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Interview d’un compagnon du Che : Harry Villegas Tamayo.



Brasil de Fato, 27 oct. - 2 nov. 2005.


Harry Villegas Tamayo a connnu le Che dans la Sierra Maestra, en 1957, à l’âge de 16 ans. Après le triomphe de la révolution cubaine, il devient l’un de ses gardes du corps. En 1963, lorsque le Che convoque d’anciens combattants pour préparer une guérilla en Argentine, Villegas se porte volontaire... En 1965, alors qu’il est au Congo ex-Belge (ex-Zaire, devenu en 1997 la République démocratique du Congo), le Che demande à Fidel d’envoyer Villegas en Afrique. Six mois plus tard, les Cubains se retirent.

Le 4 novembre 1966, le Che arrive en Bolivie, dans la région de Nancahuazú. Pombo l’a précédé pour reconnaître les lieux, en passant par le Brésil. Onze mois plus tard, le 8 octobre, le Che est capturé par l’armée bolivienne et assassiné le lendemain. Pombo et cinq autres guérilleros (à‘ato, Inti, Dario, Urbana et Benigno) réussissent à fuir. Durant six mois, ils parcourent plus de 600 km et traversent clandestinement la frontière chilienne.

A partir de 1976, Pombo est à la tête des troupes cubaines envoyées en Angola pour lutter, aux côtés du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), contre l’UNITA et le FNLA, soutenus par le régime d’apartheid sud-africain et par les Etats-Unis.

Récemmment, Pombo est venu au Brésil, pour la conférence internationale « Pensée et mouvements sociaux en Amérique latine et dans la Caraïbe : impérialisme et résistance », organisée par le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST) et « Via Campesina ». (...) Il a été interviewé par l’hebodmadaire Brazil de Fato.


D’où vient ton surnom, Pombo ? On sait qu’au Congo le Che utilisait des chiffres, tirés des langues locales, pour rebaptiser ses guérilleros. En swahili (l’une des langues africaines les plus parlées), le Che était devenu Tatu (trois), José Maria Tamayo était devenu Mbili (deux) et Victor Dreke Moja (un).

Je n’étais pas parmi les premiers volontaires pour le Congo. Je me trouvais alors dans l’armée de l’Ouest, quand le président Fidel Castro m’a dit que le Che avait demandé que je sois envoyé en Afrique. Avec un nombre croissant de guérilleros, c’était compliqué de n’utiliser que des chiffres pour les noms de codes. Le Che a décidé de consulter un dictionnaire. Il m’a donné le nom de Pombo Poljo, ce qui signifie « nectar vert ». Carlos Coelho a été nommé Tumaini Tuma.


Avant le Congo, tu étais volontaire pour rejoindre un groupe de guérilla en Argentine, mais le Che a refusé cette demande. Comment as-tu réagi ?

Sur le moment, je n’ai pas compris ce refus. Ensuite, j’ai réalisé qu’un noir comme moi passerait difficilement inaperçu en Argentine. Le Che a décidé que je ne viendrais pas tant que la guérilla ne se serait pas renforcée et que lui-même l’ait aussi rejointe. (...)


Quel a été ton ­ premier contact avec le Che ?

En 1957, à l’âge de 16 ans, je participais déjà à une cellule dans mon village. Nous peignions les slogans du Mouvement révolutionnaire du 26 juillet, nous sabotions les lignes électriques et à tout instant nous étions emprisonnés. Comme nous nous trouvions près de la Sierra, nous avons décidé d’y monter. A cette occasion, nous avons pris contact avec un peloton de la colonne du Che. On nous a demandé d’attendre, le Che inspectait d’autres unités. A son arrivée, il m’a impressionné : il était svelte, et portait un béret déchiré et râpé. Il nous demanda ce que nous faisions ici. Nous avons répondu que nous venions lutter contre la tyrannie de Batista (dictateur appuyé par les USA). Il a demandé : « Avec quoi ? » Je montrai un petit fusil 22 et il m’a dit en riant : « Tu penses qu’avec ça tu vas renverser Batista ? Retourne attaquer les soldats et ramène-moi leurs fusils ». Je pensais que c’était facile. Je suis retourné au village, où les mouchards de l’armée (très nombreux) m’ont dénoncé. J’ai pu m’échapper et j’ai changé mon arme contre une escopette de calibre 12. Ce n’était pas ce que voulait le Che, les soldats n’utilisent pas d’escopettes. Mais, à mon retour, le Che m’a dit que le plus important, ce n’était pas l’arme, mais ma décision de lutter contre la tyrannie.


La certitude de la victoire était très forte dans la Sierra Maestra ?

Cette certitude nous a toujours accompagnés. Le propre de tout révolutionnaire - Fidel, comme le Che -, c’est la confiance dans la victoire et dans les masses. Fidel disait qu’avec cinq fusils et sept hommes la révolution était faite (en référence à sa survie, avec seulement quelques combattants, après le débarquement désastreux de la Granma : sur les 82 hommes du noyau initial il n’y eut que 12 survivants). Après, nul ne savait quand surviendrait la victoire : le Che estimait qu’elle n’arriverait pas très rapidement.


