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Prix du pétrole : jeu saoudien et intérêts géostratégiques étasuniens (1ère partie)

Les cours du brut ont plongé de manière quasi ininterrompue depuis la mi-juin 2014. La chute est vertigineuse. De plus de 100 dollars, le prix du baril de pétrole est tombé sous la barre des 60 dollars.

Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), le bras énergétique des pays de l’OCDE, la pression baissière sur les prix pourrait s’accentuer au cours du premier semestre de 2015. Une spectaculaire dégringolade qui ne manque pas de se signaler évidemment par son ampleur mais aussi par la rapidité avec laquelle se sont inversées les analyses du marché de l’or noir.

L’AIE n’annonçait-elle pas pour 2014, dans son rapport mensuel de janvier de la même année, une consommation mondiale record de 92,5 millions de barils par jour (mbj), contre 92,1 mbj prévus en décembre 2013 ? Soit une progression de 1,3 mbj par rapport à 2013, après une croissance de 1,2 mbj en 2013. Trois mois après, les 12 et 14 mars 2014, l’AIE récidivait en revoyant, de même que l’OPEP, une nouvelle fois à la hausse ses estimations de la consommation pétrolière mondiale en 2014. C’était la deuxième fois consécutive pour l’OPEP, et la quatrième pour l’AIE. Comment faire face à la hausse rapide de la demande de brut, telle semblait être, alors, la préoccupation dominante.

En outre, tout le monde s’accordait à dire que « le prix d’équilibre est aux alentours de 100 dollars », « un prix qui arrange tout le monde », producteurs et consommateurs, et on donnait la hausse des prix du brut pour une tendance de nature structurelle. La poussée des besoins énergétiques de la Chine et de l’Inde, soit 2,5 milliards de personnes, contribuant à la stabilisation d’un cycle à long terme à la hausse. De fait, l’économie du pétrole s’est notablement transformée. La consommation de pétrole dans le monde ne dépend plus essentiellement des régions les plus développées économiquement mais de l’ensemble des autres pays. Le potentiel de rattrapage est impressionnant. A titre d’illustration, un Américain consomme 25 barils par an et un Allemand 10,6 barils par an, quand le Chinois en est encore à 2,1 barils par an et l’Indien à 0,9 baril par an. Dans les pays émergents, la consommation de pétrole fait plus que compenser la réduction de la demande dans l’OCDE. En 2013, la consommation de pétrole des pays de l’OCDE a baissé de -0,4%, celle de l’UE de -1,9%, pendant que dans les pays non OCDE, elle augmentait de 3,1%.

A ce tableau d’une demande qui croît irrésistiblement, s’ajoutait celui d’une offre sur laquelle l’accumulation des problèmes techniques et géopolitiques faisait planer « une myriade d’incertitudes », selon l’expression même de l’AIE, qui est la « voix » des pays occidentaux sur la scène pétrolière. L’AIE émet des doutes sur la capacité de la Libye à maintenir le contrôle de ses terminaux d’exportation alors qu’en Irak, deuxième producteur de l’OPEP, la situation se détériore. Sans parler des troubles à l’état endémique au Sud-Soudan et au Nigeria. De plus, la production iranienne est tombée à son plus bas niveau depuis 20 ans et l’embargo de l’Union européenne (UE) sur le pétrole iranien doit être mis en place dès l’été 2014. En somme, tous les ingrédients d’une montée inexorable des cours.

Autrement dit, rien de rassurant pour les marchés pétroliers — qui s’interpénètrent désormais avec les marchés financiers — connus pour leur humeur boursière traditionnellement haussière en pareil contexte, tendances et signaux de court terme de la conjoncture géopolitique alimentant et amplifiant le phénomène. Pourtant, alors même que les conflits s’intensifient dans la région du Moyen-Orient, la plus riche du monde en pétrole, les cours commencent à chuter. En effet, les prix du pétrole s’effondrent au moment où les troubles persistants causés par le Daech en Syrie et en Irak auraient dû normalement les projeter vers des pics. C’est une tendance anormale qui suscite un certain étonnement chez les observateurs. Ajoutez à cette perplexité, l’inertie du royaume wahhabite, considéré comme le gendarme du prix du pétrole au sein de l’OPEP. L’Arabie Saoudite bénéficie à la fois de la plus forte capacité de production et des premières réserves exploitables de la planète, ainsi que de coûts d’extraction parmi les plus faibles, estimés entre 5 et 10 dollars le baril.
Les marchés énergétiques s’interrogent donc en toute logique : pourquoi ce mastodonte de l’OPEP n’empêche pas la chute du cours de l’or noir, qui a atteint son minimum depuis ces dernières années, -5% par rapport à son point le plus bas de 2009 ?

