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Les autorités suisses ont déjà dit "oui" à l’Union Européenne (2ème partie).

Les accords bilatéraux I, ou le début d’une adhésion silencieuse de la Suisse à l’UE

Le 18 avril 1999, le peuple suisse et les cantons approuvaient, lors d’un référendum, une nouvelle Constitution. Ce nouveau texte modifiait en profondeur le paysage de la gouvernance helvétique. Il conférait entre autres au Conseil fédéral (CF) un pouvoir exécutif étendu. Ce jour-là, un processus centralisateur des pouvoirs à Berne était lancé... (1)

Il fallait absolument cette réforme de la Constitution pour permettre aux conseillers fédéraux successifs un rapprochement déterminant de Bruxelles, avec ou sans le peuple. Fort de cette nouvelle donne, le CF signe dès le 21 juin 1999 un premier paquet de sept accords bilatéraux avec Bruxelles. Le but affiché était de permettre à la Suisse d’accéder au "marché interne" (unique) de l’UE. Cet accord est accepté le 8 octobre 1999 par l’Assemblée fédérale (cf Arrêté fédéral annexe 1).

Les accords bilatéraux I validés par le peuple

Le 3 février 2000, une douzaine de comités conteste ces accords, réclame un référendum et dépose 70’000 signatures. Leur argumentaire détaillé est retranscrit en annexe 2. Il est très intéressant de relire leurs inquiétudes et de constater que certaines sont devenues réalité...

Les autorités de l’époque se sont dépêchées d’organiser les votations quelques semaines seulement après le dépôt des signatures. Elles entendaient "souligner ainsi l’importance accordée aux accords bilatéraux conclus avec l’UE". Un marketing redoutable a été déployé. Il vantait un partenariat exclusivement économique et ciblé... Le peuple a intégré les arguments du CF. Ce sont 67.2% des votants qui approuvaient le 21 mai 2000 ce paquet d’accords qui est entré en vigueur dès le 1er juin 2002.

La validation de l’arrêté fédéral du 8 octobre 99 par le peuple permet à Bruxelles de mettre un pied en Suisse. Ce texte de loi donne un pouvoir simultanément à Berne et à l’UE. En effet, l’arrêté se décline en trois parties. La première est un récapitulatif simple des secteurs couverts par les accords. Toutefois, la deuxième traite de la capacité déléguée aux autorités pour qu’elle puisse dans le futur renouveler ce paquet d’accords bilatéraux et de les étendre à tout nouvel arrivant dans l’UE.

En effet, l’article 2 b dit que l’Assemblée fédérale adopte l’arrêté fédéral sujet au référendum « Pour étendre l’Accord sur la libre circulation des personnes des Etats qui n’étaient pas membres de la Communauté européenne lors de son approbation ». Par conséquent, l’arrivée de n’importe quel pays dans l’UE peut accéder au marché suisse sans problème pour autant que le Conseil fédéral l’approuve et qu’un référendum ne soit pas demandé. C’est exactement ce qui vient de se passer avec la Croatie. Dès 99, les autorités fédérales avaient anticipé les futures étapes de la construction européenne.

Quant à la dernière partie de l’arrêté fédéral, son article 3 est aussi fondamental puisqu’il prévoyait dès 99 une "unification multilatérale du droit". Cela signifie que par la signature de ces accords, la Suisse – tout comme ses voisins européens – devait, doit et devra reprendre le droit européen qui s’applique aux secteurs couverts par les accords. Tous ces articles votés à Berne ne sont plus soumis qu’à un référendum "facultatif".

Quels étaient les secteurs couverts par les accords bilatéraux I ?

Le grand public est très peu informé du contenu, de la portée et des conséquences de ces accords... Les accords bilatéraux I ciblaient 7 thèmes (cf. annexe2) dont le plus connu est celui de la libre circulation des personnes, présenté en tant que liberté de circulation des personnes physiques (les individus). D’ailleurs, le marketing de Berne met régulièrement en avant le cas – fort sympathique et devenu emblématique depuis – d’Erasmus, avec les échanges de jeunes étudiants.

La libre circulation des personnes

La libre circulation des personnes a un impact beaucoup plus conséquent que le simple Erasmus. Elle recouvre aussi bien les personnes physiques que les personnes morales qui ne sont rien d’autres que des entreprises. Celles-ci peuvent être par exemple des sociétés anonymes ou des raisons individuelles. Tout le monde peut venir s’installer en Suisse avec ou sans grandes compétences. Ces nouvelles entreprises peuvent faire valoir le Swiss Made tout naturellement. Il suffit pour cela d’inscrire sa raison sociale en Suisse pour obtenir le fameux label. Peu importe qui en sont les réels acteurs et où ils produisent. L’exemple des grandes banques suisses dont la réputation a été pourrie à cause de leurs activités illicites -menées hors du territoire suisse, par des personnes non suisses- a eu des conséquences globales sur la place financière suisse, ses emplois et ses employés. Cela illustre bien les dangers.

