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Pour Edgar Morin, Danièle Sallenave et Sami Naïr, par Union Juive Française pour la Paix.


Un jugement absurde et scandaleux


Par Jean-Claude Meyer


Communiqué de l’Union Juive Française pour la paix au sujet d’une condamnation en appel pour "antisémitisme".


La condamnation, le 27 mai 2005, par la Cour d’Appel de Versailles d’Edgar Morin (sociologue), Sami Naïr (ancien député européen) et Danièle Sallenave (universitaire et écrivain) est absurde et scandaleuse. Scandaleuse parce que l’on ne peut imaginer que les trois auteurs du texte condamné, publié dans Le Monde du 4 juin 2002 sous le titre "Israël-Palestine : le cancer", puissent être suspectés d’antisémitisme, absurde parce que, détachant les deux passages incriminés de leur contexte, la condamnation transforme un argument d’ordre historique et politique en injure antisémite.

Rappelons ces deux passages

"On a peine à imaginer qu’une nation de fugitifs, issue du peuple le plus longtemps persécuté dans l’histoire de l’humanité, ayant subi les pires humiliations et le pire mépris, soit capable de se transformer en deux générations en " peuple dominateur et sûr de lui " et, à l’exception d’une admirable minorité, en peuple méprisant ayant satisfaction à humilier."

" Les juifs d’Israël, descendants des victimes d’un apartheid nommé ghetto, ghettoïsent les Palestiniens. Les juifs qui furent humiliés, méprisés, persécutés, humilient, méprisent, persécutent les Palestiniens. Les juifs qui furent victimes d’un ordre impitoyable imposent leur ordre impitoyable aux Palestiniens. Les juifs victimes de l’inhumanité montrent une terrible inhumanité. Les juifs, boucs émissaires de tous les maux, " bouc-émissarisent " Arafat et l’Autorité palestinienne, rendus responsables d’attentats qu’on les empêche d’empêcher."

Ces passages rappellent qu’un peuple persécuté n’est jamais prémuni contre la possibilité de devenir persécuteur à son tour. Ce n’est ni le premier exemple dans l’histoire, ni malheureusement le dernier. Il faut aussi préciser qu’il s’agit ici des Juifs d’Israël et non des Juifs en général.

Ainsi l’accusation d’antisémitisme résulte d’une double erreur de jugement.

D’une part, les textes incriminés portent un jugement d’ordre historique et politique ; si ces textes peuvent faire l’objet d’un débat, ils ne relèvent pas de l’instance judiciaire.

D’autre part, les textes incriminés portent un jugement sur une politique qui engage les citoyens d’un Etat et non les Juifs du monde ; aucune instance judiciaire ne peut décider que l’Etat d’Israël est l’Etat de tous les Juifs, ce qui est administrativement faux. On peut alors penser que le procès intenté par des organisations juives à Edgar Morin, Sami Naïr et Danièle Sallenave est un acte de confiscation des Juifs au profit de l’Etat d’Israël et par cela même un acte antijuif.

On peut donc s’étonner qu’une instance judiciaire commette cette double erreur de jugement, la première en condamnant un jugement historique et politique qui ne relève pas de son ressort, la seconde en entrant dans le jeu d’organisations qui se propose de confisquer les Juifs au profit d’un Etat.

On ne peut rester indifférent devant un tel jugement.

Rappelons d’abord que certaines organisations juives ont décidé depuis longtemps, au nom d’une représentation médiatique trop aisément acceptée, de porter plainte pour antisémitisme contre ceux qui critiquent la politique israélienne. Si ces organisations ont perdu la plupart des procès qu’elles ont intentés, le verdict de la Cour d’Appel de Versailles vient les conforter dans leur volonté d’identifier critique de la politique d’Israël ou de l’idéologie sioniste à une forme d’antisémitisme.

Ce n’est pas le premier procès qu’elles ont gagné. Rappelons le procès intenté par l’Action Cultuelle Israélite de Lille contre Jean-Pierre Willem, maire de Seclin, petite ville de la banlieue de Lille, lequel avait décidé, pour marquer son soutien à la lutte des Palestiniens, de boycotter les jus de fruits israéliens dans les cantines scolaires. Après un premier procès au cours duquel le Procureur de Lille avait déclaré dans son réquisitoire qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre, le Parquet de Douai, sur injonction du Garde des Sceaux de l’époque, Dominique Perben, faisait appel, contre le Parquet de Lille faudrait-il préciser, et Jean-Pierre Willem était condamné en appel à 1000 euros d’amende pour le délit d’entrave eu commerce, l’accusation ayant reconnu lors du procès en appel que Willem ne pouvait être accusé d’antisémitisme.

