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Manuel Valls jugé par les associations : libéral sécuritaire ou sarkozyste humaniste ?

Quel est le bilan du nouveau Premier ministre Manuel Valls au ministère de l’Intérieur ? S’est-il inscrit dans la droite ligne de ses prédécesseurs Brice Hortefeux et Claude Guéant ? A-t-il au contraire rompu avec ce « sarkozysme » qui a dessiné la France en citadelle assiégée où solidarité et fraternité étaient ridiculisées en assistanat ? Les associations impliquées dans la défense des droits humains et la solidarité avec les migrants répondent.

Manuel Valls aura passé vingt-deux mois au ministère de l’Intérieur. De juin 2012 à mars 2014, sa politique en matière d’immigration et de sécurité oscille entre fermeté et humanisme, deux mots qui reviennent dans tous les bilans des associations de solidarité avec les migrants. S’il s’attaque rapidement à quelques symboles de l’ère Sarkozy, le reste de son exercice est surtout fait d’aménagements par rapport à la politique menée par la droite pendant dix ans.

Étudiants étrangers tolérés, délit de solidarité supprimé

A son arrivée place Beauvau, Manuel Valls s’attache à détricoter les mesures de ses prédécesseurs qui cristallisent le mécontentement des associations. A commencer par la "circulaire Guéant". Adoptée en mai 2011, elle limitait les possibilités pour les étudiants étrangers ayant effectué leurs études en France de travailler dans l’Hexagone à l’issue de leur cursus. Plusieurs centaines d’étudiants, formés et diplômés en France, étaient devenus une nouvelle catégorie de sans-papiers. Faute de pouvoir convertir leur titre de séjour étudiant en titre de séjour salarié, ces jeunes travailleurs, très qualifiés pour certains, étaient alors obligés de renoncer à l’emploi qu’on leur proposait en France et de quitter le territoire. La circulaire est supprimée dès le 31 mai 2012, conformément aux engagements du candidat Hollande. « C’était tellement aberrant, qu’il n’avait pas d’autre choix que la supprimer. Depuis, nous avons beaucoup moins d’étudiants dans nos permanences », constate Fernanda Marrucchelli, coordinatrice à la Fasti (Fédération des associations de solidarité avec les travailleurs Immigrés).

Le nombre de visas accordés à des étudiants a augmenté de 6 % en 2013. Une circulaire adressée aux consulats les incite aussi à davantage de souplesse dans l’obtention de visas, en particulier pour les hommes d’affaires, les scientifiques et les artistes. Autre motif de satisfaction pour les associations : la suppression du délit de solidarité, qui criminalise l’entraide. Peu appliqué, il restait cependant un moyen pour les policiers et les parquets d’intimider les militants et bénévoles venant en aide à des sans papiers en difficulté.

Naturalisations : retour à la normale

Très vite, Manuel Valls revient aussi sur les critères de naturalisation imposés par Claude Guéant. La loi prévoyait que le candidat à la nationalité française devait acquérir un niveau de langue équivalent à celui d’un élève de 3e, démontrer une connaissance de la culture et de l’histoire de France et signer une charte « des droits et des devoirs du citoyen ». Prévue pour le 1er juillet 2012, elle ne sera finalement pas appliquée. Conséquence : « Nous avons renoué avec un nombre de naturalisations normal », observe Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des droits de l’Homme (LDH). Sous Nicolas Sarkozy, les naturalisations avaient chuté de 116 000 en 2010 à 68 000 en 2012.

Ombre au tableau, Manuel Valls a quitté Beauvau en faisant adopter une dernière circulaire le 11 mars 2014 qui inquiète les associations. « Elle allège les procédures pour expulser les demandeurs d’asile déboutés de leur requête. Un héritage qui dit aux préfets « arrêtez d’être sensibles, il faut les virer » », redoute Pierre Tartakowski. Ses conséquences n’ont pas tardé : le 9 avril, trois enfants et adolescents albanais de 13, 16 et 17 ans ont été arrêtés, avec leur mère, à Saint-Étienne, alors qu’ils se préparaient pour l’école, et placés en centre de rétention (lire ici).

