A l’heure des délocalisations et de la désindustrialisation, la mobilisation d’un gouvernement socialiste pour la promotion de la production française semble plus que naturelle. Avec la destruction de l’industrie, ce sont en effet des centaines de milliers d’emplois qui disparaissent, des savoirs-faires qui s’éteignent, et une richesse économique et sociale qui se perd. Quoi de plus normal pour un ministre tel qu’Arnaud Montebourg que de prendre des positions fortes sur le thème du made in France ? Mais si les intentions du ministre du Redressement productif sont résolument louables, son apparition très remarquée dans la presse fait planer bien des doutes sur la réalité de sa compréhension de la problématique du « produit en France ».
Un ministre rempli de bonnes intentions
Fin 2012, Arnaud Montebourg se voyait adresser un compliment inattendu. Laurence Parisot, présidente du Médef, affirmait en effet trouver « très sexy » la photo du ministre du Redressement productif à la Une du supplément du Parisien paru le 19 octobre. Cette photo, nul n’est besoin de la présenter à nouveau tant elle a généré d’attention dans l’espace médiatique. On a également largement explicité la volonté du ministre à l’origine de cette décision de poser en marinière Armor-Lux, montre Herbelin au poignet et robot-mixeur Moulinex sous le coude. Ce dont on a moins parlé en revanche, c’est de la pertinence de ces choix pour défendre le made in France comme instrument du patriotisme économique.
Arnaud Montebourg a en effet choisi de s’afficher à côté de produits symbolisant des industries françaises bien connues pour défendre ce concept. Mais Amor-Lux, Herbelin et Moulinex sont-ils encore aujourd’hui des représentants crédibles du made in France ? Il est permis d’en douter. C’est ce qu’a très tôt fait Atlantico en soulignant que l’essentiel des composants de la montre Herbelin du ministre était produit en Suisse, les usines françaises n’ayant à leur charge que les tâches d’assemblage du produit fini. Mais la montre Herbelin n’est pas le seul détail à faire tiquer l’oeil averti sur cette image. A vrai dire, tous les produits mis en avant sur cette image sont loin de représenter l’industrie nationale dans ce qu’elle a de plus bénéfique pour le bilan économique et social français.
Armor-Lux, société implantée à Quimper en Bretagne, s’est pour sa part rendue fameuse par son exploitation de l’imagerie régionale bretonne. A cet égard, la fameuse marinière Armor-Lux apparaît bien comme un symbole du prêt-à -porter français. Que le consommateur (et le responsable politique) ne s’y trompe pas toutefois : Armor-Lux, ce sont 600 emplois en France, autant qu’une entreprise qui ne produit pas la moitié de ses articles dans l’Hexagone et surtout, un réseau de fournisseurs du secteur textile employant quelques 2500 salariés en Tunisie. Pour Moulinex, le tableau est sensiblement le même. Bien sûr, cette entreprise fait partie de l’histoire industrielle française : nombre de ménagères se souviennent encore du fameux slogan « Moulinex libère la femme » et de ce qu’il signifiait dans les années 1960, à l’époque du plein essor de l’électroménager. Mais face aux difficultés industrielles, Moulinex est une entreprise qui a fermé l’essentiel de ses sites de production français en 2001, supprimé quelque 4000 emplois pour finalement ouvrir de nouvelles usines au Mexique.
Défendre le made in France est une honorable cause. Arnaud Montebourg a souhaité la faire sienne en dépit des oppositions de son propre camp politique qui considère qu’il s’agit là d’une lubie passéiste et d’un simple plaidoyer pour un retour au protectionnisme. Mais s’il est en effet nécessaire de prouver que le made in France peut être défendu et promu dans une saine démarche d’entretien de l’emploi et de création de richesse en France, il est également plus que nécessaire de le faire correctement. Or ce n’est en aucun cas ce qu’Arnaud Montebourg a fait en se mettant en scène à la Une du Parisien, avec des objets qui symbolisent difficilement le produit français aujourd’hui. Car promouvoir le made in France, ce n’est pas simplement prendre le parti des entreprises issues de l’histoire industrielle française, mais bien soutenir celles qui génèrent à l’instant t une création de richesse significative sur le sol français.
