Humanité Dimanche. Comment analysez-vous le profil de Yassin Salhi ? Correspond-il à celui du « loup solitaire » ou à celui d’un terroriste agissant pour le compte d’une organisation structurée ?
Alain Chouet Il ne s’agit pas d’un loup solitaire mais plutôt d’un crétin solitaire ! Les réactions médiatiques sont dans l’ensemble pathétiques. La presse a soutenu pendant trois jours que c’était un dangereux terroriste et j’ai refusé toute interview à ce sujet parce qu’il semblait bien qu’il s’agissait d’un acte personnel sans lien avec la mouvance terroriste. Ce type pète les plombs, tue son patron avant de tenter de rationaliser son acte comme le font tous les psychopathes et les sociopathes. Alors il hurle « Allahou Akbar », et il envoie une photo au seul copain qu’il connaît qui se trouve en Syrie, peut-être dans l’espoir que l’« État islamique » revendique son acte.
Est-il possible d’établir un lien entre la tuerie de Sousse et l’attentat commis au Koweït contre la minorité chiite ?
On a affaire à deux choses différentes. En Tunisie, on assiste à la poursuite de ce que je dénonce depuis un an et depuis la chute du parti islamiste Ennahdha : avant de quitter le pouvoir, ils ont organisé une réforme fiscale qui ruine la classe moyenne laïcisée, laquelle constitue le pire ennemi des Frères musulmans. Depuis, de nombreux attentats ont ensanglanté la Tunisie visant à tuer son économie, ruiner le secteur touristique, les syndicats, les associations, de façon à revenir au pouvoir. C’est la stratégie systématique des Frères musulmans. Au Koweït, l’attentat s’inscrit davantage dans le contexte de la guerre menée par l’Arabie saoudite contre les minorités chiites.
Dans ce cadre, est-il sérieux, comme l’a fait le premier ministre, d’évoquer une « guerre de civilisation » ?
Non, on est en train de redécouvrir l’eau tiède de George W. Bush et se lancer dans une guerre contre la terreur. On a vu les résultats désastreux de cette politique aux États-Unis.
D’autres responsables politiques se sont appuyés sur le drame de l’Isère pour évoquer l’urgence d’adopter la loi sur le renseignement.
D’abord, cette loi constitue un peu une liste à la Prévert. Il y a des choses qui me paraissent utiles d’un point de vue professionnel, en particulier la légalisation des infiltrations. Concernant les écoutes électroniques, j’ai déjà dit ce que j’en pensais. Le « dragage massif » des données n’a jamais produit de résultat probant.
Personne n’évoque le lien entre l’idéologie de ces organisations terroristes et celles diffusées par l’Arabie saoudite et le Qatar...
Effectivement, pourtant ce n’est pas faute de le répéter : ce que nous appelons « salafisme », en arabe, cela s’appelle « wahhabisme ». Et là nous sommes à contre-emploi de manière systématique et dans toutes les situations d’affrontement militaire, puisqu’au Moyen-Orient, au Sahel, en Somalie, au Nigeria, etc., nous sommes alliés avec ceux qui sponsorisent depuis trente ans le phénomène terroriste.
Depuis le 11 septembre 2001, des sommes colossales ont été investies dans la lutte contre le terrorisme, des lois liberticides ne cessent d’être votées, et jamais pourtant la « menace » terroriste n’a paru aussi présente...
On s’épuise à s’attaquer aux exécutants, c’est-à-dire aux effets du salafisme, mais pas à ses causes. Sur 1,5 milliard de musulmans, si 1 sur 1 million pète les plombs, cela fait déjà un réservoir de 1 500 terroristes. Cela, on ne pourra jamais l’empêcher à moins de mettre un flic derrière chaque citoyen. Tout cela est une vaste plaisanterie : on ne fait pas la guerre à la terreur mais à des criminels. Cela relève des techniques de police et de justice.