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Un bénévole de WikiLeaks était un informateur payé par le FBI (Wired)

Thordarson et Julian Assange. Photo : Sigurdur Thordarson

Un jour de semaine en août 2011, un blondinet islandais de 18 ans du nom de Sigurdur Thordarson, alias “Siggi” franchit le seuil de l’ambassade américaine à Reykjavík (Islande), dissimulant dans la poche de sa veste ce qui allait lui faire office de carte de visite : une photocopie froissée d’un passeport australien. La photo du passeport montrait un homme à la chevelure blond-platine hirsute au nom de Julian Paul Assange.

Thordarson fut longtemps bénévole pour WikiLeaks en étroite relation avec Assange et occupant un poste clé comme organisateur au sein du groupe. Mais après son entrée dans l’ambassade dans un style digne de l’époque de la guerre froide, il est devenu quelque chose d’autre : le premier informateur connu du FBI au sein de WikiLeaks. Pendant les trois mois qui ont suivi, Thordarson a servi deux maîtres, en travaillant simultanément pour le site web qui divulgue des secrets tout en transmettant ces secrets au gouvernement américain, en échange, dit-il, d’un total de 5 000 dollars environ. Le FBI lui a fait traverser l’Atlantique quatre fois pour des comptes-rendus, dont un voyage à Washington D.C.. Lors de leur dernière rencontre, Thordarson a fourni huit disques durs remplis de conversations en ligne, des vidéos et autres données en provenance de WikiLeaks.

Cette relation fournit un rare aperçu dans l’enquête du gouvernement américain contre WikiLeaks, le groupe qui milite pour la transparence, et propulsé récemment dans l’actualité internationale pour son assistance au lanceur d’alerte Edward Snowden de la NSA. La double vie de Thordarson illustre les efforts que le gouvernement était prêt à fournir pour poursuivre Julian Assange, en approchant WikiLeaks avec des tactiques utilisées par le FBI contre le crime organisé et le piratage informatique – ou plus sombrement, lors d’infiltrations de groupes de défense des droits civiques à l’époque de Hoover.

C’est un signe que le FBI voit WikiLeaks comme une organisation criminelle présumée plutôt qu’une organe d’information », dit Stephen Aftergood de la Federation of American Scientists’ Project on Government Secrecy. « WikiLeaks était quelque chose de nouveau, donc je pense que le FBI a dû faire un choix à un moment donné quant à la façon de le traiter : Etait-ce une sorte de New York Times ou quelque chose d’autre ? Et ils ont clairement décidé que c’était quelque chose d’autre. »

Le FBI a refusé de commenter.

Thordarson avait 17 ans et était encore au lycée quand il a rejoint WikiLeaks en février 2010. Il faisait partie d’un large contingent de volontaires islandais qui ont adhéré à la cause de Julian Assange après la publication par WikiLeaks de documents bancaires internes relatifs à la crise financière de ce pays.

Lorsqu’une révolte au sein de l’équipe en septembre 2010 a laissé l’organisation exsangue, Assange a nommé Thordarson en charge du groupe d’échanges en ligne (chats-logs) de WikiLeaks, faisant de Thordarson le premier point de contact pour les nouveaux volontaires, les journalistes, les sources potentielles et les groupes extérieurs se réclamant de WikiLeaks qui était à l’apogée de sa notoriété.

Dans ce rôle, Thordarson était un homme au centre des négociations avec le fonds de défense de Bradley Manning qui a conduit WikiLeaks à donner 15 000 dollars pour la défense de sa principale source. Il a accueilli et formé un nouveau bénévole qui avait commencé le téléchargement et l’organisation d’un vaste filon de câbles diplomatiques des années 1970 issu des National Archives and Record Administration, connu par la suite comme les « Câbles Kissinger », en avril dernier. Et il a bataillé avec des dizaines de bénévoles et sympathisants qui ont collaboré à la refonte du site de WikiLeaks et tourné des vidéos en hommage à Assange.

Il a amassé des milliers de pages de chat logs lors de son passage à WikiLeaks, qui, dit-il, sont maintenant entre les mains du FBI.

La trahison de Thordarson envers WikiLeaks est aussi une trahison personnelle envers son fondateur, Julian Assange, qui, disent d’anciens collaborateurs, avait pris Thordarson sous son aile, et l’a préservé des critiques et des controverses juridiques.

