Je dédie bien sûr cette traduction à Sœur Caroline (Fourest) dont le prêche anti-dé-contextualisation (des dessins de presse), ce Lundi (20 septembre) sur France « Paix à son Âme » Culture, m’a mis de bonne humeur pour la journée.
Je ne comprends pas l’animosité à son encontre. Lorsque nous – les suppôts indécrottables de Jean-Luc Mélenchon – auront conquis le pouvoir, et rétabli les goulags (avec la complicité de Poutine, et le renfort des islamistes), je me battrai pour son maintien en liberté, micro à la bouche, plume à la main ... qu’on se le dise.
Vas-y, Caro !!
H.
En dehors de moi-même, et de Jeremy Corbyn, il y eut un autre homme dont, à une époque lointaine, des espèces d’imbéciles sortirent souvent les paroles de leur contexte, afin de les utiliser contre lui
Dimanche 6 septembre 2015
Il semblerait que Jeremy Corbyn, favori de la lutte pour la direction du Parti Travailliste, veuille remonter des fonds marins le cadavre en décomposition de Ben Laden, afin de l’épouser.
Par ailleurs, il a l’intention de vivre à Islington , sous le même toit que le corps sans vie de Ben Laden, comme s’il s’agissait de son époux homosexuel zombie, et que tous deux jouaient une pantomime gauchiste dégénérée de la cérémonie du mariage chrétien hétérosexuel. Quant à cet arrangement, il s’agit également d’une perversion de l’islam, religion pacifique, comme chacun sait.
Lundi matin. Je me déconnectai du site internet du Daily Mail. Je m’étais uniquement connecté au foutu machin, pour vérifier si, à l’heure qu’il était, les migrants étaient un amas de vermine, ou bien des parents exemplaires, pleins d’amour, comme vous et moi, ou encore si Bar Refaeli, le mannequin israélien aux jambes interminables, ferait le grand saut vêtue d’une ultra-minijupe orientale en portefeuille, lorsque je me retrouvai enlisé dans ce bourbier nécrophile. On finit par s’y perdre.
Plus tard, après avoir déposé les enfants à l’école, je vis la couverture du Daily Express chez un marchand de journaux, et j’y lus cette autre déclaration de Corbyn, selon laquelle le fait que Ben Laden et lui ne se rencontrèrent jamais du vivant, injustement écourté, de ce dernier, constituait une tragédie, dans la mesure où Corbyn avait la certitude, qu’après être devenus amants, ils auraient parrainé un paresseux du zoo de Londres.
Avec un haussement de sourcils, je regardai le marchand, un islamique barbu vêtu d’une ample djellaba, et dont le visage affichait une expression impénétrable de certitude fondamentaliste. Mais selon lui, tout ce que les gens faisaient derrière des portes closes, ne regardait qu’eux, du moment que le paresseux était consentant, et qu’on ne lui avait fait aucun mal.
Je me rendis ensuite à une réunion de quartier qui se tenait, entre écrivains et autres artistes radicaux, dans la dernière tour occupée illégalement de Tower Hamlets . Nous essayions de nous mettre d’accord sur la manière la plus créative de répondre aux implications politiques de l’austérité, et sur la place à réserver, dans notre démarche vaine, à des spectacles de danse, ou de marionnettes.
Alors que je m’étais retourné pour avaler une gorgée de thé, je jetai un coup d’œil par la fenêtre ; je vis alors Tim Farron , des Libéraux Démocrates , qui la longeait, accroché à un deltaplane dont les ailes déployées affichaient une photo de Jeremy Corbyn embrassant Ben Laden.
L’expression de souffrance sur le visage de Farron suggérait, soit la constipation, soit l’extase religieuse sexualisée, soit encore l’espoir vain que quelqu’un se souvienne de son existence, ou enfin une représentation juste, équitable, des trois situations.
Mais devant le Musée de l’Enfance , un chat se contenta de détacher un court instant son regard des excréments qu’il enterrait sous la pelouse, pour le lever en direction du natif de Cumbria , que les vents poussaient plein ouest, vers Wapping .
Les artistes et moi, bouleversâmes notre ordre du jour, pour débattre de ce que nous venions de voir. Comme de bien entendu, par les temps qui courent, nous ne nous contentâmes pas de nous fier à un coup d’œil furtif, à travers le pare-brise couvert de merde des journaux, au défilé à grande vitesse des informations, dont le passage éclair produit un véritable effet Doppler ; d’un commun accord, nous envisageâmes la possibilité d’utiliser la technologie internet dernier-cri, pour rechercher la source de la soi-disant histoire, et lui consacrer le temps nécessaire.
Un peintre demanda : « Corbyn a-t-il vraiment dit que la mort de Ben Laden fut une tragédie ? ». « Pas vraiment », proposa une jeune femme, en pianotant sur son iPhone. Il apparut que le vieux militant de gauche avait bien employé ces mots - mais en tant qu’éléments d’un ensemble de phrases en progression, qui les contextualisaient comme le font les phrases constitutives d’une démonstration – afin de regretter l’absence de cadre légal pour l’exécution de Ben Laden, absence dont Corbyn pensait, à juste titre ou non, que ses conséquences continuaient à se faire sentir dans le monde entier.
