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Après cette guerre.

[ J’ai entendu des gens appartenant à tout l’éventail des couleurs politiques invoquer l’argument suivant contre cette possibilité : nous ne pourrons jamais éliminer la guerre parce qu’elle fait partie de la nature humaine. Or, l’histoire nous fournit la réfutation la plus concluante à cet argument : elle ne nous montre nulle part des peuples qui se précipitent spontanément pour faire la guerre à d’autres peuples. ]

7 janvier 2006

Tôt ou tard, la guerre contre l’Irak, l’assaut contre son peuple, l’occupation de ses villes, se termineront. Ce processus a déjà commencé : les premiers signes de « mutinerie » apparaissent au sein du Congrès ; les premiers éditoriaux appelant à un retrait de l’Irak paraissent dans la presse ; depuis quelque temps, le mouvement anti-guerre se renforce, lentement mais sûrement, dans tout le pays.

Des sondages effectués récemment montrent que le pays est résolument contre la guerre et contre l’administration Bush. Les dures réalités commencent à se faire jour. Les troupes devront rentrer.

Pendant que nous oeuvrons avec une détermination accrue pour que cela arrive, ne devrions-nous pas - même avant la fin de cette guerre honteuse - commencer à réfléchir à comment mettre un terme à notre addiction à la violence de masse, et à utiliser les énormes richesses de notre pays pour satisfaire les besoins humains ? Autrement dit, ne devrions-nous pas commencer à envisager de mettre un terme non seulement à cette guerre, mais à la guerre en tant que telle ? Peut-être le moment est-il venu pour mettre un terme à la guerre et pour conduire l’humanité sur la voie de la santé et de la guérison.

Un groupe de personnalités connues au niveau international, et célébrées aussi bien pour leur talent que pour leur engagement pour les droits humains - Gino Strada, Paul Farmer, Kurt Vonnegut, Nadine Gordimer, Eduardo Galeano et d’autres encore - va bientôt lancer une campagne au niveau international dans le but d’engager des dizaines de millions de gens dans un mouvement pour renoncer à la guerre. Ils espèrent que ce mouvement atteindra une telle ampleur que des gouvernements, confrontés à une résistance populaire, trouveront difficile, voire impossible, de mener la guerre. Peut-être le moment est-il arrivé où une telle idée pourrait prendre de l’ampleur.

J’ai entendu des gens appartenant à tout l’éventail des couleurs politiques invoquer l’argument suivant contre cette possibilité : nous ne pourrons jamais éliminer la guerre parce qu’elle fait partie de la nature humaine. Or, l’histoire nous fournit la réfutation la plus concluante à cet argument : elle ne nous montre nulle part des peuples qui se précipitent spontanément pour faire la guerre à d’autres peuples. Ce que nous voyons, par contre, ce sont des gouvernements qui font des efforts acharnés pour mobiliser les populations pour faire la guerre. Ils doivent séduire des soldats avec des promesses d’argent, d’éducation, ils doivent persuader des jeunes dont les perspectives sont extrêmement limitées, qu’il y a là une chance d’obtenir du respect et un statut social. Et lorsque ces manoeuvres de séduction ne donnent pas les résultats escomptés, les gouvernements doivent utiliser la coercition - ils doivent recruter de force les jeunes, les obliger à faire leur service militaire, les menacer de prison s’ils ne s’y soumettent pas.

En outre, le gouvernement doit persuader les jeunes et leurs familles que, malgré le fait que le soldat peut mourir, ou perdre ses bras ou ses jambes, ou devenir aveugle, tout cela est pour une noble cause, pour Dieu, pour la patrie.

Quand on examine les innombrables guerres de ce siècle, on n’y trouve pas des opinions publiques qui réclament la guerre, mais plutôt une résistance publique à la guerre. Et cette résistance ne cède que devant le barrage d’exhortations qui font appel non pas à un instinct meurtrier mais plutôt à un désir de faire le bien, de répandre la démocratie ou la liberté, ou de renverser un tyran.