On peut considérer que certaines organisations juives qui se réclament du sionisme ont décidé de jouer l’amalgame entre l’antisémitisme et les critiques à l’encontre de la politique d’Israël et du sionisme pour deux raisons :

- d’une part, rassembler les Juifs de France autour des organisations sionistes confortant ainsi un nationalisme juif qui se mettrait au service d’Israël.

- d’autre part, faire comprendre aux non-juifs, toujours suspects d’être antisémites, que leur seule façon d’éviter tout soupçon est de soutenir l’Etat d’Israël quoi qu’il fasse.

Ces agissements de ceux qui se considèrent comme les porte-parole des Juifs de France sont dangereux.

D’abord envers tous ceux qui soutiennent la lutte des Palestiniens pour se libérer de l’occupation israélienne et construire leur Etat. Toute critique de la politique israélienne et du sionisme s’expose non seulement aux diatribes sionistes, mais aussi à une condamnation pénale. C’est la liberté d’expression et de manifestation qui est en cause.

Ensuite envers les Juifs de France dans la mesure où ces agissements confortent cette dangereuse équation

Juif = Israélien = Sioniste

et la condamnation d’Edgar Morin, Sami Naïr et Danièle Sallenave ne peut que renforcer cette équation. Mais c’est peut-être cela que cherchent des organisations pour qui les Juifs ne sont qu’une masse de manoeuvre pour soutenir une politique que nous ne pouvons accepter.


C’est pour cela que nous nous déclarons solidaires d’Edgar Morin, Samy Naïr et Danièle Sallenave et que nous tenons à exprimer notre indignation contre le jugement porté à leur encontre.

C’est pour cela aussi que nous dénonçons les agissements d’organisations qui pratiquent un amalgame intolérable entre antisémitisme et critique de la politique israélienne ou du sionisme et qui considèrent les Juifs de France comme leur propriété.

UJFP Union Juive Française pour la Paix 4 juillet 2005


Pétition


Le Journal de La République des Lettres , mercredi 29 juin 2005.


Edgar Morin est insulté et menacé par les ligues juives extrêmistes après une ubuesque condamnation pour antisémitisme.


Le 26 mai dernier, la Cour d’appel de Versailles comdamnait le
philosophe sociologue Edgar Morin (84 ans), l’écrivain Danièle Sallenave et le député européen Sami Naïr pour "diffamation raciale" envers le peuple juif. Un incroyable et flagrant déni de justice rendu à la suite de poursuites engagées par les associations sionistes France-Israël et Avocats sans frontières et la pression d’une communauté juive française qui voit de l’antisémitisme partout, y compris dans les propos de ses intellectuels d’identité juive les plus érudits et les plus humanistes. Tous ceux qui, tels Edgar Morin, osent parfois critiquer — avec beaucoup de modération — politique menée par Israël dans le conflit qui l’oppose aux palestiniens.

En cause, une tribune libre publiée dans Le Monde du 04 juin 2002 intitulée Israël-Palestine : le cancer où les co-signataires écrivaient notamment "On a peine à imaginer qu’une nation de fugitifs issue du peuple le plus longtemps persécuté dans l’histoire de l’humanité, ayant subi les pires humiliations et le pire mépris, soit capable de se transformer en deux générations en peuple dominateur et sûr de lui et, à l’exception d’une admirable minorité, en peuple méprisant ayant satisfaction à humilier"

(Voir Edgar Morin, la République des Lettres du 18 mars 2004).


Outre les poursuites pour "diffamation à caractère racial et apologie d’actes de terrorisme", Edgar Morin — à l’instar d’autres intellectuels comme Alfred Grosser, Daniel Mermet, Rony Brauman, Michel Wieviorka, etc, qui ne soutiennent pas aveuglement les politiques de Sharon et les exactions de Tsahal (l’armée israélienne) dans les territoires palestiniens occupés — a eu le triste privilège d’être traité de "crapule antisémite", de "renégat" et de "juif honteux" dans la presse de la communauté juive. On n’a pas manqué non plus de l’insulter copieusement sur certains sites internet communautaristes incultes et peu soucieux de pensée complexe mais où s’exprime la haine la plus débridée.