L’Arabie Saoudite casse les prix pétroliers

En réalité, l’Arabie Saoudite ne s’est pas contentée de laisser chuter les cours, elle a augmenté son offre sur des marchés déjà saturés et a baissé ses prix. Une première baisse des prix annoncée en septembre pour le mois d’octobre, à destination des pays asiatiques, puis une nouvelle baisse annoncée pour le mois de novembre dernier et destinée, cette fois, à tous ses clients. L’Arabie saoudite « inonde » les marchés mondiaux avec du pétrole bon marché. Ce qui a donné un formidable coup d’accélérateur à la baisse des cours mondiaux. Sourd aux appels des autres membres de l’OPEP demandant son soutien pour enrayer la glissade, le royaume saoudien engage de nouveaux pas pour pousser les prix à baisser plus bas encore. L’Arabie Saoudite a contraint l’OPEP à maintenir les 30 millions de barils par jour comme niveau de production pour les six prochains mois.

Cette « bonne décision », aux dires du ministre saoudien du Pétrole, Ali Al-Nouaïmi, a valu au prix du baril une chute supplémentaire de 13 dollars en moins d’un mois. Pis encore, Al-Nouaïmi ne cache pas son agacement face aux appels à réduire le pompage de brut. « Pourquoi devrais-je réduire la production, pourquoi ? Ceci est un marché et je vends sur un marché. Pourquoi devrais-je couper ? », s’est écrié le ministre saoudien, devant les journalistes, en marge de la Conférences des Nations unies sur le climat à Lima (COP20), alors que le baril périclitait sous les 60 dollars. Et lorsqu’on lui a demandé s’il était inquiet au sujet des prix du pétrole, il a carrément rétorqué : « M’avez-vous déjà vu m’inquiéter ? » Il est vrai que ce même ministre Ali Al Nouaïmi n’avait pas caché sa satisfaction en septembre 2008, face à la chute des prix du pétrole qui étaient encore à 109 dollars le baril. Bref, la Maison des Al-Saoud est bel et bien engagée dans une folle surenchère à la baisse des cours au point où d’aucuns se demandent si le royaume n’a pas un intérêt caché à maintenir le cours aussi bas. A des fins inavouables au service de l’agenda géopolitique des Etats-Unis, pour être plus clair.

Conforte cette thèse, le précédent de la guerre des prix pétroliers déclenchée en 1986 par le ministre saoudien du Pétrole de l’époque, Zaki Yamani, et orchestrée par Henry Kissinger dont la principale cible était l’économie pétrodépendante de l’ex-URSS. Afin de ruiner leur adversaire, les Etats-Unis, sous la houlette de Henry Kissinger, mobilisèrent trois ministres du Pétrole (Arabie Saoudite, Emirats et Koweït) pour augmenter brutalement la production et déclencher une « guerre des prix » soi-disant contre la Norvège et le Royaume-Uni au motif qu’ils pratiqueraient des prix plus bas que ceux de l’OPEP enlevant à celle-ci des parts de marché. Prétexte fallacieux, car, la vérité, dévoilée par la suite, est que l’Administration Reagan entendait surtout tarir la principale source de revenus de l’ex-URSS.

La guerre des prix du Saoudien Zaki Yamani pour le compte de l’Américain Henry Kissinger, s’est soldée par l’effondrement des cours et des revenus pétroliers au milieu des années 1980. De 27,01 dollars le baril, en moyenne en 1985, le prix spot du pétrole OPEP était ainsi tombé à 13,53 dollars en 1986, pendant que les revenus pétroliers des pays OPEP baissaient de 127,2 milliards de dollars à 76,74 milliards de dollars (-40%)[1]. Pour ce qui est en particulier de l’Algérie, ses revenus pétroliers ont alors chuté de 9,17 milliards de dollars à 4,81 milliards de dollars en 1986 (-47,6%) pendant que sa balance des comptes courants passait d’un surplus de 1,02 milliard de dollars en 1985 à un déficit de 2,23 milliards de dollars en 1986. Quant à l’URSS, son ex-président, Michael Gorbatchev, confirmera implicitement la vulnérabilité de son pays dans cette guerre lorsqu’il déclarera en 2008, au plus fort de la flambée des prix du brut, qu’« avec un baril à 120 dollars, l’URSS ne serait pas tombée ».

(A suivre)

1- Nouvelle donne pour l’Algérie face aux mutations énergétiques mondiales, communication présentée par Nicolas Sarkis aux « Quatrièmes journées d’étude parlementaires sur la défense nationale », organisées par le Conseil de la nation et la commission de la défense nationale, le 6 juin 2009 à Alger.

»» http://www.algeria-watch.org/fr/article/analyse/jeu_saoudien.htm
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