence triomphante et rappeler à ces adeptes, énarques ou incultes, idiots ou crapules de service que dans une gare il y a ceux qui trouvent par bonheur leur place et qui, dans une intelligence collaborative, aident les autres à trouver la leur, pour que chacun s’oriente vers sa trajectoire individuelle dans la grand train qui chemine vers la réussite collective.

Erno Renoncourt, 2 juillet 2017

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Karl Marx, Le Capital, chapitre 22

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