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Croire au Père Noël

Rio de Janeiro, le 28 juillet 2016

 Finalement, j’irais bien à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques.

 Quoi ? Cette imposture ruineuse ! Comme si Rio, déjà en faillite, avait besoin de ça !

Nous étions sur l’esplanade du Museo do Amanhã, le « Musée de Demain », dans la région portuaire de Rio de Janeiro, qui sortait à peine de travaux dantesques de rénovation, et qui s’appelait maintenant « Porto Maravilla », le « Port Merveille ». La « Merveille » était peut-être un peu exagérée, sauf pour les spéculateurs, comme toujours, qui voyaient leurs énormes bénéfices se profiler à l’horizon. Mais les travaux, c’est vrai, avaient revitalisé la zone et avaient aussi eu le bon de faire disparaître l’horrible voie express suspendue qui défigurait une bonne partie du centre historique de la ville.

Celle que je considérais comme ma belle-mère, cette incroyable vieille dame de 83 ans, trottinait sous l’énorme silhouette du musée, qui tenait à la fois du vaisseau spatial, de l’insecte et de la coquille vide, ce qui convenait assez bien, puisque c’était un musée consacré au virtuel, et donc au vent, au vide, à cette baudruche qui maintenait écartés de la marche du monde (et des coups d’État en cours, par exemple) des millions d’êtres humains sur la planète. L’endroit était bourré de militaires, pour nous rappeler que les Jeux olympiques arrivaient, cet événement admirable de sportivité, de fraternité et de désintéressement. Nous étions parvenus à la Praça Mauá par le nouveau tramway, toujours gratuit car le système de billetterie était tombé en panne aussitôt qu’il avait été mis en route.

Dona Annecy était scandalisée par ma suggestion.

 Aller à la cérémonie d’Ouverture ? Mais Armand, tu n’y penses pas ! Deus me livre ! (Dieu m’en garde !)

 Pourtant, ça me permettrait de faire d’une pierre deux coups.

J’aimais bien l’expression en portugais : « matar dois coelhos com uma so cajadada », l’équivalent de « Tordre le cou à deux lapins à la fois ».

 Comment ça ?

 Je pourrais à la fois huer le putschiste Temer et l’imposteur Hollande.

 Quoi ? Votre président sera là ?

 Des pays du G20, c’est le seul chef d’État annoncé, au milieu de grands démocrates comme Macri ou Cartes du Paraguay. J’ai vraiment honte pour la France. Mais il faut s’attendre à tout : le Consulat de France a accueilli à nouveau un séminaire promu par le journal O Globo, chef de file des putschistes, le même qui, il y a quelques jours dans un éditorial, a réclamé la fin des universités publiques. Même s’ils voient d’un bon œil ce changement de régime, ce qui n’étonnerait personne, le Consulat aurait pu au moins avoir la décence d’observer une certaine neutralité jusqu’au vote du sénat, fin août.

On entendit la voix de Richard, qui avait laissé sa petite pension pour l’après-midi aux soins de Claudinéia, qui continuait à se préparer pour un éventuel concours de juge, malgré les indices de sabrages prochains dans le judiciaire. Le gouvernement putschiste avait déjà commencé, en exonérant 200 employés sous contrat aux ministères de la Culture et de la Santé, et ça ne faisait que commencer :

 aucun ex-président brésilien ne sera là : ni Fernando Henrique Cardoso, ni José Sarney, ni Collor, ni Lula, ni évidemment Dilma. Ils ne sont pas fous, ils veulent laisser à Temer l’exclusivité des huées.

 Finalement, c’est une bonne idée d’aller à la cérémonie d’ouverture. On pourrait s’organiser pour créer des messages dans la foule, avec des chemises de couleurs différentes.

La vieille dame commençait à s’échauffer. Avec son enthousiasme et son imagination, qui sait quel message, subliminal ou non, elle était capable d’inventer. Et même de cacher un mégaphone sous d’amples jupons...

Janaina, ma délicieuse bientôt chômeuse par la faute de l’extinction de l’EBC (Entreprise Brésilienne de Communication - publique) que le président putschiste préparait, intervint :

 Mãe, a Senhora exagère, vous n’allez pas vous fourrer dans ce pétrin, et toi non plus, Armand, s’il te plaît.

J’aimais ce a Senhora, cette marque de respect de Janaína envers sa mère qu’elle vouvoyait. On le sait peu, mais la majorité des brésiliens vouvoient leurs parents. Et Janaina n’échappait pas à la règle.