Quiconque connaissant le langage humain, comme un bébé, un dauphin, ou un chien plus intelligent que la moyenne, aurait fait auparavant l’expérience d’une procédure syntaxique similaire, avec l’emploi éventuel de noms, de verbes, et d’expressions qualificatives variées.
Seule une dé-contextualisation absolue de ces mots, permit au Mail , à l’Express , au Telegraph , ainsi qu’au véritable président actuel des Libéraux Démocrates, Tim Farron, de présenter Corbyn sous un faux jour aussi ridicule.
Après retouche numérique, les informations bioniques génétiquement modifiées défilent sous nos yeux à une telle vitesse, qu’en 24 heures la surface de la tasse de thé Corbyn avait à nouveau l’apparence d’une mer d’huile. Le breuvage apaisé, issu du commerce équitable, qui emplissait la grande tasse Corbyn ébréchée, ne recommençait à onduler qu’en de rares occasions : celles où Tony Blair arpentait le plateau sur lequel elle se tenait, d’un pas lourd et contre-productif de grand singe impuissant.
En dépit de l’incohérence de son indignation, il détenait un porte-voix, dont le dieu primate, autrefois tout-puissant, se servait pour porter des coups à droite, à gauche, en une quête de sens vouée à l’échec. À moins qu’il ne fût en quête de bananes. Il est devenu si difficile de se prononcer, depuis que la créature n’a plus Alastair Campbell pour lui servir d’interprète. « Nous ne faisons pas les bananes ».
Tout comme Jeremy Corbyn, j’ai moi-même fait l’expérience angoissante de la dé-contextualisation. Sur un DVD de sketches comiques, sorti en 2009, j’utilisais des représentations de la violence exercée à l’encontre des chroniqueurs automobiles de la télé, pour remettre en question leur propre droit à opérer en dehors des limites reconnues du bon goût ; je concluais par un appel direct, face à l’objectif, aux journalistes du Mail, afin qu’ils ne décontextualisent pas les images incluses dans les 50 minutes de compilation, pour dénaturer mon propos.
Ce qui, chose remarquable, n’empêcha pas Jan Moir, du Daily Mail, de ne faire précisément que cela. L’article de Moir disparut promptement du site internet du journal ; selon toute vraisemblance lorsqu’il devint clair que mon piège à Jan Moir breveté, avec pour appât le fromage puant de la posture scandalisée, avait fonctionné comme dans un rêve.
Mais en dehors de moi-même, et de Jeremy Corbyn, il y eut un autre homme dont, à une époque lointaine, des espèces d’imbéciles sortirent souvent les paroles de leur contexte, afin de les utiliser contre lui, vous vous souvenez ?
Peut-être cet homme portait-il la barbe, ainsi que des sandales. Peut-être même était-il lui aussi venu aider ses disciples égarés à laisser les fausses idoles derrière eux, en leur montrant le chemin de la terre promise.
Cet homme humble, se serait-il mêlé au peuple, vêtu de chemises Raja Daswani, comme Tony Blair ? Non, il aurait, comme moi, passé un T-shirt XXL, cadeau d’un groupe indépendant ; ou comme Jeremy Corbyn, il aurait enfilé, sans se soucier des démangeaisons, des sous-vêtements d’alpaga tricotés par sa mère, pour manifester sa solidarité envers les sandinistes. Avec tous les peuples opprimés de la Terre, en fait.
À propos, je n’affirme pas que Corbyn et moi, sommes les nouveaux Christs. Mais je n’ai pas mon mot à dire sur les titres que les secrétaires de rédaction, et les responsables de la mise en page, choisissent pour ces articles. J’espère que « nouveaux Christs » n’est pas l’expression, destinée à capter l’attention, que l’Observer choisira d’extraire de ce papier.
Personne, ni sur Twitter, ni sur Comment Is Free , ne lit jusqu’au bout les articles dont ils se plaignent. Un titre comme « Jeremy Corbyn et moi sommes les nouveaux Christs » servira uniquement à convaincre Tim Montgomerie , le fournisseur conservateur de contenus, que les journaux du groupe Guardian ont fini par perdre la boule, tout en propulsant le baron Finkelstein , de l’Ordre de l’Empire Britannique, dans la confusion embaronnée d’une chute libre, doublée d’une course en vrille après sa propre queue. À quoi bon ?
En ces périodes de désespoir, je me demande, QFDJC ? Que ferait donc Jeremy Corbyn ? Alors, toute tristesse s’évanouit.
Stewart Lee
Stewart Lee est un artiste comique, écrivain, metteur en scène
http://www.theguardian.com/commentisfree/2015/sep/06/stewart-lee-jeremy-corbyn-new-christs-bin-laden