solidaritéS, 19 octobre 2004.
Alors que prenait fin la longue guerre qui opposait, depuis 1982, la rébellion sudiste du Sudan People’s Liberation Army/Movement (SPLA/M) de John Garang et le pouvoir central de Khartoum, dirigé depuis 1989 par Umar Al Bashir, commençait une autre guerre dans le Darfour, à l’ouest du pays, depuis février 2003.
Cette guerre semble préoccuper particulièrement la « communauté internationale » : des négociations à Ndjaména (Tchad) - facilitées par Paris - à la Résolution 1556 du Conseil de Sécurité de l’ONU, de la mission d’observation de l’Union Africaine aux convois humanitaires d’aide aux déplacé-e-s et réfugié-e-s, de la déclaration du G8 réuni à Sea Island aux prises de position fermes du gouvernement des Etats-Unis contre la politique criminelle du gouvernement soudanais.
Dans cet article, il sera question essentiellement des acteurs locaux.
Puis dans le suivant publié à la suite, nous reviendrons plus en détail sur les intérêts internationaux en jeu et sur la façon dont ils soufflent sur les braises pour tenter de tirer parti de la crise.
Conflit meurtrier au Darfour : les enjeux intérieurs
Une fois de plus, pour les médias dominants, il s’agit d’une guerre ethnique : d’un côté, les Zaghawa et les Massalit, organisés au sein de la Sudan Liberation Army (SLA), appuyés par le Justice and Equality Movement (JEM), de l’autre les miliciens Janjawid, soutenus par l’armée gouvernementale. Une aubaine pour la presse à sensation, car le conflit opposerait des Noirs dans le rôle de victimes et des Arabes, donc de musulmans, dans celui de bourreaux.
On rappellera que le Soudan a été un bastion du pan-islamisme politique pendant près d’une décennie, sous la direction d’Omar El Béchir (chef de l’Etat) et de Hassan El Tourabi (président du Parlement jusqu’en 1999). Après sa rupture avec les Etats-Unis, suite à la première Guerre du Golfe, Ousama Ben Laden y avait même reçu l’hospitalité. De quoi alimenter la vague internationale montante d’islamophobie et d’arabophobie.
Arabo-musulmans contre négro-animistes chrétiens ?
Certes, il existe au Soudan un clivage entre, grosso modo, un Nord arabo-musulman et un Sud négro-animiste et chrétien, héritage de plus d’un millénaire de pénétration de l’islam et de domination des Arabes allochtones sur les Noirs autochtones. Une opposition consolidée par l’ingénierie administrative britannique, qui s’est substituée à la domination égypto-ottomane, et qui a soumis le Soudan à une forme particulière d’indirect rule, relativement comparable à celui en vigueur en Afrique du Sud, notamment en combattant le brassage des populations arabes et noires. Ainsi, l’indépendance que l’Angleterre a été contrainte d’accorder au Soudan en 1956, a été perçue par les élites noires comme la perpétuation de la domination de la majorité noire par l’élite de la minorité arabe.
Ceci a conduit au déclenchement de la rébellion sudiste et séparatiste Anya-Nya, en 1955, qui a duré jusqu’à l’obtention de l’autonomie du Sud, en 1972. Une rébellion reprise, en 1982, par la SPLA/M (Sudan People’s Liberation Army/Movement, unioniste), au moment où le régime soudanais, dirigé par Gafar El Nimeiri, délégitimé aux yeux du peuple de toutes les régions, décidait d’instaurer la loi islamique sur l’ensemble du pays. Ce qui était bien sûr une violation de l’autonomie du Sud, considéré comme animiste et chrétien.