« Quand Julian l’a rencontré pour la première ou deuxième fois, j’étais là », raconte Birgitta Jonsdottir, membre du parlement islandais qui a travaillé avec WikiLeaks sur « Collateral Murder », vidéo de l’attaque d’un hélicoptère américain en Irak. « Et j’ai prévenu Julian dès le premier jour qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas avec ce mec… J’ai demandé à ce qu’il ne fasse pas partie de l’équipe de Collateral Murder ».

En janvier 2011, Thordarson a été impliqué dans un scandale politique bizarre dans lequel un mystérieux ordinateur portable « espion » a été trouvé fonctionnant sans surveillance dans un bureau vide de l’immeuble du parlement. « Si c’est toi qui [l’] as fait, ne me le dis pas », a dit Assange à Thordarson, selon des conversations numériques non authentifiées provenant de Thordarson.

« Je te défendrai contre toutes les accusations, vraies ou fausses (Assange a fait une erreur de prononciation et a dit « ring [sic] and wrong » – NDT), et te ferai confiance, comme je l’ai toujours fait », lui dit Assange dans une autre conversation numérique le mois suivant. « Mais j’attends en retour une loyauté sans faille ».

Au lieu de cela, Thordarson a profité de sa proximité avec Assange pour ses propres objectifs. L’acte le plus conséquent survint en juin 2011, lors de sa troisième visite à Ellingham Hall – le manoir anglais où Assange a vécu en résidence surveillée quand il se battait contre son extradition vers la Suède.

Pour des raisons encore troubles, Thordarson a décidé d’approcher les membres du groupe de pirates Lulzsec et les a sollicités pour pirater les systèmes du gouvernement islandais comme un service rendu à WikiLeaks. Pour établir sa bonne foi, il a transmis une vidéo de 40 secondes filmée avec son téléphone portable qui démarre avec un plan sur un écran d’ordinateur qui affiche une conversation IRC en cours (échanges en ligne et en temps réels sur Internet – NdR) puis filme la pièce où Assange est en train de travailler avec un collègue. (Cet échange fut le premier rapporté par Parmy Olson dans son livre sur Anonymous).

Malheureusement pour Thordarson, le FBI avait déjà arrêté le leader de Lulzsec, Hector Xavier Monségur, alias Sabu, une semaine plus tôt, et l’avait contraint à coopérer comme informateur. Le 20 juin, le FBI a averti le gouvernement islandais. « Une grosse équipe du FBI est venue en Islande et a demandé aux autorités islandaises de les aider », relate Jonsdottir. « Ils pensaient qu’il y avait une attaque imminente de Lulzsec contre l’Islande ».

A ce stade, le FBI pouvait encore ne pas savoir qui était Thordarson au-delà de ses pseudos. Le bureau et les services de police en Angleterre et en Australie ont continué à arrêter des membres présumés sur des accusations sans lien.

Après avoir esquivé cette attaque, il n’est pas très clair pourquoi Thordarson a décidé d’approcher le FBI deux mois plus tard. Quand je lui ai posé directement la question la semaine dernière, il a répondu : « Je suppose que j’ai coopéré parce que je ne voulais pas participer au piratage par Anonymous et Lulzsec pour le compte de WikiLeaks, parce que cela aurait certainement été une violation de nombreuses lois ».

Une réponse qui n’a guère de sens puisque c’est Thordarson lui-même, et non Assange, qui a demandé à Lulzsec de pirater l’Islande. Il n’y a aucune preuve qu’aucun autre membre de WikiLeaks ait été impliqué. Il a ensuite donné une seconde raison qu’il avoue être plus proche de la vérité : « La deuxième raison était l’aventure ».

Le comportement équivoque de Thordarson met en évidence un obstacle récurrent dans les rapports à son sujet : il a tendance à mentir. Jonsdottir le qualifie de « pathologique ». Il admet m’avoir menti dans le passé. Pour cette histoire, Thordarson a soutenu sa version en fournissant des courriels apparaissant comme les échanges qu’il a eus avec son instructeur du FBI, les registres des vols pour certains de ses voyages et un reçu du FBI indiquant qu’il leur a donné huit disques durs. Le ministre de l’intérieur islandais a précédemment confirmé que le FBI s’était rendu en Islande pour interroger Thordarson. Thordarson a aussi beaucoup témoigné sur ses responsabilités lors d’une audience au parlement islandais, en présence de Jonsdottir.

Enfin, il m’a donné un sous-ensemble substantiel des fichiers des conversations numériques qu’il dit avoir transmises au FBI, qui s’élèvent à environ 2000 pages. Ce qui pour le moins prouve qu’il a gardé les documents et qu’il est prêt à les remettre à un journaliste que Julian Assange déteste.

