Trois ans de lutte acharnée, sur tous les fronts, de tribunaux en manifs, d’occupations de terrains industriels en occupations de terrains médiatique et politique (dont l’occupation d’un Ministère !), trois ans de campagne pour le boycott des produits Lipton, trois ans de lutte pour l’unité, pour le moral, contre la peur et la fatalité, trois ans pour construire et défendre un projet, pour préparer mille actions, mille contre-offensives face à une pieuvre industrielle haineuse et revancharde... et au bout une victoire, humiliation suprême pour Unilever, forcé de mettre un genou à terre face à une poignée d’ouvriers marseillais !
Tous ceux qui ont côtoyé les Fralib le savent : Ce sont d’inoubliables combattants, intransigeants face à l’ennemi de classe, rieurs, émotifs face aux milliers de soutiens de petites gens partout en France, stratèges quand il s’agit de populariser le boycott, de multiplier les soutiens, d’anticiper les coups, bref une véritable « avant-garde de la classe ouvrière » comme on disait autrefois, en première ligne sur le front de la « lutte des classes » !
Pour les jeunes générations qui n’ont pas entendu parler à l’école des grandes conquêtes ouvrières de 1936, de 1945 ou de 1968, la « lutte des classes » se résumerait aujourd’hui à quelques luttes sporadiques pour augmenter une prime de licenciement, des « baroudes d’honneur » avant une fermeture pour délocalisation, des manifestations d’une après midi sur de trop vagues slogans contre le capitalisme. Bien sur les Fralib sont très loin de l’isolement dans la guerre de classe qui se joue concrètement aujourd’hui derrière le rideau de fumée des médias menteurs, mais il faut en témoigner, et c’est aussi notre rôle de militant : Les Fralib nous (ré)apprennent à tous quelque chose de fondamental... et c’est à ça que sert une avant-garde !
Ils nous apprennent que même en plein recul historique (temporaire) du mouvement ouvrier français et international, malgré le recul idéologique et souvent le défaitisme des Etats majors ouvriers, même face à une multinationale omnipotente et arrogante, ne reculant devant aucune dépense pour humilier les gêneurs, une lutte de classe menée fermement peut vaincre !
Ils nous apprennent que cette force collective, organisée, assidue, ne vient pas du ciel, mais bien d’un héritage politique et syndical révolutionnaire, car d’un bout à l’autre de cette aventure on ne trouve aucune trace de « réformisme », de « compromission », d’abandon... et pourtant les Fralib ont ouvert les bras à tous, sans aucune restriction, ont utilisé toutes les tactiques, de la lutte « pacifique » et « juridique » à la quasi-guérilla pour défendre les locaux face à des milices patronales cagoulées ! Comme les portes-paroles du LKP guadeloupéen il y a quelques années par exemple, eux aussi victorieux face à la Métropole, c’est bien au « syndicalisme de classe et de masse » de la CGT qu’ont été nourri les portes parole des Fralib, et quand il s’agissait d’organiser une AG, de formuler un slogan ou une ligne stratégique, personne ne pouvait confondre le projet de récupération de l’outil industriel « à condition qu’Unilever paye » avec un doux rêve un peu « bobo » d’autogestion planétaire.
L’autogestion n’a jamais été envisagée comme une « théorie nouvelle » à imposer à toutes les luttes, mais comme l’adaptation aux conditions particulières d’une usine quasi-neuve, absurdement euthanasiée alors qu’elle pouvait largement embaucher encore sur un marché français favorable... Il ne s’agit en rien d’un mot d’ordre « général » ou d’une formule magique à opposer à d’autres plus nationaux. Les Fralib, ce petit groupe d’ouvriers déjà majoritairement syndiqués CGT avant la lutte pour la récupération, ce qui n’est pas un détail, ont trouvé leur solution réalisable avec des fournisseurs et un réseau de vente potentiel. Ils se sont battus jusqu’au bout pour construire et mettre en œuvre ce projet.
Olivier Leberquier, porte parole CGT Fralib, le rappelait lors du dernier Congrès de la CGT, avant une standing ovation de centaines de congressistes, représentants de la classe ouvrière de France dans sa diversité : Il faut repasser à l’offensive « par la réappropriation sociale de l’outil industriel et par la nationalisation, qui doivent être des revendications fortes portées par notre syndicat CGT dans le combat de classe qui nous oppose au grand capital » ! Mot d’ordre soigneusement élaboré pour mettre la direction confédérale de la CGT devant ses responsabilités stratégiques. Il finissait son intervention par ces mots : « Hasta la victoria siempre camarades ! » pour bien marquer la caractère révolutionnaire de son intervention.
