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L’Etat français vient-il donc lui-même en Belgique avec ses propres entreprises pour éviter de se payer à lui-même des impôts ?

La Belgique : une menace pour les finances publiques françaises ?

Le journal L’Echo s’est interrogé sur l’ampleur de l’expatriation fiscale française : même les grandes entreprises dont l’Etat est actionnaire - EDF, France Télécom, GDF-Suez - ont trouvé refuge à seulement quelques kilomètres de l’Hexagone.

Pendant la campagne présidentielle en mars dernier, le président français François Hollande a déclaré :

"J’envisage de revoir tous les traités fiscaux que la France a conclus avec d’autres pays. Mais il y en a plus que cent. Et cela nous prendrait plus de dix ans pour y arriver. J’accorderai donc la priorité à nos trois principaux traités : ceux que nous avons avec le Luxembourg, la Suisse et... la Belgique."

On peut s’étonner que François Hollande trouve notre pays aussi néfaste que le Luxembourg et la Suisse, deux pays qui ont fait de l’évasion fiscale leur marque de fabrique. La crainte de Hollande est-elle fondée ? Le climat fiscal favorable de la Belgique plombe-t-il le Trésor français ?

Nous avons mené l’enquête sur les entreprises « boîtes aux lettres » de l’homme le plus riche de France, Bernard Arnault, patron du groupe de luxe LVMH (Moët Hennessy Louis Vuitton). Il en ressort que la Belgique est, au minimum, fiscalement attrayante pour nos voisins du sud. Non seulement à cause de nos célèbres intérêts notionnels, mais aussi parce que les holdings bénéficient d’une exonération fiscale totale sur les cessions d’actions.

C’est pour cette raison qu’Arnault - qui possède la quatrième plus grande fortune du monde - ne détient pas ses participations à Paris, mais via une série de holdings belges. Comme par exemple, sa participation dans le géant de la distribution Carrefour, la marque de luxe Bulgari, Christian Dior, et même ses propres actions du groupe LVMH.

« Il n’est pas surprenant que Bernard Arnault connaisse l’attractivité des holdings belges. Il va de soi qu’il travaille avec les meilleurs conseillers fiscaux », commente Thierry Afschrift, professeur de droit fiscal à l’Université Libre de Bruxelles et l’un des meilleurs avocats fiscalistes de notre pays. « Mais ce qui m’étonne, c’est sa négligence », poursuit Afschrift.

"Le milliardaire français a établi ses holdings belges à une adresse peu glamour à Schaerbeek. La plaque est même devenue trop petite pour tous les noms des sociétés. Et les choses changent tellement vite - Arnault crée et liquide ses petites sociétés belges à la chaîne - que des sociétés qui n’existent plus se trouvent toujours sur les plaques de la boîte aux lettres. Et l’une de ces petites sociétés - qui vaut des milliards d’euros - ne rentre plus ses comptes annuels depuis 2009. »

Le drôle de carrousel de l’Etat français

Drôle de carrousel de l’Etat français. « Bien entendu, ces holdings existent, surtout sur le papier. Bien entendu, leurs activités sont réduites » clarifie Afschrift. « Mais le piège, c’est de devenir trop laxiste et de laisser dormir les holdings. Cela peut vite se transformer en pure fiction. Les holdings ne sont qu’un réceptacle, mais il faut au minimum veiller à ce que leur structure soit parfaite. Sinon, vous risquez d’avoir des problèmes. »

Bernard Arnault semble en avoir pris conscience, car deux autres de ses entreprises - Hannivest et LVMH Finance Belgique - qui comptabilisent ensemble 6 milliards d’euros de fonds propres, sont désormais enregistrées Avenue Louise, une adresse dont le prestige lui correspond mieux. Et elles emploient non plus une, mais cinq personnes. Cela qui semble déjà plus crédible. Cette adresse, c’est un gratte-ciel de l’Avenue Louise. Boîte Postale 46.