France-Israël - Général Koenig et les autres ligues juives ont été une première fois déboutées de leurs poursuites par le tribunal de Nanterre mais la Cour d’appel de Versailles leur a récemment donné raison, condamnant les auteurs de l’article à 1 euro de dommages et intérêts, à la grande satisfaction du CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives). A la suite de cette condamnation ubuesque, une pétition de soutien à Edgar Morin a été lancée. Publiée dans Libération du 24 juin, elle recueille actuellement de nombreuses signatures de personnalités intellectuelles, juives ou non, françaises et étrangères qui dénoncent ces accusations scandaleuses d’antésimitisme et de terrorisme dont est victime le sociologue. La déclaration (voir copie ci-dessous) souligne que les critiques faites par Edgar Morin à la politique d’Israël sont partagées par un grand nombre d’Européens et qu’elles sont de nature humaniste. Elle rappelle aussi que "Mettre en cause le gouvernement actuel d ’Israël, et même la majorité des Israéliens qui l’appuient, n’a rien à voir avec une condamnation des juifs", et estime que ce procès fait au sociologue "montre que de lourdes menaces, qui prennent souvent la forme d’intimidations, pèsent sur la liberté d’expression en France".

Cette pétition solidaire n’a évidemment pas manqué de susciter de violentes réactions dans une partie de la communauté juive qui y voit une preuve de plus de l’antisémitisme des français et des médias.

C’est entre autres l’avis d’Alain Finkielkraut, toujours présent lorsqu’il s’agit d’antisémitisme imaginaire. Mais, plus grave, Edgar Morin, ainsi que ses collaborateurs et certains signataires de la pétition, reçoivent désormais des insultes et des menaces. Catherine Loridant, collaboratrice d’Edgar Morin à l’EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales) a ainsi reçu un e-mail indiquant qu’elle et "le vieux Edgar", qui "crache sur son peuple" allaient bientôt recevoir une visite "pour vous mettre les POINGS sur les i".

Edgar Morin et Catherine Loridant ont porté plainte.


Texte de la pétition publiée dans Libération :

Infirmant le jugement rendu en leur faveur par le tribunal de Grande
Instance de Nanterre, la Cour d’appel de Versailles vient de condamner
pour "diffamation raciale" Edgar Morin, Sami Naïr et Danièle Sallenave
signataires d’un article intitulé Israel-Palestine : le cancer publié
dans Le Monde du 4 juin 2002.

Faisant état, sur la base de faits internationalement condamnés, de la politique de répression israélienne, alors particulièrement violente, cet article s’inquiète des conséquences désastreuses de ce conflit dans le monde, notamment en France où il suscite judéophobie et arabophobie.

L’article souligne avec indignation et douleur que l’expérience des persécutions et humiliations bi-millénaires subies par les juifs n’aura nullement empêché persécutions et humiliations des palestiniens.

Dans l’esprit des auteurs, cette constatation, comportait un respect de mémoire rendu à un passé de souffrance.

L’imputation de diffamation raciale s’appuie sur la façon dont, dans deux passages, extraits de deux paragraphes différents, s’était exprimée cette indignation douloureuse. Or, par principe élémentaire de connaissance et de jugement, on sait que toute phrase s’éclaire par le texte où elle s’inscrit et que tout texte s’explique par son contexte. De fait, le reste du texte confirme que les critiques s’adressent non à un peuple mais à un occupant ; une phrase de l’article lui même éclaire sans ambiguïté cette évidence : "cette logique du mépris et de l’humiliation, écrivent les auteurs,
n’est pas le propre des Israéliens, elle est le propre de toutes les occupations, où le conquérant se voit supérieur face à un peuple de sous humains".

Quant au contexte, les auteurs de l’article sont connus pour être, dans leurs personnes et leurs écrits, des ennemis de tous les racismes et de toutes les discriminations. Edgar Morin est internationalement reconnu comme un humaniste ayant toute sa vie condamné toute forme de déni d’autrui.

Sami Naïr et Danièle Sallenave sont également connus pour les combats politiques et intellectuels qu’ils ont menés contre toutes les formes de discrimination.

C’est pourquoi :

- Nous nous élevons contre une pratique de lecture qui isole un fragment de texte du texte lui-même et de son contexte. Cette méthode a conduit à imputer aux auteurs une position qui est exactement contraire à leur intention.

- Nous nous inquiétons légitimement de toute mesure qui tend à réduire
la liberté de critique à l’encontre de la politique d’un Etat quel qu’il soit.

Nous craignons que la sanction d’un antisémitisme imaginaire ne
contribue à l’expansion néfaste de l’antisémitisme réel.

- Nous exprimons notre profonde préoccupation face à un jugement sanctionnant un article qui plaide clairement, à travers une analyse équitable et complexe, pour la paix et la fraternité entre les protagonistes de la tragédie israélo-palestinienne.

Signature à envoyer par mail à 
loridant@ehess.fr., en mentionnant vos noms et professions.

 Source : www.republique-des-lettres.com



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