Des régularisations toujours arbitraires

Un mois après sa prise de fonction, Manuel Valls annonce dans un entretien au Monde qu’il « n’y [aurait] pas de régularisation massive des sans-papiers » car pour lui, « être de gauche, ce n’est pas régulariser tout le monde et se retrouver dans une impasse ». Aussi, lors de la présentation de son bilan le 31 janvier 2014, il se fait un peu discret sur le nombre d’étrangers régularisés – 45 000 en 2013, après un total de 30 000 en 2012 – face à la droite l’accusant de laxisme. Si l’assouplissement des conditions a notamment profité aux parents d’enfants scolarisés et aux salariés, les associations protestent contre de nombreuses restrictions.

« Nous espérions un vrai changement, une législation conforme aux valeurs de la gauche. Mais nous n’avons pas eu de loi, seulement des circulaires, qui ont aggravé le mille feuille administratif concernant les sans papiers », déplore Fernanda Marrucchelli (Fasti). « Celle du 28 novembre 2012 crée des situations aberrantes parce qu’on demande aux sans-papiers de produire des fiches de paye alors que la plupart travaillent au noir. » Autre limite pointée par la Fasti : « Les pratiques ne sont pas uniformes : chaque préfecture a sa manière de fonctionner. Un dossier peut être refusé à un endroit et accepté ailleurs. » Conclusion de Pierre Tartakowski (LDH) : « Il n’y a pas eu de changement fondamental de politique, seulement un affichage d’humanité. »

20 000 personnes enfermées dans les centres de rétention

Selon les annonces du ministère de l’Intérieur, 27 000 étrangers en situation irrégulière ont été visés par un « éloignement contraint » en 2013 (plus de 30 000 en 2012), dont entre un tiers et la moitié vers des pays de l’Union européenne [1]. Des expulsions jugées peu efficaces, les personnes pouvant facilement revenir grâce aux accords de libre-circulation. Dans les centres de rétention, pas de changement fondamental. La Cimade compte un nombre record de 20 000 personnes enfermées en 2013. « Manuel Valls a continué la politique déjà désastreuse de Nicolas Sarkozy, avec un dispositif énorme pour enfermer et expulser et un recul généralisé du droit des étrangers », accuse David Rohi, responsable de la commission éloignement de la Cimade. Pire, il note un « recul considérable du contrôle des juges ». Conséquence : la majorité des personnes expulsées n’ont pas la possibilité de se défendre devant un juge pour contester la décision d’un préfet. Pour Pierre Tartakowski, « on reste dans le paradigme que les étrangers sont un problème, voire un risque ».

Lors de sa campagne, François Hollande avait promis de « mettre fin dès mai 2012 à la rétention des enfants et donc des familles avec enfants ». Leur nombre a réduit, mais le compte n’y est pas. Une vingtaine d’enfants sont encore passés en centre de rétention en 2013, selon Armelle Gardien, bénévole à Réseau éducation sans frontière (RESF). « Quand une famille est arrêtée, elle peut être expulsée en 24 heures, tout est prêt. » « L’affaire Léonarda », du nom de cette collégienne expulsée au Kosovo après que sa famille eut été déboutée du droit d’asile, a marqué l’opinion. « Pourtant, des Léonarda, il y en a encore tous les jours », estime Armelle Gardien. Manuel Valls a laissé en chantier la réforme sur le droit d’asile, une promesse de campagne de François Hollande qui vise à réduire le délai de traitement des dossiers de trois ans à un an. « On ne peut pas dire que ce qui est sorti de la concertation soit une grande innovation pour l’instant », tranche Pierre Henry, président de France Terre d’asile. « Globalement, le bilan de Manuel Valls est maigre. »

Le destin des Roms : entre stigmatisation et discrimination

Au risque de heurter l’opinion publique et une partie de son camp, c’est sur la question des Roms que Manuel Valls affiche le plus de fermeté. Le 26 août 2012, sept ministères dont le sien signent une circulaire qui oblige les préfets à reloger les personnes délogées après le démantèlement d’un campement illicite. Une promesse bien accueillie par les associations, qui restera cependant peu et mal appliquée. « Le peu de choses construites par le préfet Renier [Alain Rénier, nommé par Jean-Marc Ayrault sur la question des bidonvilles] a été détricoté par le ministère de l’Intérieur », affirme Alexandre Leclève de RomEurope. Le 7 décembre 2012, Manuel Valls diminue le montant de l’aide au retour offerte aux Roms qui acceptaient de rentrer dans leur pays d’origine contre 300 euros par personne. Un dispositif, jugé « inopérant » par les associations qui approuvent. Les évacuations de bidonvilles se poursuivent toutefois au même rythme que sous Nicolas Sarkozy, voire pire : 19 380 Roms ont été délogés en 2013, contre 9 404 en 2012 et 8 455 en 2011.