 Janaína a peut-être raison, Dona Annecy. On entendra aussi bien les huées à la télévision, et puis c’est peut-être un peu dangereux. Comme l’a écrit Moreira Leite sur le site 247, il n’est pas nécessaire d’avoir lu « Machiavel pour les nuls » pour comprendre qu’une ambiance terroriste, voire carrément un attentat, serait bienvenu pour le gouvernement putschiste, pour montrer ses muscles et pousser le Sénat à valider l’impeachment.

Dona Annecy explosa :

 mais enfin mes enfants, c’est réglé déjà, bien sûr que le Sénat va voter l’impeachment ! Quant à montrer leurs muscles, les putschistes ont déjà commencé, avec l’arrestation hyper médiatisée d’une dizaine de pauvres types qui sont fondamentalistes islamistes comme je suis positiviste !

Ça nous rappelait que le président putschiste avait repris le slogan positiviste Ordem e Progresso (qui était répété plusieurs fois par jour à la télévision) - Ordre et progrès - de l’époque de la première République, la Republica Velha (1889-1930), dont Temer était l’héritier direct, par son élitisme, son conservatisme, son faux anti-esclavagisme et sa condescendance envers les intérêts étrangers. Il avait aussi repris le drapeau de l’époque de la dictature militaire de 1964, avec cinq étoiles (États) en moins, une provocation et un symbole qui ne disaient rien qui vaille pour l’avenir.

 Mais Mãe ! Il y a des sénateurs qui doutent vraiment, c’est tellement honteux pour le pays !

 Tu as raison, ma chérie, ils sont dans le doute, mais surtout quant aux portefeuilles ministériels que Temer est en train de leur distribuer.

 Ta mère dit vrai, Janaína. Pourquoi crois-tu que Romário, sénateur et ex-joueur de football, ait annoncé qu’il ne se serait plus candidat à la mairie de Rio ? Certainement parce que Temer lui a promis un joli portefeuille. Nous retrouverons tous les sénateurs hésitants dans le prochain gouvernement.

 C’est gai.

 Qu’est-ce qu’on fait ? On rentre à la maison ?

 Si on regardait un film pour se remonter le moral ?

 Quoi ? Queimada de Pontecorvo ? La Spirale d’Armand Mattelart ? Qui montre par le menu la préparation du coup d’Etat au Chili en 73 ? On bien pourquoi pas Il Pleut sur Santiago, pour se mettre dans l’ambiance ?

 Armand, tu exagères. J’ai une autre proposition : le Centre culturel Banco do Brasil n’est pas si loin, en tramway gratuit, et il y a une magnifique exposition Picasso. Elle va jusqu’au mois de septembre, mais pourquoi attendre jusque là ?

 C’est une bonne idée, allons-y.

Et puis Dona Annecy passa du coq à l’âne :

- Janaína, as-tu trouvé un plombier pour la fuite de la salle de bain ?

 Non, ils sont tous à la Vila Olímpica.

C’était la blague du jour.Tous les plombiers et les chauffagistes de Rio travaillaient 24/24h pour remettre en état la cité olympique qui devait accueillir les athlètes des Jeux. Les premiers arrivés avaient trouvé les appartements dépouillés de leurs wc, chauffe-eaux, quelquefois portes et fenêtres, causant un grand ramdam chez tous ces accros du sport et de la sportivité. Le maire de Rio avait expliqué qu’il avait remis les clés solennellement au Comité Olympique une semaine auparavant et que ce n’était pas de sa faute si le Comité n’avait pas prévu suffisamment de gardiens.

En tout cas, tout le voisinage, favelas ou « communautés », selon qu’elles étaient passées ou non par le ripolinage de la terminologie politiquement correcte, devait avoir des chauffe-eaux et des cuvettes de cabinets tout neufs ; c’était toujours ça de gagné sur la Mairie, sur les Jeux Olympiques dont la grande majorité se f. éperdument et sur leur legs que les Cariocas, les habitants de Rio, avaient déjà commencé à payer au prix fort (le fameux legs des grands événements sportifs...).

- Dona Annecy, vous croyez vraiment que le Sénat va voter l’impeachment ?

 Je suis désolé, Armandinho, mais tu sais comme le Congrès est corrompu. Et le Sénat n’échappe pas à la règle ; au contraire, il la ferait plutôt exploser.

 Ça fait longtemps, très longtemps, que je ne crois plus au Père Noël...

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