Y avait-il d’autres étrangers dans la Sierra ?

Oui. Un Mexicain, un Français et quelques Nord-Américains. L’un d’eux, sergent vétéran de la guerre de Corée (1950-1953), fut instructeur et chef de l’avant-garde lors du départ de la colonne du Che pour le Centre de l’île.


Le Che apprécierait-il de voir son visage sur des chemises, au service de la machinerie capitaliste ?

Ca ne lui plairait pas. Je n’ai jamais vu le Che porter une chemise avec les portraits de Marx ou de Lénine. Mais j’ajouterai que si quelqu’un arbore le portrait de Che avec fierté, afin de rappeler qui fut le Che, pour se joindre à son combat, cette chemise est utile. Si l’on ne voyait pas le portrait du Che sur les chemises, on ne penserait plus à lui.


Le Che est devenu plus important pour la révolution mort que vivant. Comment le verriez-vous aujourd’hui, âgé de 77 ans.

Je pense qu’il serait plus important vivant. Pas tellement à cause de sa réputation, mais pour ce qu’il pourrait faire utilement. C’était un homme, avec une pensée en développement, avec une capacité extraordinaire d’autodidacte, avec un esprit d’investigation. Il écrivait un livre sur l’économie politique du socialisme. Il pensait en écrire un autre sur sa conception, du point de vue philosophique, de la construction d’une société socialiste pour l’Amérique, qui n’était pas la même qu’en Europe ou en Asie. Sur notre continent, nous sommes tous pareils, mais nous ne sommes pas tous Cubains. Aujourd’hui, à Cuba le Che représenterait une grande aide pour Fidel.


Comment le Che conciliait-il sa vie familiale et sa vie révolutionnaire ?

Sa priorité, c’était la création d’une société plus juste. Quand les Espagnols capturèrent un fils de l’un des dirigeants de notre indépendance, ils exigèrent que Carlos Manuel de Céspedes abandonne la lutte en échange de la libération de son fils. Et celui-ci dit : « Non, car je suis le père de tous les Cubains » - raison pour laquelle nous l’appelons « le père de la patrie ». Entre sa famille et la construction du socialisme (ou les intérêts de la patrie), le Che a choisi. Cela ne signifie pas que le Che ait renié sa famille, qu’il aimait beaucoup, mais il ne la réduisait pas à sa femme et à ses enfants. Il la considérait, de manière plus large, avec une confiance absolue dans la société. Il savait que sa lutte permettrait à ses enfants, à tous les Cubains, d’avoir droit à l’éducation (...)


Pourquoi Kabila (dirigeant de la résistance anti-colonialiste, devenu en 1997 président de la République démocratique du Congo) a-t-il refusé de rencontrer le Che ?

A cette époque, nous ne comprenions pas l’Afrique. Nous n’avons découvert son fonctionnement qu’après 15-20 ans de présence en Angola. La société congolaise avait une base tribale, pas nationale. Une nation ne se crée pas artificiellement, de manière colonialiste. Un peuple qui lutte pour défendre sa patrie a besoin d’un concept national. Nous ne comprenions pas la situation congolaise, car Cuba est un mélange espagnol, africain et chinois et que les Indiens ont disparu. (...) Pour revenir à Kabila, c’était le chef d’une « armée parallèle ». Il n’a rencontré qu’une fois le Che, parce qu’il n’avait pas une mentalité de chef militaire. Ce n’était pas un Latino-américain, comme Bolivar, qui disait : « allons-y ! ». Je n’ai jamais vu un dirigeant africain à la tête de ses troupes ou qui - c’est une chose inconcevable pour un Latino-américain - se mette à la tête de son peuple. Il se bornait à commander, sans contacts ni discussions.


En cas de succès de la guérillera argentine dirigée par Masetti, le Che ne serait pas allé au Congo ?

Le Che y est allé, en attendant des conditions plus favorables en Amérique latine. Fidel lui avait proposé de rester à Cuba, mais le Che estimait avoir rempli son rôle et souhaitait partir. En 1964, lors d’une session de l’ONU, il avait dénoncé les « casques bleus » pour avoir laissé assassiner le dirigeant révolutionnaire congolais Patrice Lumumba. A mon avis, le Che (qui admirait Lumumba) est arrivé au Congo, en ayant surestimé le niveau d’organisation du mouvement lumumbiste.


La capture de Ciro Bustos et de Régis Debray (interceptés par l’armée bolivienne) fut-elle décisive dans la destruction de la guérilla bolivienne ?

Non. Nous n’avions pas encore de base. Nous savions - avec l’expérience de la Sierra Maestra - que les paysans rejoignent la guérilla lorsqu’ils voient des possibilités de succès et un fort appui. Au début, nous comptions sur l’aide du Parti communiste bolivien, dont de nombreux jeunes militants étaient prêts à s’engager. Mais Mario Monje (le président du Parti communiste) nous a trahis. Le Che n’a jamais su si c’était par couardise politique ou personnelle : il nous a isolés du parti et tari nos possibilités de renforcer une guérilla, que le Che voulait à court terme étendre à l’Argentine et au Pérou : de Nancahuazú (en Bolivie), on peut passer en Argentine et au Pérou, par la Cordillère orientale des Andes.