Thomas Woodrow Wilson [démocrate, président des Etats-Unis de 1913 à 1921] avait constaté que l’ensemble des citoyens était tellement réticent à entrer dans la boucherie de la Première Guerre mondiale que, lors de sa campagne présidentielle de 1916, il a promis de rester en dehors : "Il peut arriver qu’une nation soit trop fière pour combattre." Mais après son élection, il a demandé au Congrès - qui a accepté - une déclaration de guerre. Le déferlement de slogans patriotiques s’est enclenché, des lois ont été votées pour permettre l’emprisonnement des dissidents, et les Etats-Unis ont rejoint la boucherie [Première Guerre mondiale] qui se déroulait en Europe.

Durant la Deuxième Guerre mondiale, il y avait effectivement un impératif moral fort et qui résonne encore parmi la plupart des gens de ce pays [Etats-Unis], et qui fait que la Deuxième Guerre mondiale est encore vue comme étant une "bonne" guerre. Il est vrai qu’il fallait vaincre la monstruosité du fascisme. C’est cette conviction qui m’a conduit à m’engager dans les forces aériennes et à mener des missions de bombardement au-dessus de l’Europe.


Ce n’est qu’une fois la guerre finie, que j’ai commencé à remettre en question la pureté de cette croisade morale. En lâchant des bombes depuis une distance de 5 milles, je n’avais pas vu d’êtres humains, ni entendu des cris, ni vu des enfants déchiquetés. Mais, maintenant, il faut aussi tenir compte de Hiroshima et Nagasaki, des bombes incendiaires lancées sur Tokyo et sur Dresde, les morts de 600’000 civils au Japon et un nombre similaire en Allemagne.

Et c’est ainsi que dans le domaine de ma propre psychologie et celle des autres combattants, je suis arrivé à la conclusion suivante : une fois que nous avions décidé que notre camp était du côté du Bien et le camp adverse du côté du Mal, une fois ce calcul à la fois simple et simpliste accompli, nous n’avions plus besoin de réfléchir. Nous pouvions commettre des crimes innommables sans nous poser de questions.

J’ai alors commencé à réfléchir aux motivations des puissances occidentales et de la Russie soviétique, et je me suis demandé s’ils étaient davantage motivés par la destruction du fascisme ou par leur souci de conserver leurs propres empires, leur propre pouvoir, et si c’était pour cela qu’ils avaient des priorités plus importantes que de bombarder les voies de chemin de fer qui conduisaient à Auschwitz. Sur les six millions de Juifs tués dans les camps de la mort (parce qu’on a permis leur mort ?), seuls 60’000 ont été sauvés par la guerre - soit 1%. Un mitrailleur dans une autre unité, un lecteur d’histoire avec lequel je m’étais lié d’amitié, m’a dit un jour : "Tu sais, ceci est une guerre impérialiste. Les fascistes sont mauvais, mais notre camp n’est guère mieux." A l’époque, je ne pouvais accepter cette déclaration, mais elle m’est restée en mémoire.

Je suis arrivé à la conclusion que la guerre crée, de manière insidieuse, une moralité commune aux différents camps. Elle empoisonne tous ceux qui s’y engagent, quelles que soient par ailleurs leurs différences, elle les transforme, comme nous le voyons actuellement, en tueurs et en tortionnaires. On a l’impression que la guerre est destinée à renverser des tyrans, et parfois cela arrive effectivement, mais les gens abattus sont les victimes des tyrans. On croit que la guerre peut éradiquer le Mal du monde, mais cela ne dure pas, car la nature même de la guerre fait qu’elle engendre encore davantage de maux. Et j’ai conclu que la guerre, comme la violence en général, est une drogue. Elle donne un moment d’exaltation, le frisson de la victoire, mais cela ne tarde pas à se dissiper, pour laisser la place au désespoir.