« L’aventure » de Thordarson a commencé le 23 août 2011, lorsqu’il a envoyé un courriel à l’ambassade américaine à Reykjavík « concernant une enquête criminelle en cours aux Etats-Unis ».

« La nature du renseignement qui peut être mis en évidence dans cette enquête ne sera pas précisée dans ce courriel », écrit-il, énigmatique.

Un agent de la sécurité de l’ambassade l’a appelé le jour même. « Il a dit, « Quelle enquête ? » J’ai répondu « WikiLeaks » », raconte Thordarson. « Il a nié l’existence d’une telle enquête, alors j’ai juste dit que nous savions tous les deux qu’il y en avait une ».

Thordarson a été invité à l’ambassade où il a présenté une copie du passeport d’Assange, le passeport du numéro deux, Kristinn Hrafnsson, et un extrait d’une conversation privée entre Thordarson et Assange. Le représentant de l’ambassade a été évasif. Il a dit à Thordarson qu’ils pourraient être en contact mais que çà prendrait au moins une semaine.

C’est arrivé bien plus vite.

Les agents du FBI et deux procureurs fédéraux ont débarqué dans un jet privé le lendemain, le 24 août et Thordarson a été de nouveau convoqué à l’ambassade.

Il a été accueilli par le même représentant de l’ambassade qui a confisqué ses clés et son téléphone portable, puis l’a conduit en empruntant un détour par les rues du centre-ville de Reykjavík, pour finir à l’Hotel Reykjavik Centrum, rapporte Thordarson. Thordarson a passé deux heures dans une salle de conférence de l’hôtel en parlant à deux agents du FBI. Puis ils l’ont raccompagné à l’ambassade pour qu’il puisse payer son parcmètre et sont retournés à l’hôtel pour poursuivre l’entretien.

Les agents l’ont interrogé sur ses interactions avec Lulzsec mais ils étaient surtout intéressés sur ce qu’il pouvait leur donner sur WikiLeaks. L’un d’eux lui a demandé s’il pouvait porter un micro lors de sa prochaine visite à Londres et parvenir à obtenir d’Assange des propos incriminants ou parler de Bradley Manning.

« Ils m’ont demandé ce que je portais tous les jours, ce que j’avais toujours sur moi », dit-il. « J’ai répondu ma montre. Alors ils ont dit qu’ils pourraient l’échanger contre une montre-micro ».

Thordarson dit qu’il a refusé. « J’aime bien Assange, je le considère même comme un ami », dit-il. « Je ne voulais pas aller jusque-là ».

En tout, Thordarson a passé vingt heures avec les agents sur environ cinq jours. Puis le gouvernement islandais leur a ordonné de plier bagage et de rentrer.

Il s’avère que le FBI a trompé les autorités locales sur le but de leur visite en Islande. Selon un calendrier (.pdf) diffusé plus tard par le Commissariat national de la police islandaise (National Commissioner of the Icelandic Police), le FBI a contacté la police islandaise pour signaler le rendez-vous de Thordarson à l’ambassade et demandé l’autorisation de venir dans le pays pour poursuivre les entretiens. Mais le bureau a présenté sa demande comme un prolongement de son enquête initiale sur Lulzsec et s’est gardé de préciser que son réel objectif était WikiLeaks.

WikiLeaks est bien vu en Islande et l’incident a surgi cette année dans un contexte politique houleux avec les conservateurs arguant que l’Islande a coopéré avec le FBI et les libéraux se plaignant que des agents soient autorisés à entrer dans le pays. « C’est devenu une énorme controverse », affirme Jonsdottir. « Et puis aucun d’entre eux ne savaient quel genre de personne est Siggi ».

Politique mise à part, le FBI n’en avait pas fini avec Thordarson.

Les agents ont persuadé Thordarson de s’envoler pour Copenhague avec eux, dit-il, pour une autre journée d’entretiens. En octobre, il a fait un second voyage au Danemark pour une autre séance de renseignements. Entre les réunions, Thordarson est resté en contact avec eux via des comptes de messageries temporaires.

En novembre 2011, Thordarson a été expulsé de WikiLeaks. L’organisation a découvert qu’il avait organisé une vente en ligne de tee-shirts WikiLeaks et s’était arrangé pour encaisser les ventes sur son compte bancaire personnel. WikiLeaks a déclaré que le détournement des fonds s’élève à 50 000 dollars environ.