Mais une autre boîte postale à la même adresse attire notre attention.

Il s’agit d’EDF Investment Group. Electricité de France a-t-il créé une entreprise à la même adresse qu’Arnault pour bénéficier du système des intérêts notionnels et réaliser de belles économies d’impôt dans son pays ? EDF est la plus grande entreprise énergétique de France, avec un chiffre d’affaires de 65 milliards d’euros et un bénéfice annuel de 3,5 milliards d’euros. Ce n’est pas un hasard si EDF Investment Group a été fondé en 2007, juste après la mise en place du système des intérêts notionnels.

Les archives du Moniteur Belge confirment que la maison mère verse de nombreux milliards d’euros en cash dans sa petite entreprise de l’Avenue Louise, dont les fonds propres atteignent 7,6 milliards d’euros.

En 2011, EDF Investment Group a réalisé chez nous un bénéfice de 306 millions d’euros, et a payé 900.000 euros d’impôts, soit moins de 0,3%. La crainte du président français semble quelque peu fondée.,

Mais l’avocat Thierry Afschrift fait remarquer : « EDF est détenu par l’Etat français à hauteur de 84%, et vient en Belgique pour payer moins d’impôts à ... l’Etat français. C’est un drôle de carrousel. Très étrange . »,

L’Etat français vient-il donc lui-même en Belgique avec ses propres entreprises pour éviter de se payer à lui-même des impôts ?

Ce serait le monde à l’envers. Qu’en est-il, par exemple, de France Telecom, qui, avec ses 170 000 employés, est dans les mains de l’Etat français à concurrence de 26% ? France Telecom est surtout connu en Belgique pour sa participation [52,9%] dans Mobistar [entreprise de téléphonie mobile belge]. Mais les Français sont-ils aussi chez nous pour des raisons fiscales ?

Bien entendu. Le holding qui détient Mobistar s’appelle Atlas Services Belgium. Il est enregistré à Evere, à la même adresse que Mobistar. Dans la presse, Atlas Services Belgium est jusqu’à présent apparu comme la structure chapeautant Mobistar. Mais cela ne s’arrête pas là . Car si on examine les participations du holding, on trouve de nombreuses autres participations aux côtés de Mobistar : à Amsterdam et à Rome ; en Côte d’Ivoire, au Maroc, au Botswana, en Suisse, en Roumanie, en Slovaquie, en Ouganda, au Portugal, à l’Ile Maurice, etc.

Les géants français démasqués

Apparemment, France Telecom, est bien au fait des avantages fiscaux dont bénéficient les holdings en Belgique. Il semble évident que l’exonération des bénéfices réalisés sur toutes ces actions joue un rôle. De plus, le géant français des télécoms a transféré en Belgique des milliards d’euros de pertes, ce qui lui permet de payer très peu d’impôts.

Il est grand temps d’essayer de vérifier combien d’autres célèbres entreprises françaises sont installées chez nous avec des centres et des holdings financiers, qui leur permettent de payer moins d’impôts.

Nos recherches nous apprennent que la moitié du CAC 40 (les quarante plus importantes sociétés françaises cotées en Bourse) est installée en Belgique.

En plus de LVMH, EDF et France Telecom, on trouve par exemple Danone, GDF Suez, Total, Air Liquide, Schneider Electric, Vinci, Lafarge, Veolia Environnement et Carrefour.,

C’est parfois un véritable chemin de croix pour arriver à démasquer les géants français qui se cachent derrière ces véhicules belges.

Par exemple, Carrefour, travaille ici avec une société qui s’appelle Northshore Participations, et qui détient une participation dans Carrefour Trading de Hong Kong. Et le groupe Arnault a transféré ses actions Carrefour dans les holdings Courtinvest et Cervinia.

Les liens entre ces holdings et autres structures similaires situées au Luxembourg ressemblent à un enchevêtrement. Mais la crème des entreprises françaises non cotées a-t-elle aussi trouvé le chemin vers la douce Belgique ? Prenons le principal concurrent de Carrefour, la chaîne de supermarchés Auchan, dont le chiffre d’affaires tourne aux alentours de 40 milliards d’euros.