C’est vrai que depuis le début, sur leur tee shirts, sur les murs de l’usine, sur les banderoles et leurs pancartes, partout, la figure mythique du Che s’impose avec force et gravité à côté des innombrables caricatures ridiculisant le dernier directeur de l’usine... Une façon de rappeler le caractère politique de leur lutte et son ancrage dans un passé et une expérience d’offensives et de victoires !
Ils nous apprennent qu’on peut de nouveau être fier de sa condition d’ouvrier, dans la lutte et dans la victoire ! Être fier de mettre à genou une partie de la bande responsable de la crise dans laquelle nous vivons, dans laquelle nous souffrons tous : la bourgeoisie ! Ils nous apprennent qu’on peut être fier de l’outil industriel qu’on a défendu face au terrorisme patronal destructeur, fier d’être les seuls à pouvoir s’en servir pour produire... et à les entretenir pour demain, quand l’usine redémarrera sur de bonnes bases... c’est-à-dire sans patron parasite ! « Les patrons, on n’a pas besoin d’eux pour produire : eux ils ont besoin de nous pour s’enrichir ! » disait Omar que nous interrogions fin 2012 dans l’usine : « C’est pour ça qu’aujourd’hui ils ont la haine ! C’est ça qu’ils n’acceptent pas chez nous ! S’ils ne nous cèdent pas la marque Eléphant, c’est pas parce que cette marque a de la valeur à leurs yeux : ils s’en foutent complètement. C’est parce que c’est la lutte des classes, c’est parce qu’ils refusent de la céder aux salariés ! Ils savent qu’on est capables de gérer nous-mêmes et c’est ça qu’ils n’avalent pas ! ».
Ils nous apprennent qu’il faut retourner les armes de labourgeoisie contre elle-même, exploiter toutes les occasions, jusqu’aux plus minimes, de s’exprimer dans les médias par exemple, mais aussi dans les meeting, les fêtes, les conférences, partout en France, de jour comme de nuit... car ils en ont des anecdotes à raconter ! Ils ont tout enduré pour être présents partout et prendre contact dans chaque ville, écouter patiemment les « écolos » qui ne s’intéressaient à eux que pour vanter les mérites de leur future production « bio », les « anars » juste intéressés par l’autosuggestion de leurs rêves autogestionnaires. Les Fralib s’y prenaient toujours de la façon la plus efficace, donc de la façon la plus révolutionnaire : Hollande les rencontre avant son élection ? On lui fait tenir un tee shirt Fralib, puis on fait une banderole immense après l’élection avec sa photo pour lui rappeler ses promesses ! Le projet de SCOP serait irréalisable ? Les délégués CGT de l’usine deviennent en quelques mois de véritables spécialistes du Droit du Travail et rivalisent avec les dizaines d’avocats snipers de la multinationale pour casser le PSE et défendre le projet qui véritablement valorise et crée de l’emploi ! Unilever fera le blocus des fournisseurs s’ils créent leur SCOP ? On prend contact directement avec des coopératives vietnamiennes pour l’approvisionnement en thé à ensacher, via la FNAF CGT !
Ils nous apprennent à quel point une expérience de combat même marginale, même éloignée, peut inspirer tant de luttes ouvrières à travers la France.Car pas un piquet de grève ces dernières années, jusque dans le Nord de l’autre coté de la France, ne se tenait sans une pensée pour les Fralib. Les syndicalistes disaient « nous on ne peut pas reprendre l’usine » ou « nous on veut mettre l’Etat devant ses responsabilités et nationaliser », mais toujours la lutte des Fralib était citée comme référence pour le moral des troupes, pour les tactiques à mener face à la presse, etc. et il n’était pas rare d’apprendre au fil d’une discussion que le représentant syndical de la boîte en lutte avait reçu un coup de fil d’Olivier ou de Gérard. Mois après mois, les Fralib ont tissé des contacts partout en France avec les plus combatifs des syndicalistes ouvriers, et ont toujours fédéré leur cause et leur projet avec toutes les autres luttes, convaincus que c’est le nombre qui fait la force et l’isolement la faiblesse ! On pouvait voir l’année dernière à Gémenos toutes les boîtes en lutte les plus connues en France : Pilpa, Sanofi, Continental, Arcelor, Goodyear, Fraisnor, ... tenir leur stand au sein même de l’usine lors d’un « Carrefour des luttes » mémorable qui ne se tenait pas là par hasard...