Thordarson a affirmé au FBI à ce propos dans un email laconique le 8 novembre « Ne suis plus à WikiLeaks – donc pas sûr de savoir comment pouvoir encore vous aider ».

« Nous aimerions toujours vous parler en personne », répliqua l’un de ses instructeurs. « Je peux réfléchir à quelques moyens faciles pour vous aider ».
« Vous pouvez m’aider avec du cash, les gars ? », rétorqua Thordarson.

Au cours des mois suivants, Thordarson a quémandé de l’argent au FBI, tandis que le FBI tantôt l’ignorait et tantôt lui faisaient les yeux doux. Au final, Thordarson affirme que le FBI a accepté de l’indemniser pour le travail qu’il a raté pendant ses réunions avec les agents (il dit qu’il a travaillé dans une école de formation de gardes du corps), pour un montant d’environ 5000 dollars.

Une fois la question de l’argent réglée, le FBI a commencé à le préparer pour un voyage aux Etats-Unis. « J’ai voulu te parler projets que nous pouvons faire », a écrit son instructeur en février. Le FBI voulait qu’il rétablisse le contact avec certains de ses anciens collaborateurs à WikiLeaks. « Nous parlerons des objectifs précis des conversations en ligne, mais d’ici notre rencontre tu peux d’ores et déjà les appeler histoire de reprendre contact avec eux. Si tu as besoin de savoir qui précisémment, on peut en discuter au téléphone ».

Le voyage de trois jours à Washington a eu lieu en février de l’année dernière. Thordarson affirme avoir pris le vol 631 d’Air Iceland à l’aéroport international de Logan, le 22 février, et pris la correspondance à Boston avec le vol 686 de JetBlue à l’aéroport Dulles International où il a été accueilli par un agent des douanes américaines et « escorté hors du terminal de Dulles dans les bras du FBI ».

Il est resté dans un hôtel à Arlington, en Virginie, où l’enquête du ministère de la Justice sur WikiLeaks est centralisée et y a rencontré ses contacts habituels du FBI et trois ou quatre autres hommes en costume qui ne se sont pas identifiés.

« Le dernier jour, on a été manger un steak tous ensemble », raconte-t-il. « Où ils ont servi du Coca Cola dans des bouteilles en verre venant de Mexico ».

Le 18 mars 2011, il a eu une autre réunion avec le FBI au Danemark. Lors de ce voyage, il a apporté huit de ses disques durs personnels, contenant les renseignements qu’il a compilés quand il était à WikiLeaks, y compris les fichiers des conversations en ligne, des photos et des vidéos prises à Ellington Hall. Le FBI lui a signé un reçu pour le matériel.

Puis ils ont coupé les ponts.

Aujourd’hui, Thordarson a 20 ans et de nouveaux problèmes. Il est confronté à des accusations criminelles en Islande pour des crimes financiers et fiscaux indépendants. En plus, WikiLeaks a déposé plainte pour détournement de fonds pour l’affaire de la vente en ligne des tee-shirts.

Les conséquences de sa coopération avec le FBI ne sont pas claires. Une plainte devant la cour révélée la semaine dernière montre qu’au cours des mois qui ont suivi les derniers entretiens de Thordarson, les fonctionnaires du Département de la justice à Arlington, en Virginie, ont commencé à recevoir des ordonnances judiciaires visant deux anciens collaborateurs de WikiLeaks en Islande : Smari McCarthy et Herbert Snorrason.

Snorrason, qui a dirigé les chats rooms (salles de réunions virtuelles sur Internet – NdR) de WikiLeaks en 2010, avant que Thordarson ne les reprenne, a eu tout le contenu de son compte gmail remis au gouvernement, en vertu d’un mandat de perquisition secret publié en octobre 2011.

Les preuves utilisées pour obtenir le mandat restent sous scellé. « Je me demande », déclare Thordarson, « si je suis quelque part là-dedans »

Kevin Poulsen.

Traduction : Romane.

Source : http://www.wired.com/threatlevel/2013/06/wikileaks-mole/all/

Lire aussi : How the WikiLeaks forum became an FBI shooting gallery
http://storify.com/marthagroup/how-the-wikileaks-forum-became-an-fbi-shooting-gal?utm_content=storify-pingback&utm_source=direct-sfy.co&awesm=sfy.co_jNbn&utm_medium=sfy.co-twitter&utm_campaign=

»» http://www.wired.com/threatlevel/2013/06/wikileaks-mole/all/
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