Un autre exemple peut être celui d’une entreprise basée quelque part en Europe imposant à ses salariés des conditions de travail et un salaire punissables en Suisse et qui peut concurrencer librement des entreprises sérieuses locales jusque dans les offres publiques nationales, cantonales ou communales. Bilan : les prix sont cassés, le dumping salarial est devenu une réalité, le travail au noir explose...

Pour permettre cette libre circulation des personnes, il a fallu aussi reconnaître que toutes les compétences au sein de la Communauté européenne étaient équivalentes. On met par exemple à pied d’égalité une formation d’un pays de l’UE de plombier-chauffagiste qui dure 9 mois avec les 3-4 ans exigés en Suisse juste pour devenir plombier... Dans le cas où un patron recrutait une personne sous-qualifiée par rapport aux standards locaux, il pourrait réagir de deux manières. Soit il la licencie parce qu’il n’a pas les moyens de la former, soit il réduit ses propres exigences de qualité... Le choix est facile à imaginer si lui-même doit faire face à une concurrence sous-qualifiée mais bon marché...

Les obstacles techniques au commerce

Le deuxième thème abordé est celui de la levée de tous les obstacles techniques au commerce (aussi appelé MRA – Mutual Recognition Agreement). Cet axe concerne la libre circulation des marchandises et sa simplification à l’extrême. Dans cette partie, on aborde l’uniformisation des normes techniques. Les critères de qualité définis par les différents pays de l’UE sont harmonisés et uniformiser. Ainsi la Suisse, dont le niveau d’exigence est très élevée spécialement en matière alimentaire se voit obligée de les abaisser pour répondre aux normes communautaires.

Quel que soit le domaine, l’UE impose une interdiction à tout pays d’avoir des exigences de qualité supplémentaires – donc coûteuses – à celles que le parlement européen ou la Commission édictent. Les directives européennes ont force de lois. La Suisse comme ses voisines doit s’y adapter ou être sanctionnée.
Les taxes douanières sont aussi considérées comme des obstacles à la libre circulation. Celles-ci doivent être abandonnées et toute la paperasserie douanière simplifiée voire abandonnée aussi. Tout ce qui engendre coûts ou retards n’est pas toléré. La législation de l’UE exige de chaque membre de faciliter la circulation des biens afin de maximiser la rentabilité en minimisant les coûts et le temps de circulation des marchandises.

L’ouverture des marchés publics

Les marchés publics sont les appels d’offres lancés par les administrations. Ils doivent être accessibles par tous les membres de la communauté. Il est interdit de donner la préférence à une entreprise nationale (qui par ailleurs continue d’être nationale pour payer ses impôts). Les entreprises les moins-disant ont toutes les chances d’être privilégiées. Chaque pays soumis au marché unique européen court à tout instant le risque qu’une plainte soit déposée contre lui par les entreprises pour discrimination.

A ce jeu les gagnantes sont les grandes entreprises transnationales qui ont une force de production à bas coûts. On assiste d’ailleurs à un soutien affiché par les gouvernants à la délocalisation des entreprises nationales. L’exemple des fabricants de voitures en France où l’Etat est actionnaire est édifiant. Nombre de lignes de production rentables sont déplacées malgré tout en Slovaquie, Turquie ou ailleurs, jetant à la rue des employés au nom de la compétitivité...

En Suisse, la conseillère fédérale des finances avaient même salué positivement une annonce de licenciements massifs de UBS alors même que cette entreprise avait été renflouée par l’argent public et que ses dirigeants continuaient de se payer des bonus mirobolants pour le moins immérités...

L’ouverture aux échanges de produits agricoles

En 92, le CF jurait par ses grands dieux que les produits agricoles ne seraient pas touchés en cas d’adhésion à l’EEE. Plus récemment, l’un ou l’autre des conseillers fédéraux promettait que la politique agricole serait toujours protégée... Aujourd’hui c’est l’emblème helvétique agricole même qu’est la production de lait qui est en danger...

Berne donne le descriptif suivant au sujet de cette libéralisation prévue et signée dès 99 (!) :

« Le commerce de produits agricoles est simplifié dans certains domaines (fromage, produits laitiers transformés) par la réduction des droits de douane, d’une part, et par la reconnaissance de l’équivalence des règles en matière de médecine vétérinaire, de protection phytosanitaire et agriculture biologique, d’autre part. »

Une phrase retient l’attention à ce niveau : « la reconnaissance de l’équivalence des règles en matière de médecine vétérinaire, de protection phytosanitaire et agriculture biologique, d’autre part » La Suisse doit s’adapter au niveau alimentaire à des normes beaucoup moins regardantes au niveau des conditions d’élevage, de production... Cette petite phrase attire toute l’attention à la veille de la signature du traité transatlantique entre l’UE et les Etats-Unis. Ces derniers utilisent même des produits totalement prohibés à ce jour en Europe ou en Suisse (exemple du poulet désinfecté à l’eau de Javel ou la ractopamine molécule utilisée par les américains dans l’élevage du porc et formellement interdite en Europe).