Depuis l’introduction des intérêts notionnels, Auchan a créé chez nous un véhicule financier, Auchan Coordination Services, avec les principaux directeurs financiers du groupe dans son Conseil d’administration. [Les intérêts notionnels permettent aux entreprises étrangères de déduire un taux d’intérêt fictif de leur imposition sur leur capital risque en fonds propres, en gros ils réduisent la charge fiscale totale pesant sur les bénéfices des entreprises. Ils sont venus remplacer les centres de coordination, un régime d’exemption fiscale destiné aux multinationales installées en Belgique, supprimé par l’UE en 2001]

L’effet Arnault

Depuis 2006, plus de 3,7 milliards d’euros y ont été transférés. Cela a tout de même rapporté plus de 7 millions d’euros d’impôts à l’Etat belge au cours des trois dernières années, et donne de l’emploi à une vingtaine de personnes.

Autre nom connu : le groupe de cosmétiques Yves Rocher, dont le chiffre d’affaires annuel se situe autour de 2 milliards d’euros. Son « Centre de Coordination Yves Rocher » se trouve à Tournai.

Un autre grand fan de notre système fiscal n’est rien d’autre que le groupe Remy Cointreau, mondialement connu pour ses spiritueux Remy Martin, Cointreau, Passoã et son champagne Piper- Heidsieck. Le groupe français y a installé sa société « Financière Remy Cointreau » en 2006, juste après le lancement du système des intérêts notionnels.

Et y a transféré des milliards d’euros en quelques années. Mais les recettes fiscales sont pour l’instant plutôt décevantes, avec à peine quelques centaines de milliers d’euros pour le Trésor belge.

« Cela se transmet plus vite que le virus de la grippe », conclut l’avocat fiscaliste Thierry Afschrift.

« Si les quatre grands bureaux de conseil trouvent qu’une construction donnée fonctionne bien, ils conseillent la même chose à leurs autres clients. C’est comme ça que cela fonctionne.

Bien entendu, de nombreuses entreprises françaises ont des liens historiques avec la Belgique, vu qu’elles se trouvent chez nous depuis des années avec leurs centres de coordination, ou pour des raisons autres que fiscales.

Les entreprises françaises investissent énormément dans notre pays : les Français sont désormais propriétaires d’une grande partie de notre économie. »

« Mais l’objectif n’est pas tant de venir en Belgique que de fuir la France. Car le système des intérêts notionnels est devenu moins intéressant. Et le régime belge des holdings est attrayant - davantage que celui des Pays-Bas et du Luxembourg - mais nous avons une mauvaise réputation. Parce que nous changeons les règles continuellement, et beaucoup d’entreprises s’en plaignent. »

Le cabinet d’avocats d’Afschrift a remarqué une autre vague venant de France :

« Ces derniers mois, j’ai reçu de nombreuses demandes de Français souhaitant régler leur succession via une fondation belge. C’est clairement un effet Arnault.

Depuis que le grand public sait que l’homme le plus riche de France veut régler sa succession via une fondation belge, je remarque qu’une vague importante de Français veulent faire la même chose. La fondation privée belge est tout à fait adaptée pour régler une succession.

Le système est même meilleur qu’en Suisse et aux Pays-Bas. Notre fondation est fiscalement plus avantageuse et plus flexible. Au Panama et au Lichtenstein, c’est mieux, mais la plupart des gens ne veulent pas travailler avec ces paradis fiscaux notoires.

Et depuis qu’Arnault a fait la publicité de notre fondation outre-quiévrain, le système est y est plus connu. C’est pour cette raison que de nombreux Français passeront encore la frontière belge. »

Ce qui ne va pas faire plaisir à François Hollande.

http://www.filpac-cgt.fr/spip.php?article5185

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