Un imbroglio plus complexe
En fait, la réalité est plus compliquée. Car, bien que majoritairement noire (52%), la population soudanaise est musulmane à 70%, contre 25% d’animistes et 5% de chrétien-nes. Et, dans le Darfour, les Janjawid et leurs adversaires-victimes sont en général de même confession, voire apparentés, comme le dit un bon connaisseur du Soudan. « Les milices tribales Janjawid sont des mercenaires qui ne se revendiquent pas du tout "arabes’... les miliciens sont tout simplement des gens prolétarisés. Ils se retrouvent sans travail, le gouvernement leur dit : « vous pouvez faire ce que vous voulez, voler, piller... » [1]
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D’ailleurs, le JEM aurait des liens avec le parti de l’idéologue islamiste Hassan El Tourabi, en résidence surveillée depuis mars 2004 [2] . Celui-ci s’était inscrit dans la dynamique d’isolement de la fraction de Béchir au pouvoir, initiée par l’alliance entre la SPLA/M, la Democratic National Alliance (DNA) [3] . En même temps, des fractions dissidentes de la SPLA/M s’étaient alliées au régime de Khartoum. Il ne s’agit donc pas d’un conflit fondé sur des clivages ethno-confessionnels entre arabo-musulmans et négro-animistes, autrement dit entre sauvages, que les Etats occidentaux, missionnaires de la paix et de la démocratie, auraient pour mission de stopper par tous les moyens.
Marginalisation des cultures paysannes et sécheresse...
Que le Darfour ait été confronté à cette explosion de violence, alors que s’achevait la longue guerre entre la SPLA/M et le pouvoir central et que se préparait un accord pour une paix définitive, n’est pas une simple coïncidence. Car cet accord était perçu par les élites du Darfour comme représentatif de l’indifférence traditionnelle du pouvoir central aux problèmes socio-économiques et écologiques des populations de leur région. Celles-ci avaient été en effet parmi les principales victimes de l’orientation productiviste agro-pastorale du gouvernement, imposée par les institutions de Bretton Woods, dans le cadre d’un Ajustement Structurel précoce, initié dès 1978.
L’appropriation des terres communautaires paysannes par l’Etat - en fait par la hiérarchie militaire - et par des privés soudanais et étrangers a appauvri la petite paysannerie (agraire et pastorale). Elle a aussi suscité des rivalités aiguës pour l’accès aux terres encore productives, vu la dégradation des sols consécutive au développement d’une agriculture de plus en plus intensive. De surcroît, la petite paysannerie, déjà démunie, a encore souffert de la sécheresse des années 80...
Des gisements de pétrole
Dans ces conditions, la récente découverte de pétrole dans la région a été vécue comme une aubaine : une source possible de développement économique et social pour les autochtones. Pourtant, la dynamique de paix qui résidait dans le partage du contrôle des richesses entre le régime de Khartoum et la SPLA/M, était silencieuse sur le pétrole du Darfour, ce qui pouvait être interprété comme une volonté d’appropriation exclusive par la fraction Béchir. D’où le déclenchement de la rébellion par les élites du Darfour, se posant en représentantes du peuple défavorisé et oublié. Cela explique, qu’au départ, les chefs de la rébellion revendiquaient que 13% au moins des recettes pétrolières soient vouées au développement économico-social du Darfour, dans le cadre d’une véritable décentralisation, à la place de la pseudo-décentralisation instituée en l’an 2000.
De son côté, le pouvoir central avait opté pour un déplacement de populations afin d’éviter une situation comme au Nigeria, c’est-à -dire des conflits permanents entre les habitant-e-s socialement délaissé-e-s du Delta pétrolifère et les firmes pétrolières, militairement protégées par le gouvernement central nigérian. Ainsi, contrairement à ce qu’affirme le gouvernement de Khartoum, les Janjawid à sa solde ne se comportent pas comme des pillards traditionnels, « car les Janjawid mettent le feu aux champs et tuent le cheptel, ce qui signifie qu’ils ne sont absolument pas là pour les vivres ». (cf. note 1). On assiste donc au recyclage néolibéral de certaines pratiques traditionnelles, mises en oeuvre de façon meurtrière dans d’autres régions du Soudan. Ce qui peut, par ailleurs, rappeler une autre conquête de l’Ouest, en un autre lieu, un autre temps et une autre phase de la mondialisation du Capital...