Quoi qu’on puisse dire au sujet de la Deuxième Guerre mondiale, en en comprenant toute la complexité, les situations qui sont venues par la suite - la Corée, le Vietnam - étaient tellement éloignées du type de menace qu’avaient fait peser sur le monde l’Allemagne nazie et le Japon, que ces guerres ne pouvaient être justifiées qu’en faisant encore allusion au mythe de la "bonne" guerre. L’hystérie au sujet du communisme a conduit au maccarthysme [campagne lancée par le sénateur républicain Joseph McCarthy - 1909-1957 - dès 1950 contre des milliers de personnes et personnalités qualifiés de « communistes »] propre aux Etats-unis et aux interventions militaires (ouvertes ou secrètes) en Asie et en Amérique latine - prétendument justifiées par une "menace soviétique", menace qu’on a exagérée juste ce qu’il fallait pour mobiliser les gens pour qu’ils fassent la guerre.

Mais le Vietnam s’est révélé être une expérience dégrisante, qui, sur une période de plusieurs années, a permis au public américain de commencer à voir au-delà des mensonges qui lui avaient été débités pour justifier ce bain de sang. Les Etats-Unis ont été obligés de se retirer du Vietnam, et le monde ne s’est pas effondré pour autant. La moitié d’un minuscule pays au Sud-Est asiatique a ainsi rejoint son autre moitié [Vietnam du Nord], communiste, alors que 58’000 vies américaines et des millions de vies vietnamiennes avaient été gaspillées pour éviter ce résultat. Une majorité d’Américains en étaient venus à s’opposer à la guerre, ce qui a suscité le plus vaste mouvement anti-guerre de l’histoire de la nation. A la fin de la guerre au Vietnam, le public en avait assez de la guerre. Je pense qu’une fois dissipés les brouillards de la propagande, le peuple américain a pu revenir à un état plus naturel. Des sondages ont montré que les gens des Etats-Unis étaient opposés à l’envoi de troupes ailleurs dans le monde, pour quelque raison que ce fût. Et l’establishment s’en est alarmé. Le gouvernement s’est délibérément employé à surmonter ce qu’il appelait "le syndrome vietnamien". Comme si l’opposition aux interventions militaires à l’étranger était une maladie dont il fallait guérir. Et c’est ainsi qu’ils ont sevré le public américain de cette attitude pathologique, en contrôlant plus strictement l’information, en évitant la conscription, et en s’engageant dans des guerres courtes et rapides, contre des adversaires faibles (La Grenade [1983, sous Reagan : opération Urgent Fury], Panama [1989, sous Bush père : intervention intitulée Juste Cause], Irak), en évitant de donner au public le temps de construire un mouvement anti-guerre.

Je pense que la fin de la guerre au Vietnam a permis au peuple des Etats-Unis de se débarrasser du "syndrome guerrier", une maladie qui n’est pas naturelle au corps humain. Mais l’infection pouvait encore survenir, et le 11 septembre a fourni au gouvernement cette opportunité. Le terrorisme est devenu la justification de la guerre. Le terrorisme reste un phénomène effrayant partout dans le monde. Mais, comme nous le constatons actuellement, la guerre ne peut arrêter le terrorisme, car la guerre elle-même est terroriste, engendrant colère et haine. La guerre se substitue à une véritable campagne pour miner les racines mêmes du terrorisme, et les Etats-Unis ont adopté cette voie, parce que le fait d’affronter les questions fondamentales, au lieu de s’en prendre aux symptômes, exigerait des changements politiques radicaux.

La guerre en Irak a exposé l’hypocrisie de la "guerre contre le terrorisme". Je ne pense pas que notre gouvernement pourra, une fois de plus, faire ce qu’il a fait après le Vietnam, à savoir préparer la population a une nouvelle plongée dans la violence et le déshonneur. Il me semble que lorsque la guerre en Irak se terminera, et lorsque le syndrome guerrier sera guéri, il y aura une chance de faire en sorte que cette guérison soit permanente. J’espère que la mémoire de la mort et de la honte sera tellement intense que la population des Etats-Unis pourra entendre le message, que le reste du monde, dégrisé par des guerres sans fin, peut aussi comprendre.