Ils nous apprennent ce qu’est la ténacité ouvrière, la résistance morale aux pressions du patronat. Quand en France on propose habituellement 15 ou 20000 euros en prime de licenciement à des ouvriers isolés ici et là, la direction a proposé à chacun des 76 une prime de 90000 euros pour briser la lutte et en finir au plus vite avec ces « irréductibles » marseillais... Ils ont tous refusé ! Ils nous apprennent que la solidarité est le remède face à toutes les stratégies de division : Combien de fois les dirigeants de la lutte se sont vus supprimer leur salaire ou sanctionner arbitrairement, pousser à la faute, harceler, menacer... Chaque fois l’unité du groupe a désarmé la direction !
La ténacité, c’est avant tout tenir avec le moral. Les murs de la cantine de l’usine, transformée en QG, est devenue avec les années le musée de leur lutte : lettres de soutien venant de toute la France, articles de journaux, photos, affiches, slogans, dessins... toute leur fierté affichée quotidiennement, pour se rappeler de la portée nationale de leur action.
« Les victoires c’est vrai que c’est inoubliable, mais le plusfort pour nous c’est les moments de solidarité, quand tu apprends que quelqu’un qui habite à l’autre bout de la France se déplace, vient te voir ici à l’usine et te dit : ta lutte j’y crois. Après c’est vrai que ça met aussi une pression énorme sur nos épaules, mais moi, c’est ça qui me touche le plus » disait Rim, une des ouvrières les plus actives de Fralib lors d’une interview que nous faisions à l’usine en 2013.
Ils nous apprennent enfin ce qu’est le rôle des « dirigeants » : Quand une ouvrière de Fralib ouvre la conférence de presse à l’usine au moment de leur victoire il y a quelques jours en disant : « On doit commencer par rendre hommage à nos représentants syndicaux », seuls les plus ignorants des intellectuels « politiques » pourront qualifier cela de « culte de la personnalité »... tant il est vrai que les dirigeants de cette lutte ont été les plus humbles et les plus modestes de tous. Ils ont littéralement donné leur vie pour cette lutte et ce projet, passant plus de temps avec leurs camarades qu’avec leur propre famille, travaillant sans relâche sur tous les fronts en mêmetemps : contacts, interventions, travail juridique, rencontres pour financer le projet ou pour trouver des fournisseurs, réunions tout le temps, même pendant les repas... Organisant la réflexion et l’analyse collective, la décision collective démocratique et l’exécution planifiée unitaire des actions de lutte... Ils sont les repères, éduqués en même temps que les autres, pendant la lutte, sur tous les fronts. Ils reçoivent la confiance deleurs camarades dans les moments difficiles, ils catalysent l’unité et sont les premiers à savoir que sans la volonté du plus grand nombre, rien ne serait possible...
Cette ouvrière a raison, et à sa suite, à notre tour de rendre hommage à tous les Fralib : A leur résistance bien sur, leur persévérance, leur force et leur intelligence collective, leur capacité à montrer l’exemple et suggérer à tous des solutions et des stratégies de combat contre ce système capitaliste en crise qu’il faut renverser, et contre lequel il faut s’éduquer, mais aussi à leur offensivité, car ils n’ont pas fait que se défendre face à un empire industriel qui voulait détruire leur usine et leur emploi, ils ont contre attaqué et sont passés à l’offensive... et ils ont gagné ! Ils ont obligé Unilever à lâcher l’usine et la marque, et à payer vingt millions d’euros pour préparer le lancement de la SCOP et indemniser chaque ouvrier à hauteur de 100000 euros : « Unilever tue l’emploi, Unilever doit payer »... c’était le slogan de leur banderole depuis le début !
« Hasta la victoria siempre ! » : La victoire est à eux ... et s’ils ont gagné c’est bien parce qu’ils représentent l’avant-garde syndicale qui préfigure l’avenir politique de la classe ouvrière, c’est-à-dire leur noyau authentiquement révolutionnaire ! Bravo camarades !
Coordination Communiste