Entreprise française n’est pas synonyme de made in France
Consécutivement à la parution de cette fameuse Une, on a dit d’Arnaud Montebourg qu’il était porté sur l’humour. « Ils ne voulait pas une photo dans son bureau, mais que ce soit explicite » indique Le Point, citant les membres du cabinet du ministre ; « il fait le pari que c’est un moyen d’ouvrir ce débat avec l’humour dont il n’est pas dépourvu ». Le décalage et l’humour seraient donc les instruments du ministre Montebourg pour aborder une question aussi sensible que la préservation des emplois industriels en France. L’attitude tranche pour le moins avec la gravité du sujet. D’ailleurs, l’initiative du ministre a laissé pantois ses collègues du gouvernement.
A cet égard, c’est assurément la réaction de Benoît Hamon, ministre délégué à l’Économie, qui illustre le mieux l’incompréhension générée par l’initiative d’Arnaud Montebourg. Confronté à la fameuse couverture moins d’un jour avant sa publication, Benoit Hamon croyait au canular. « C’est un beau montage ! […] C’est des conneries, et si c’est vrai ça ne lui va pas mal », commentait-il sur les plateaux de Canal+. On sent le doute s’immiscer dans l’esprit de Benoît Hamond à mesure que progresse l’interview : le document qu’on lui présente pèche par son esthétisme pour le moins ostentatoire, mais Arnaud Montebourg n’en a pas à son coup d’essai en matière promotionnelle et Benoît Hamond le sait.
Après tout ne s’était-il pas fait remarquer quelques semaines plus tôt en se faisant remettre les clés de la première Renault Zoé. La première voiture électrique du constructeur français s’était en effet elle aussi vu offrir une publicité de premier choix, Arnaud Montebourg ayant insisté pour conduire cette auto « produite en France ». A l’époque cependant, la prestation du ministre du Redressement productif avait plus convaincu :cette nouvelle auto est en effet produite à Flins, en banlieue parisienne. Ainsi, lorsque les exemples sont bien choisis, le soutien personnel du ministre est pertinent et crédible. Comment s’offusquer par exemple de la visite d’Arnaud Montebourg à l’usine de Repetto ? Quelques années plus tôt, cette célèbre maison de couture et de cordonnerie était sauvée de justesse de l’abîme par son patron Jean-Marc Gaucher qui inaugurait début octobre 2012 l’extension de son site dordonais de production ! De tels accomplissements industriels méritent que nos dirigeants les portent en exemple. Pour autant, le meilleur plan de communication ne remplacera jamais une vraie politique industrielle.
Sur le sujet du patriotisme économique et du made in France, Arnaud Montebourg semble tout mélanger : les bons et les mauvais élèves, de même que les fins et les moyens de la promotion de l’industrie française. A la façon d’un publicitaire un peu trop véhément, il semblerait que le ministre du Redressement productif choisisse les bénéficiaires de son soutien sur des critères obscurs et ne favorisant pas nécessairement les entreprises les plus engagées sur le sol français. Dans ces conditions, mener le combat de l’industrie à grand renfort de com’ s’apparente à un traitement de surface. Arnaud Montebourg souhaite favoriser la création d’emplois industriels en France ? Qu’il fasse en sorte que les programmes de soutien bénéficient aux PME anonymes et pas seulement à celles dont l’image de marque les place au-devant de la scène médiatique ! La bataille de l’emploi industriel français ne se gagnera pas avec des mesures cosmétiques. Puisse cette couverture du Parisien nous permettre à tous de le réaliser, avant qu’il ne prenne l’idée à Arnaud Montebourg de se repentir de ses maladresses en posant en tutu Repetto ou en robe de chambre Armor-Lux !