Nous sommes peut-être sur le point d’atteindre d’une compréhension mondiale du fait que la guerre, définie en tant que tuerie aveugle d’un grand nombre de personnes (sous réserve d’intervention humanitaire pour prévenir des atrocités), ne peut plus être acceptée, pour quelque raison que ce soit. En effet, la technologie guerrière a atteint un tel stade qu’inévitablement 90% des victimes sont des civils, et, parmi elles, beaucoup sont des enfants. Ainsi, n’importe quelle guerre, quels que soient les termes utilisés pour la justifier, est une guerre contre des enfants.

Le gouvernement des Etats-Unis - et d’autres gouvernements ailleurs - a été exposé comme n’étant pas digne de confiance. Autrement dit, on ne peut leur confier la sécurité d’êtres humains, ni la sécurité de la planète, ni la sauvegarde de l’eau ou des ressources naturelles, ni l’éradication de la pauvreté, cette maladie qui se répand à un rythme alarmant au gré des désastres naturels qui frappent tant d’êtres humains parmi les 6 milliards qui peuplent cette terre.

Il est vrai que ce sont les gouvernements qui détiennent le pouvoir, qui monopolisent les richesses, qui contrôlent l’information. Mais ce pouvoir, même s’il peut paraître écrasant, est aussi fragile. Il dépend en effet de l’acceptation, de la soumission des peuples. Lorsque cette subordination fait défaut, les entités les plus puissantes, les gouvernements armés, les firmes richissimes, ne peuvent plus poursuivre leurs guerres ou leurs affaires. Des grèves, des boycotts, le refus de coopérer peuvent réduire à l’impuissance les institutions les plus arrogantes.

Le gouvernement le plus puissant de la terre, celui des Etats-Unis, a dû se retirer du Vietnam lorsqu’il n’a plus pu compter sur la loyauté de ses militaires et le soutien de ses citoyens. Il existe un pouvoir plus grand que les fusils et la richesse. Il est arrivé, occasionnellement, au cours de l’histoire, que cette puissance se manifeste pour arrêter des guerres, pour renverser des tyrannies. Peut-être le moment est arrivé d’en terminer avec la guerre, et de conduire l’humanité sur la voie de la santé et de la guérison.

Je me dois de citer Einstein, qui a réagi contre des tentatives d’"humaniser" la guerre, dans ces termes : "La guerre ne peut pas être humanisée, elle ne peut être qu’abolie." Les fortes vérités doivent être répétées jusqu’à ce qu’elles pénètrent de manière indélébile dans nos pensées, jusqu’à ce qu’elles se transmettent à d’autres, jusqu’à ce qu’elles deviennent comme un mantra répété partout dans le monde, jusqu’à ce que le son de ces mots devienne assourdissant, et noie enfin le bruit des fusils, des roquettes, des avions. (Trad. de l’américain.)

Howard Zinn

Howard Zinn est un des rares historiens américains, connus, qui ont traité l’histoire des Etats-Unis à partir « d’en bas ». C’est avec un grand retard que son oeuvre magistrale a été traduite en français : Une histoire populaire des Etats-Unis de 1492 à nos jours, aux Editions Agone. On trouve aussi, chez le même éditeur, un ensemble de réflexions politiques et historiques importantes qui porte le titre : Nous le peuple des Etats-Unis (2004). Howard Zinn a publié une autobiographie fort intéressante intitulée : You Can’t Be Neutral on a Moving Train : A Personal History of Our Times, Beacon Press, 2002.

 Source : www.alencontre.org

Peinture : Margari
margari@wanadoo.fr..

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Les rares personnes qui comprendront le système seront soit si intéressées par ses profits, soit si dépendantes de ses largesses qu’il n’y aura pas d’opposition à craindre de cette classe-là  ! La grande masse des gens, mentalement incapables de comprendre l’immense avantage retiré du système par le capital, porteront leur fardeau sans se plaindre et peut-être sans même remarquer que le système ne sert aucunement leurs intérêts.

Rothschild Brothers of London, citant John Sherman, communiqué aux associés, New York, le 25 juin 1863.

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