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La route pour Saigon est ouverte, par Massimo Loche - il Manifesto.


30 avril 1975, entrée des divisions du général Van Tien Dung dans la ville. Le correspondant de L’Unità à Hanoi raconte la défaite de l’armée fantoche et la fuite des américains. La campagne d’hiver printemps qui porte le nom de l’ « Oncle Ho », vue du côté du vietcong et du Nord Vietnam.

Phuoc Long est arrachée, les hauts plateaux libérés. Le régime de Nguyen Van Thieu se délite et coule pendant qu’aux USA, affaiblis par le Watergate et l’impeachment de Nixon, on cherche une voie pour fuir les rizières vietnamiennes.


il manifesto, mercredi 27 avril


Bien sûr je ne fus pas totalement surpris quand, vers onze heures du matin, le 30 avril 1975, un crépitement de pétards et un hurlement « thang loi ! », victoire, remplirent la matinée ensoleillée du printemps de Hanoi, en annonçant que Saigon avait été prise, que la guerre était finie et la paix finalement arrivée. Ce cri et ce crépitement joyeux de pétards étaient une source absolument autorisée : ils venaient des fenêtres du ministère de l’Intérieur, en face des deux pièces de l’Hôtel Thong Nhat, l’hôtel de l’Unification, qui étaient mon bureau et ma résidence comme correspondant de l’Unità . Pour une fois, une nouvelle de source vietnamienne m’arrivait de façon directe, bien que très informelle. Ce ne fut pas du tout une surprise parce que les nouvelles qui arrivaient de Saigon, assiégée par les divisions du général Van Tien Dung, ne laissaient aucun doute : depuis le matin du 29 les agences internationales décrivaient la frénésie des vols d’hélicoptères qui transportaient, de l’ambassade américaine vers la flotte postée au large, les diplomates, agents de la CIA, personnalités du régime et quiconque arrivait à se glisser dans la confusion qui régnait autour de l’ambassade. Le pont aérien se termina à l’aube du 30 : à 5h40 exactement, l’avant-dernier hélicoptère avait quitté le toit de l’ambassade, et le dernier avait décollé deux heures plus tard avec les marines de garde, à bord. Mais depuis 5h 30 déjà les avant-gardes de la 203ème division blindée de l’armée nord-vietnamienne avaient pénétré en ville avec une grande prudence, se dirigeant vers le palais présidentiel qu’ils rejoignirent et occupèrent dans la matinée, quelques heures plus tard.

La scansion des moments de l’évacuation de l’ambassade américaine et de l’entrée des troupes du général Van Tien Dung font comprendre à quel point fut complexe le jeu politique interne et international qui se déroula autour de la prise de Saigon. Le parti de négocier était fort à Hanoi aussi, mais il était fort surtout sur le plan international. Les ambassadeurs américain et français, Graham Martin et Mérillon (avec des objectifs différents) avaient espéré jusqu’au bout maintenir à Saigon un gouvernement autonome qui traitât avec Hanoi la réunification du pays. Pendant le dernier mois, Kissinger avait exercé de fortes pressions sur l’Union soviétique pour qu’elle arrête l’armée vietnamienne, ou, au moins, qu’elle facilite le départ des américains et de leurs amis vietnamiens. Le premier objectif n’avait pas été atteint, aussi, parce que sur les questions fondamentales, le groupe dirigeant nord vietnamien n’avait jamais écouté les conseils de qui que ce soit. Mais le second objectif avait trouvé des oreilles attentives même à Hanoi ; personne ne retenait qu’il soit utile de provoquer les américains. « La situation est complexe, il faut allier rapidité et patience », me répondait de façon sibylline Vien, mon informateur du ministère de l’Intérieur quand, comme tout journaliste présent à Hanoi, j’essayais d’arracher quelque information sur les perspectives de la campagne, entourées du secret le plus dense. Le général Van Tien Dung craignait que concéder aux américains l’organisation du pont aérien puisse fournir l’occasion d’une attaque aérienne massive. Si les B52 revenaient, ç’aurait été une catastrophe pour le meilleur de son armée, désormais entièrement concentré autour de Saigon. C’est pour cela qu’il avait demandé au secrétaire du parti, Le Duan, d’entrer dans la ville rapidement, mais la réponse avait été nette : il fallait attendre que tous les américains soient partis. Et le général avait organisé les choses de façon à ne pas laisser une seule minute entre le départ du dernier hélicoptère et le début de l’avancée.

Si j’avais été surpris de quelque façon ce matin-là , ça avait donc été par la rapidité de l’action.
Toute la communauté des journalistes et diplomates de Hanoi pariait sur le premier mai, non seulement parce que les vietnamiens avaient un goût particulier pour les anniversaires mais parce qu’il était raisonnable de penser qu’entre le départ des américains et l’entrée dans la ville il se serait passé au moins 24 heures. Il y avait aussi les « très bien informés », selon lesquels il y avait eu un accord et qu’après négociation avec ce qui restait du gouvernement sud vietnamien, l’entrée des troupes victorieuses se ferait le 19 mai, date de la naissance de Ho Chi Minh. Du reste, la campagne n’avait-elle pas été baptisée récemment du propre nom de l’« Oncle Ho » ?

