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Il a peut-être insulté Obama, mais Duterte a aussi renvoyé aux Etats-Unis leur propre image. (The Conversation)

Le président philippin Rodrigo Duterte - qui a acquis une notoriété mondiale avec ses insultes proférées lors de la campagne présidentielle plus tôt cette année – vient de monter un peu plus haut la barre de ses « mauvaises manières »

Lors d’une conférence de presse à l’aéroport international de Davao lundi, en chemin pour rencontrer le président américain Barack Obama et d’autres dirigeants au sommet de l’ASEAN, Duterte murmura quelques mots en tagalog, à la fin d’une réponse longue et irritée à un journaliste local. Avec ces mots, il a de nouveau fait parler de lui dans la presse internationale.

S’il n’y avait que ça, nous pourrions nous contenter de pousser un soupir d’agacement et passer à autre chose. Après tout, le langage de Duterte est vulgaire ; ses calomnies envers des personnes et des groupes sont susceptibles d’inciter à la violence ; et sa détermination à tuer les trafiquants de drogue (pour « combattre le crime par le crime ») un abus de pouvoir. Il ne devrait pas être défendu pour ça.

Mais en tant que personne qui a passé beaucoup de temps à étudier les relations américano-philippines, je pense qu’il y a quelque chose de plus en jeu ici. Et si nous voulons juger le président des Philippines (et, par conséquent, la nation qui l’a élu) sur le terrain moral, je pense que nous avons la responsabilité de prêter un peu plus d’attention.

Le rappel d’une histoire occultée

« Qui est-il pour me questionner sur les droits de l’homme et les exécutions extrajudiciaires ? » demanda Duterte, lundi. Une très bonne question, en fait, et une question qui aurait du être posée il y a bien longtemps par un président Philippin. L’étendue de la violence des relations entre les Etats-Unis et les Philippines a été très largement occultée par une histoire rédigée en majeure partie par les Étasuniens eux-mêmes.

Tout a commencé par une guerre de trois ans (1899-1902) dont la plupart des Étasuniens n’ont jamais entendu parler. La guerre renversa une république philippine nouvellement indépendante et coûta la vie à entre 250.000 et un million de Philippins – pour être finalement qualifiée de « grand malentendu » par les auteurs coloniaux étasuniens.

Après tout, les États-Unis avaient choisi les Philippines pour être leur grande « vitrine de la démocratie » en Asie. L’invasion fut un acte bienveillant. D’où l’effacement complet des actes de violence étasuniennes de l’histoire nationale philippine.

La 20ème des Volontaires du Kansas traversent Caloocan après la bataille du 10 février, 1899, au début de la guerre qui renversa la première république des Philippines. G.W. Peters/Internet Archive

Pas besoin d’être un conspirationniste pour sentir que quelque chose cloche. Depuis les années 1950, les auteurs, universitaires, journalistes et ainsi de suite philippins ont tenté de recadrer le récit historique pour souligner le fait suivant : être envahi par une puissance militaire, s’entendre dire que l’on ne possède pas les qualités ou les capacités requises pour exercer son autonomie, se voir ensuite contrôlé par une nation étrangère pendant quatre décennies, pour le plus grand avantage commercial et lucratif de l’occupant, n’est pas la définition d’un acte bienveillant.

A l’époque même de la guerre, l’un des auteurs les plus appréciés des Etats-Unis l’a écrit. Mark Twain fut prolifique en écrits sur le paradoxe de la « mission de démocratisation » aux Philippines.

Rédigé en 1901, mais toujours aussi poignant, voici un extrait de son essai, A la personne assise dans les ténèbres :

« La personne assise dans les ténèbres se dira très probablement : « Il y a là quelque chose de curieux – de curieux et d’inexplicable. Il doit y avoir deux Amériques : celle qui accorde la liberté à l’esclave, et celle qui arrache à l’esclave sa liberté retrouvée, et prend querelle avec lui sans raison ; puis le tue pour voler sa terre ».

Aux Etats-Unis, c’est une des œuvres les moins connues de Twain.

Avant sa (maintenant regrettée) remarque désagréable, Duterte avait beaucoup à dire en réponse à la question d’être confronté sur les droits de l’homme lors d’une prochaine rencontre avec Obama. Il répondait à des critiques selon qui, puisqu’il refusait d’entendre au sujet des exécutions extrajudiciaires aux Philippines, il suffisait d’attendre qu’il se retrouve face au Président des Etats-Unis.

Personne ne semble avoir écouté ou prêté attention aux six autres minutes de la réponse de Duterte. Alors permettez-moi d’en dire quelques mots. Ce fut la revendication d’une histoire des relations Philippines-États-Unis, un renvoi aux Etats-Unis de leur propre image dans ce "miroir" caché dont parlait Mark Twain il y a environ 100 ans.

Les Macabebe Scouts étaient une force de Philippins intégrée dans l’armée US durant la guerre Hispano-Américaine. The Ardvaark/Wikipedia Commons

Une affirmation d’indépendance

Répondre aux insinuations et sous-entendus, comme Duterte l’a fait, que les États-Unis auraient encore autorité sur la politique des Philippines, est un acte audacieux et effronté, mais raisonnable. Considérez sa déclaration :

« Je suis le président d’un Etat souverain. Et nous avons depuis longtemps cessé d’être une colonie. Je n’ai pas d’autre maître que le peuple philippin. »

Ces paroles sont moins l’expression d’une démagogie ou d’une intention de dénigrer personnellement Obama qu’une référence à l’histoire, et doivent être précisément interprétées comme telles.

