Richard Falk, professeur de droit international et auteurs de nombreux livres, s’interroge sur l’annonce soudaine par l’Arabie Saoudite, l’Egypte, le Bahrein, les Emirats Arabes Unis , le Yemen et les Maldives, de la rupture des relations économiques et politiques avec le Qatar.
"Ce tsunami a donné lieu, dit-il, a une foule de suppositions et supputations d’autant qu’il intervenait parallèlement à l’attentat contre l’Iran, son parlement et la tombe de l’ayatollah Khomeyni. Mais une chose est sûre, il ne faut y voir en aucun cas un renforcement de l’axe anti-Daech, revendiqué par l’Arabie Saoudite et auquel se serait joint Donald Trump.
"S’il est difficile de s’y retrouver, les versions officielles, ne tiennent pas la route, car ni l’Iran, ni le Qatar n’ont encouragé les extrêmistes djihadistes en Syrie ou ailleurs, contrairement à l’Arabie Saoudite.
En revanche l’Arabie et Israel entretiennent depuis quelques années des griefs contre le Qatar, qui n’ont rien à voir avec Daech. On peut d’ailleurs s’interroger sur le fait que ni l’Arabie Saoudite, ni les Emirats Arabes Unis, ni Israël n’aient jamais été ciblés par Daech.
De la part du gouvernement de Riyad, on imagine davantage un moyen de faire diversion quant à ses liens avec le terrorisme, car il est tout de même assez connu qu’y compris les membres de la famille royale soudienne financent les djihadistes les plus extrêmistes au Moyen-Orient, et ont dépensé des milliards pour répandre le salafisme le plus déchaîné dans tout le monde islamique.
En comparaison, le Qatar, qui ne peut être totalement innocenté de tout lien avec le terrorisme, et qui est certes un régime oppressif, notamment par rapport à ses très nombreux travailleurs immigrés, est un acteur mineur des menées à haut risque au sein de la région.
Et Trump, qui semble cautionner cette nouvelle alliance anti-Qatar, ne devrait pas oublier qu’il dispose au Qatar de sa plus grande base militaire américaine (al-Udeid Air Base) au Moyen-Orient, avec 10.000 soldats américains sur place, et une rampe de lancement pour les bombardements contre l’Irak et l’Afghanistan.
Que Netanyahou soit ravi de cette nouvelle division, n’est en revanche pas surprenant, car elle conjugue l’avantage de créer du chaos supplémentaire dans le monde arabe, et d’accentuer la pression sur l’Iran.
L’Arabie Saoudite est inquiète concernant le rapport dont Jeremy Corbyn a demandé la publication au gouvernement britannique, et qui établit ses responsabilités dans les attentats djihadistes. Tout est donc bienvenu pour en détourner l’attention.
Mais l’Iran, ne l’oublions pas, combat Daech en Syrie, et poursuit une politique modérée, comme l’a montré la réelection de son président récemment. On peut même dire qu’il y aurait tout intérêt à intégrer l’Iran dans la diplomatie internationale, afin de calmer le jeu dans la région.
Mais ni Israel, ni l’Arabie Saoudite ne lui pardonnent d’avoir soutenu le Hezbollah et le Hamas, ni d’avoir donné refuge à des dirigeants des Frères Musulmans persécutés par le régime de Sissi, ou encore d’héberger Khaled Mashaal de la bande de Gaza.
Ils lui en veulent également d’avoir accueilli favorablement les "printemps arabes", là où ils demandaient aux Etats-Unis de les écraser et de soutenir Moubarak en Egypte. Ils ont accueilli à bras ouverts et avec soulagement le coup d’Etat du dictateur Sissi et sa sanglante répression.
L’Arabie saoudite et les Emirats Arabes Unis redoutent plus que tout une contagion démocratique dans leurs pays. La minorité chiite est en outre concentrée près des champs pétroliers.
La présence par ailleurs de la chaine Al-Jazeera à Doha est une autre épine dans le pied des régimes du Golfe et d’Israël. La Chaîne a non seulement soutenu les soulèvements de 2011, mais ses sympathies pour la cause palestinienne, et ses critiques de la politique israélienne, ne sont pas pour leur plaire.
Le Qatar a également donné refuge à Azmi Bishara, opposant palestinien à la citoyenneté israélienne, que Netanyahou aurait volontiers emprisonné.
Le Qatar est très vulnérable aux pressions, mais il a également quelques atouts dans sa manche.
Sa population de 2,5 millions d’habitants ne comprend que 200.000 personnes ayant la nationalité qatarie. Il importe 40 % de sa nourriture par sa frontière avec l’Arabie Saoudite, actuellement fermée aux 600 à 800 camions qui la traversaient quotidiennement. La panique s’est donc emparée des Qataris à l’annonce soudaine de la fermeture de cette frontière, et ils ont dévalisé les magasins pour constituer des stocks.
Mais le Qatar est par ailleurs le plus gros exportateur mondial de gaz naturel liquéfié, et une source majeure d’investissement pour le capital turc.
Quant à l’Europe occidentale, elle s’inquiète des projets de Trump de mettre en place un "OTAN arabe", et se méfie de plus en plus de la conduite des affaires du monde par les USA.
Que va-t-il se passer maintenant ? Une tempête dans un verre d’eau ? Il est en tout cas peu probable que l’Iran, la Russie et la Turquie restent passifs si la crise se durcit et se poursuit.
Le ministre iranien des affaires étrangères a souligné dans un tweet que "les voisins sont permanents et que la géographie ne peut être modifiée", en appelant au dialogue. Si la crise n’est pas résolue rapidement. On peut s’attendre à ce que l’Iran approvisionne le Qatar en nourriture et autres produits de première nécessité.
La Russie qui collabore depuis longtemps avec l’iran contre les terroristes de Daech en Syrie, prendra sans doute l’Europe à témoin de cette désastreuse déstabilisation du monde par Trump, qui a déjà créé un grand mécontentement en se retirant de l’accord de Paris sur le climat.
La Turquie, qui s’est offerte en tant que médiateur pour aplanir la situation, a des intérêts au Qatar, sur e plan économique et militaire."
A suivre...
Richard Falk
"Global Justice in the 21st Century". https://richardfalk.wordpress.com/2017/06/07/interrogating-the-qatar-rift/
Traduit par CAPJPO-EuroPalestine