Ils se trompaient, nous nous trompions. Les vietnamiens avaient mené leur dernière campagne militaire sans jamais refuser toute possibilité de négociation, mais ils avaient lancé des signaux très clairs à qui voulait entendre. A la mi-avril mon traducteur et « guide » m’avait apporté cinq pages très denses de la traduction d’un article de la revue de l’armée, le Quan Doi Nhan Dan, dans lequel on faisait un premier bilan de la « campagne d’hiver printemps 1975 ».Après une longue et méticuleuse liste des succès enregistrés et une analyse réaliste de la débâcle de l’armée de Saigon, on soulignait la « situation internationale favorable », pour conclure que la campagne en cours serait victorieuse malgré « toutes les manoeuvres » de ceux qui ne voulaient pas que se réalise la mission de Ho Chi Minh, c’est-à -dire la réunification du Vietnam. Les forces armées allaient accomplir leur devoir jusqu’au bout. En lisant entre les lignes, le message était clair : la réunification du pays serait faite par les armes, il n’y avait plus de marge de tractations. La campagne d’hiver printemps avait commencé le premier janvier exactement. Quelques semaines plus tôt, dans un « briefing » régulier avec nouvelles « à ne pas publier », j’avais été informé que « 1975 serait une année décisive » dans laquelle serait infligé un coup puissant au régime de Nguyen Van Thieu et à ses protecteurs américains, pour arriver à mettre en acte les Accords de Paris : c’est-à -dire la réconciliation nationale, la constitution d’un gouvernement du Sud Vietnam avec la participation du Front de Libération Nationale qui aurait mis en marche les négociations pour la réunification du pays. Les Etats-Unis, me dit-on, sont fortement affaiblis après l’affaire du Watergate et l’impeachment de Richard Nixon, son vice président Gerald Ford, devenu président, est très faible. Le Congrès est décidé à réduire fortement les financements militaires au régime sud vietnamien et n’autorisera pas de nouveaux bombardements. Henry Kissinger est beaucoup plus préoccupé par la situation au Moyen-Orient que par ce qui arrive ici. Cependant, nous vietnamiens devons tenir compte de la « détente » avec l’URSS et de la « complexité » de la situation internationale, raison pour laquelle, bien qu’aspirant à une victoire rapide, nous devons faire preuve de patience. De façon indirecte on m’avait communiqué la décision du bureau politique de lancer une campagne pour élargir les territoires contrôlés, de façon à avoir plus de cartes en main au moment de s’asseoir à une future table de négociations. Depuis que les accords de Paris avaient été signés, deux ans avant, les suds vietnamiens avaient conquis plus de terrain qu’ils n’en avaient perdu, il s’agissait de renverser la situation.

La campagne commença de façon prudente avec l’attaque de Phuoc Long, un petit chef-lieu de province au nord-ouest de Saigon, qui capitula après dix jours de combats. Et l’armée du général Van Tien Dung s’arrêta. Il fallait évaluer les réactions avant d’avancer pour le second objectif qui avait été établi en décembre : la petite ville de Ban Me Thuot sur les hauts plateaux du centre. Phuoc Long n’était pas très important d’un point de vue stratégique, mais les sud vietnamiens n’avaient jamais permis qu’un chef-lieu provincial tombe sans réagir violemment et le reconquérir. Cette fois ils ne réagirent pas et, à Hanoi, on eut la confirmation de l’analyse sur la faiblesse du régime de Saigon et l’absence de propension des Etats-Unis à se faire traîner de nouveau en guerre. On décida de poursuivre en attaquant Ban Me Thuot. Le général Van Tien Dung qui était arrivé entre-temps sur le front, manoeuvre habilement, en faisant croire à ses ennemis qu’il allait aussi attaquer deux autres centres des hauts plateaux, Pleiku et Kontum. Ainsi, quand Ban Me Thuot tomba ce fut la panique chez les généraux sud vietnamiens des hauts plateaux, un ordre de repli stratégique se transforma en une fuite désastreuse vers les côtes. Van Tien Dung était le maître des hauts plateaux et au Vietnam, on a toujours dit : « qui contrôle les hauts plateaux contrôle le pays ».

Les objectifs définis en décembre pour toute la campagne avaient été atteints mi-mars et, en ce point, Hanoi décida d’accélérer les cadences. « Ils sont devenus fous, ils sont devenus fous », me cria le correspondant polonais (toujours bien informé) en me croisant dans la rue, « ils veulent arriver à Saigon ». La raison de cette excitation était une nouvelle confidentielle, une grande quantité de bus fournis « pour la reconstruction » avaient été destinés au transport de trois divisions vers la zone démilitarisée, vers Da-Nang. La Pologne faisait partie de la Commission de contrôle pour l’exécution des accords de Paris et défendait à outrance la voie des négociations. La nouvelle était vraie et à la fin du mois de mars ces colonnes de camions « pour la reconstruction » entrèrent à Da-Nang, en éliminant les meilleures troupes de l’armée sud-vietnamienne. La route de Saigon était ouverte.

Massimo Loche

 Source : il Manifesto www.ilmanifesto.it

 Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

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