Après la seconde guerre mondiale, les colonies de toutes sortes, y compris la soi-disant colonie « démocratique » des États-Unis aux Philippines, ne faisaient guère illusion. Mais cela n’a pas empêché Washington de continuer à revendiquer un droit d’accès aux domaines politiques et économiques des Philippines.

Lorsque les États-Unis ont finalement accordé aux Philippines sa (deuxième) indépendance en 1946, la nouvelle République a du modifier sa Constitution pour faire adopter une loi qui non seulement accordait des conditions commerciales préférentielles aux États-Unis, mais accordait aux citoyens US l’égalité des droits avec les Philippins pour l’accès aux ressources naturelles du pays. Ce fut le début d’une nouvelle phase : le néo-colonialisme.

Il ne s’agissait pas uniquement d’une question d’ingérence politique et de pouvoir faire ou défaire les présidents des Philippines avec l’approbation et le soutien financier stratégique. Dans un sens viscéral, la nation a toujours été surveillée et jugée par son « maître » démocratique.

Rentrée Scolaire : Oncle Sam dispense un cours de Civilisation (les élèves sont Philippines, Hawai, Puerto Rico, et Cuba) Puck Magazine 1899

Interrogé sur le fait d’être confronté par Obama sur la question des droits humains, Duterte a répondu :

« Tu te moques de moi ? Qui est-il pour me confronter ? L’Amérique a trop de choses à se reprocher dans ce pays ... En fait, nous avons hérité de ce problème des États-Unis. Pourquoi ? Parce qu’ils ont envahi ce pays et nous ont transformés en un peuple soumis... Puis-je expliquer les exécutions extrajudiciaires ? Et eux, peuvent-ils expliquer les 600.000 Moros massacrés sur cette île [Mindanao] ? Vous voulez voir les images ? C’est peut-être à lui qu’il faudrait poser la question. Et publiquement. »

Je me souviens d’un commentaire par Alicia Garza, un des fondateurs du mouvement Black Lives Matter qui est né à la suite des meurtres de Noirs américains par la police. S’exprimant à Sydney le week-end dernier au Festival des idées dangereuses, elle a raconté comment, lorsque les protestations des mouvements de droits civiques s’échauffent un peu, on lui demande souvent : « Pourquoi tant de colère ? » Elle fit une pause. Puis a ri doucement, pour donner le temps au public de réaliser tout le ridicule d’une telle question.

Question : pourquoi le président des Philippines est-il tellement en colère à l’idée d’être confronté par un président américain sur les violations des droits de l’homme ? Réponse : l’Histoire. Comme l’a dit Duterte lui-même lundi, les actes de violence du passé ne restent pas dans le passé. Ils se transmettent de génération en génération, en particulier lorsque l’injustice demeure inavouée et occultée.

Il est difficile d’approuver le style de Duterte. Il est certainement difficile d’ignorer les questions graves soulevées par la « guerre contre la drogue » de son administration. Nous devons condamner son abus de pouvoir.

Mais si nous condamnons le président pour ses récentes remarques parce que nous prétendons être préoccupés par les droits des Philippins tout en ne montrant aucun intérêt à reconnaître les crimes et injustices du passé commis contre eux, nous ne faisons que montrer notre propre hypocrisie.

Soyons honnêtes, si Duterte n’avait pas maudit et juré et offensé nos sensibilités, prêterions-nous attention aux Philippines ? Pour une fois, j’ai entendu un président philippin tenir tête aux États-Unis pour demander des comptes sur leurs double-discours et hypocrisies dans les relations américano-philippines. Et je ne pouvais m’empêcher de l’apprécier.

Adele Webb

Chercheuse, Département des Relations gouvernementales et internationales, Université de Sydney

Traduction "je sens déjà l’odeur d’une "révolution citoyenne" ou d’une "rébellion armée" aux Philippines qui se mijote dans les cuisines souterraines de la Maison-Blanche" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.

Ndt : en complément : comment est née une nouvelle légende urbaine ? :

[...]
Ceux qui parlent la langue ont aussi souligné que l’expression est beaucoup moins insultante en version originale mais paraît très crue lorsqu’elle est traduite en anglais.

"Putang ina signifie littéralement "mère putain" et est employé plus comme un expression d’agacement, de mécontentement ou de colère.... comme "merde alors !"," a dit Jason Paul Laxamana, un cinéaste qui écrit aussi des sous-titres en anglais pour des films philippins.

"ajouter ’mo’ à putang ina (’mo’ en Tagalog signifie ton/ta/à toi) c’est autre chose … et se traduit par "ta mère est une putain", ou "fils de putain" et devient une insulte dirigée contre quelqu’un de précis" dit-il.

Plusieurs retranscriptions confirment que M. Duterte a employé l’expression plus neutre putang ina

"Si je devais traduire par un sous-titre, j’écrirais "Merde alors, je vous maudirai lors de ce forum" " a dit Mr Laxamana

(sous-entendu : Duterte s’adressait au journaliste qui lui avait posé une question - NdT)

Lire le tout ici (en anglais) http://www.abc.net.au/news/2016-09-08/rodrigo-duterte-was-directing-comment-at-reporters-not-obama/7828078

»» https://theconversation.com/he-may-...
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