Que Bruxelles signe ce traité et toutes les produits interdits aujourd’hui seront dans nos assiettes demain. Berne sera obligée de reprendre toutes les nouvelles normes comme autant de lois.

Quant au sort des paysans, il est scellé. Aucun membre au marché unique ne peut introduire des quotas ou critiqué la qualité des produits labellisés par Bruxelles. Les paysans suisses n’y survivront pas.

Les échanges au niveau de la recherche

A priori, on ne peut que saluer la mise en commun des recherches. Toutefois, nous voyons arriver avec cette ère du marché unique dominé par les multinationales une pénétration des universités et de la recherche par les intérêts financiers privés.
L’Ecole Polytechnique de Zürich accueille depuis plusieurs années un programme financé par UBS. Récemment, c’est Nestlé qui compte donner son avis sur l’engagement ou non de professeurs à l’Ecole Polytechnique de Lausanne. La question de l’indépendance de l’enseignement et de la recherche est de plus en plus posée...

Les transports terrestres

La Suisse est un carrefour géographique essentiel pour l’Europe. Là aussi les normes élevées de prévention de la pollution sont progressivement abandonnées (acceptation des poids lourds de 40 tonnes) pour offrir au marché unique une circulation rapide, confortable et économique. Les infrastructures routières et ferroviaires sont essentielles. Bruxelles en a besoin. Et les coûts pharaoniques d’agrandissement des infrastructures pour répondre aux velléités d’expansion sont assumés à ce jour par le contribuable suisse en échange d’une modique participation par camion.. Certaines fois, le cynisme va jusqu’à proposer de faire financer les infrastructures françaises ou italiennes par le même contribuable suisse décidément encore trop riche...

Les transports aériens

La Suisse n’a plus de compagnie nationale. Swissair surnommée la banque volante a financé la restructuration et la guerre du secteur du transport aérien commercial dans les années 90. Hasard du calendrier, cet accord sur les transports aériens de juin 2002 intervient au lendemain de la mort de Swissair (mars 2002). La compagnie qui lui succéda Swiss ne connut le succès qu’après avoir été reprise en mains par le groupe Lufthansa .

Conclusion

En bref, on peut dire que le CF a tiré les leçons du référendum de 92, qui avait vu le peuple rejeter l’adhésion à l’EEE. C’est donc beaucoup plus discrètement que les accords bilatéraux I ont ouvert la voie à la pénétration de la Suisse par le marché unique - dit interne – de l’UE. Une fois ces textes admis, des automatismes dans l’adhésion aux normes, règles et lois de Bruxelles ont été acquis et mis en place.

On peut supposer que le référendum de mai 2000 a donné encore plus de force et d’aisance aux autorités pour aller de l’avant. On peut relever une fois de plus l’art du marketing de Berne, qui s’est limitée à vanter les mérites de l’accord - bien réels pour les transnationales suisses, tout en omettant d’en expliciter les désagréments pour le commun des mortels. Dans ce contexte bien précis, on peut saluer le travail des groupes référendaires qui avaient bien évalué, expliqué et diffusé un message qui s’avère aujourd’hui pertinent...

Liliane Held-Khawam

RÉFÉRENCES

(1) La Suisse est un concept en danger, Le Temps, 13.09.2013

Annexes http://lilianeheldkhawam.wordpress.com/2014/05/19/les-autorites-suisses-ont-deja-dit-oui-a-lunion-europeenne-2-la-signature-des-bilaterales-i-suisse-ue/

»» http://lilianeheldkhawam.wordpress....
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PAUL ARIES, AURÉLIEN BERNIER, FRÉDÉRIC DENHEZ, MICHEL GICQUEL, JÉRôME LEROY, CORINNE MOREL-DARLEUX, JACQUES TESTART, FRED VARGAS, MAXIME VIVAS Comment ça, y a pu d’pétrole ! ? Faut-il remplacer la Société du Travail Obligatoire par la Société du Partage Obligatoire ? Vous rêvez d’enfouir Daniel Cohn-Bendit dans un tas de compost ? Peut-on faire chanter « l’Internationale » à Dominique Strauss-Kahn ? Le purin d’ortie est-il vraiment inoffensif ? 155 pages 12 euros
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« Nous préférons croire au mythe selon lequel la société humaine, après des milliers d’années d’évolution, a finalement créé un système économique idéal, plutôt que de reconnaître qu’il s’agit simplement d’une idée fausse érigée en parole d’évangile. »

« Les Confessions d’un assassin financier », John Perkins, éd. Editions Alterre, 2005, p. 247

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