L’Hiver
Merd’ ! V’là l’Hiver et ses dur’tés,
V’là l’moment de n’pus s’mett’ à poils ;
V’là qu’ceuss’ qui tienn’nt la queue d’la poêle
Dans l’Midi vont s’carapater !
V’là l’temps ousque jusqu’en Hanovre
Et d’Gibraltar au cap Gris-Nez,
Les Borgeois, l’soir, vont plaind’ les Pauvres
Au coin du feu... après dîner !
Et v’là l’temps ousque dans la Presse,
Entre un ou deux lanc’ments d’putains,
On va r’découvrir la Détresse,
La Purée et les Purotains !
Les jornaux, mêm’ceuss’ qu’a d’la guigne,
A côté d’artiqu’s festoyants
Vont êt’ pleins d’appels larmoyants,
Plein d’sanglots... à trois sous la ligne !
Merd, v’là l’Hiver ! Le pègr’ s’échine
A fabriquer des port’s-monnaie
Merd, v’là l’Hiver ! Maam’ Sév’rine
Va rouvrir tous ses robinets !
C’qui va s’en évader des larmes !
C’qui va en couler d’la pitié !
Plaind’ les Pauvr’s c’est comm’ vendr’ ses charmes
C’est un vrai commerce, un méquier !
Ah ! c’est qu’on est pas muff en France,
On n’s’occup’ que des malheureux ;
Et dzimm et boum ! la Bienfaisance
Bat l’tambour su’ les Ventres creux !
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Et faut ben qu’ceux d’la Politique
Y s’gagn’nt eun’ popularité !
Or, pour ça, l’moyen l’pus pratique
C’est d’chialer su’la Pauvreté.
Moi je m’dirai : "Quiens, gn’a du bon !"
L’jour ou j’verrai les Socialisses
Avec leurs z’amis Royalisses
Tomber d’faim dans l’Palais-Bourbon.
Car tout l’mond’ parl’ de Pauvreté
D’eun’ magnèr’ manifique et ample,
Vrai de vrai y a d’quoi roter,
Mais personn’ veut prêcher d’exemple !
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Au lieu de plaind’les Purotains
J’m’en vas foute à les engueuler,
Ou mieux les fair’ débagouler,
Histoir’ d’embêter les Rupins.
Oh ! ça n’s’ra pas comm’ les vidés
Qui, bien nourris, parl’nt de nos loques.
Ah ! faut qu’j’écriv’ mes "Soliloques" ;
Moi aussi, j’en ai des idées !
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Et au milieu d’leur balthasar
J’vas surgir, moi (comm’ par hasard)
Et fair’ luire aux yeux effarés
Mon p’tit " Mané, Thécel, Pharès" !
Et qu’on m’tue ou qu’jaille en prison,
J’m’en fous, j’ n’connais pus de contraintes :
J’suis l’Homm’ Modern’, qui pouss’ sa plainte,
Et vous savez ben qu’j’ai raison !
(1894-1895)