« Il a largement contribué à les isoler comme un acteur singulier et autonome en les assignant à un destin collectif, et donc ethnique », juge Pierre Tartakowski (LDH). Le grand public retiendra de Manuel Valls sa phrase du 14 mars 2013 : « Les Roms ont vocation à rester en Roumanie ou à y retourner. » Une phrase pour laquelle il est cité à comparaître pour incitation à la haine raciale devant le tribunal de grande instance de Paris le 5 juin 2014. Mais le ministre n’a pas été le seul à déraper. Le collectif RomEurope dénonce « une stigmatisation d’État » venant des deux bords politiques, tandis qu’Amnesty International pointe « un harcèlement de la police » envers les Roms. Pour Saimir Mile, président de La voix des Rroms, « Manuel Valls a poursuivi la politique de ses prédécesseurs, en s’en distinguant le moins possible dans les faits mais aussi dans le discours ».

Contrôle au faciès : rien ne bouge

Côté sécurité, Manuel Valls abandonne très rapidement l’idée du récépissé de contrôle d’identité, l’une des grandes promesses de François Hollande pour lutter contre les contrôles au faciès. « Le récépissé n’a pas été débattu, alors que des villes étaient prêtes à le mettre en place », regrette Mohamed Mechmache, président de AC Le Feu. A la place, le ministère de l’Intérieur propose un code de déontologie, un matricule sur les uniformes et une caméra qui enregistre le contrôle. « Cela ne suffit pas à redonner confiance en la police. Pour restaurer le dialogue entre la police et les populations, il faut une volonté politique forte. »

En revanche, l’engagement phare du candidat Hollande sur les zones de sécurité prioritaires (ZSP) est concrétisé : 80 sont en place aujourd’hui. « On continue de vivre des situations compliquées dans les quartiers, notamment des comportements exagérés de certains policiers », constate Mohamed Mechmache. Pour le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), la parole raciste est de plus en plus libre et tolérée. « On assiste à un rejet de l’islam et des musulmans avec un sentiment complet d’impunité pour les auteurs de déclarations ou de discriminations », dénonce sa co-présidente Bernadette Hétier. « Les élus et les personnes publiques sont particulièrement responsables de leurs propos, et pas toujours condamnés ». La parole antisémite est elle aussi libérée, voire revendiquée. En témoigne le bras de fer entre Manuel Valls et le polémiste Dieudonné autour de son spectacle début 2014. Si le rejet des étrangers ne date pas de ces deux dernières années, ni la fermeté, ni l’humanisme affiché de Manuel Valls n’ont renversé la tendance.

Marianne Rigaux

CC Ministerio del Interior (Espagne)

Notes

[1]
Le nombre annuel d’expulsions du territoire font l’objet de manipulation de toute sorte. Il est donc difficile de s’y retrouver. Le chiffre de 20 800 reconduites forcées à la frontière en 2013 a été avancé par l’UMP pour critiquer le « laxisme » de Manuel Valls comparé à son prédécesseur. Valls a rétorqué que dans les 36 000 expulsions annoncées en 2012, l’année de fin de mandat de Sarkozy, les départs volontaires d’étrangers sans papiers étaient comptabilisés, ainsi que l’expulsion de Roumains, qui sont des citoyens européens et peuvent donc circuler librement.

»» http://www.bastamag.net/Manuel-Valls-juge-par-les
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Jean Bricmont est professeur de physique théorique à l’Université de Louvain (Belgique). Il a notamment publié « Impostures intellectuelles », avec Alan Sokal, (Odile Jacob, 1997 / LGF, 1999) et « A l’ombre des Lumières », avec Régis Debray, (Odile Jacob, 2003). Présentation de l’ouvrage Une des caractéristiques du discours politique, de la droite à la gauche, est qu’il est aujourd’hui entièrement dominé par ce qu’on pourrait appeler l’impératif d’ingérence. Nous sommes constamment (…)
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