Comment se sont écoulés ces quatre mois dans les forêts de Bolivie, où le colonne du Che et celle de Joaquin et Tania (une révolutionnaire germano-argentine)cherchaient le contact ?

Nous avons fait tout notre possible, le Che ne voulait pas abandonner le groupe de Joaquin. Nous sommes restés trop longtemps au sud de la Bolivie, mais nous ne voulions pas y déclencher les hostilités. Or, l’armée nous a découverts et nous a contraints à un affrontement prématuré. Nous pensions démarrer au Chaparé (centre de la Bolivie) : Inti Peredo [1] y connaissait un dirigeant paysan et pensait qu’il se joindrait à notre mouvement. Plus au Nord, nous pouvions enrôler des étudiants venus d’Amérique, d’Europe, d’Union Soviétique et de Prague, ainsi qu’un groupe d’étudiants cubains.


Les deux colonnes n’auraient-elles pas pu se rencontrer le 31 août 1967 ? A ce moment, elles ne se trouvaient qu’à 3 km l’une de l’autre ?

Nous marchions par hasard vers le même lieu, en direction du Chaparé. Nous étions très près du groupe de Joaquin, lorsque la radio a annoncé un combat plus au sud. Nous avons fait demi-tour pour rejoindre nos camarades. Nous les précédions, au monent de l’embuscade qui leur fut fatale. Si nous n’avions pas voulu les rejoindre, nous n’aurions jamais bifurqué vers le sud : il y avait peu d’arbres et d’eau dans cette région. Nous sommes tombés dans une embuscade, le 26 septembre (3 guérilleros y ont trouvé la mort), puis le 8 octobre (le Che a été capturé et assassiné le lendemain, avec d’autres guérilleros). (...)


Aujourd’hui, la guérilla est-elle toujours une voie pour libérer les peuples d’Amérique latine ?

Je ne dirais ni oui, ni non. Cela dépend des conditions concrètes de chaque pays, à chaque moment. Aujourd’hui, il est très risqué de créer un mouvement de guérilla, vu la technologie que possède l’ennemi, c’est-à -dire les Etats-Unis. Mais ce n’est pas impossible : toute cette technologie n’a pas réussi à anéantir les guérillas colombiennes. (...)


Pensez-vous que Chávez jouera le rôle de Fidel ces prochaines années ?

Chávez doit d’abord assurer la direction de son peuple, avant d’assumer ce rôle à l’échelle continentale. Ne nous leurrons pas : Chávez a pour ennemi le plus puissant pays du monde. Il doit évaluer sérieusement la situation, avoir l’appui des pauvres et tenter de gagner la classe moyenne. Il prône un nouveau socialisme, dans le cadre du pluripartisme. Si Cuba reste le phare, le Venezuela est devenu l’espoir des peuples de l’Amérique latine et du Tiers Monde : grâce à son potentiel économique, sa superficie, ses frontières. Chávez a de la chance, il ne se trouve pas en pleine mer des Caraïbes...


 Propos recueillis par Marcelo Netto Rodrigues et Yamila Goldfarb, Brasil de Fato, n° 139, 27 oct. - 2 nov. 2005.

 Traduction Hans-Peter Renk

 Coupures de notre rédaction

 Source : solidatitéS www.solidarites.ch/journal


Un livre sauvé de la mer : La pensée économique du Che, par Celia Hart Santamaria, 17 juillet 2005.

Désormais nous n’avons plus de camp socialiste, lequel nous a fait perdre trop de temps. Nous ne pouvons plus accuser l’URSS et le PCUS (Parti communiste d’Union soviétique). Disparition totale. Ils font partie des souvenirs, dans le meilleur des cas. Il ne nous est pas permis de nous tromper à nouveau, car ce qui n’était peut-être autrefois que naïveté et ignorance, serait aujourd’hui une pure stupidité que l’histoire ne pardonnerait pas.


Réserves d’eau : les USA cherchent à contrôler la Triple Frontière, les peuples trahis doivent réagir. Joaquin Oramas, Adolfo Pérez Esquivel.

Discours du Président Hugo Chavez au IVe Sommet des peuples de l’Amérique à Mar del Plata.

Les mouvements sociaux en Amérique latine : résistants et producteurs , par Sergio Ferrari et Benito Perez.



[1Inti Peredo : successeur du Che à la tête de l’Armée de libération nationale de Bolivie (ELN-B), tombé au combat en 1968


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Analyser la réussite ou l’échec du modèle économique cubain en faisant abstraction d’un blocus criminel de plus de 50 ans, est une pure hypocrisie. N’importe quel pays capitaliste d’Amérique Latine, soumis à un blocus similaire, s’effondrerait en quelques mois.

Rafael Correa
ancien président de l’Equateur

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