Cynisme ou impuissance ?
L’entrée du Soudan dans le cercle des pays pétroliers s’est accompagnée de cris d’alerte des ONG actives au Soudan, quant aux pratiques des oligarques soudanais dans les régions favorables à l’agro-pastoral productiviste et pétrolifères. Les risques d’instrumentalisation belliciste des frustrations par des intérêts étrangers ont été souligné. Autrement dit, les prétendus mécanismes de prévention des conflits, dont doivent s’occuper des bureaucrates de l’ONU, auraient pu être utilisés pour éviter cet autre martyre du peuple soudanais. Pourtant, ni l’ONU, ni les Etats-Unis, ni l’Union Européenne (interpellée à Bruxelles, en mai 2001, par les ONG regroupées dans la « Coalition Européenne sur le Pétrole au Soudan »), ni la France, ni l’Union Africaine... n’y ont accordé l’attention nécessaire. Cynisme ou impuissance ? Poser la question c’est y répondre.
Jean NANGA
solidaritéS, 9 novembre 2004.
Comme bien d’autres conflits en Afrique, celui-ci n’est pas d’un autre temps. Il est contemporain du néolibéralisme et de la mondialisation capitaliste. Le spectacle éthno-confessionnaliste en relève aussi. C’est cette contemporanéité qui explique l’agitation spectaculaire de la « communauté internationale » en général - de la France et des Etats-Unis en particulier - qui prétend chercher une solution rapide à la tragédie soudanaise - par pur humanisme bien sûr. Comme l’a rappelé avec insistance la porte-parole adjointe du Quai d’Orsay, en réponse à une question sur d’éventuelles motivations économiques françaises : « la préoccupation prioritaire de la France est de contribuer à résoudre le drame humanitaire que connaît le Soudan. C’est pourquoi, elle est mobilisée sur les plans à la fois humanitaire, sécuritaire et politique, avec ses partenaires de la communauté internationale » (Point de presse du 11 août 2004). Langue de bois diplomatique qui fait penser à celle de Colin Powell, à la veille de l’invasion de l’Irak.
Aprés les enjeux intérieurs de ce conflit, nous revenons ici plus particulièrement sur ses dimensions internationales.
Conflit meurtrier au Darfour : les enjeux extérieurs
Colin Powell, subitement sensible aux victimes de la guerre, est allé jusqu’à menacer de porter plainte contre le gouvernement soudanais pour génocide contre les populations noires du Darfour. Presque au même moment, John Kerry en campagne déclarait dans une église baptiste noire : « Si j’étais président, j’agirais maintenant, comme je l’ai dit depuis des mois, je ne resterais pas assis à ne rien faire ». A peine sorti de son intervention cardiaque, Tony Blair s’est précipité à Khartoum, il y a quelques jours, afin de faire avancer « la solution de la crise »... Un tel investissement de la dite « communauté internationale » ne peut s’expliquer par un accès de compassion des maîtres du monde à l’égard des malheurs de quelques peuples africains.
L’Occident derrière les dictatures
Bien qu’ayant échoué dans sa tentative de coloniser le Soudan, en 1898-1899, la France a réussi à devenir l’un des meilleurs partenaires de ses différents régimes dictatoriaux, après l’indépendance. Depuis la dictature de Nimeiry, de 1972 à 1985, elle a bénéficié d’un soutien sans faille, notamment après le massacre des communistes. Ainsi, la France et d’autres « démocraties occidentales » ont-elles refusé leur soutien économique au régime « parlementaire » modéré qui a succédé à Nimeiry. Elles ont vite fait cependant d’appuyer les héritiers du putsch militaire de 1989 contre le processus de « démocratisation », dirigé par El Béchir, allié de El Tourabi, ex-ministre de la Chari’a sous Nimeiry.
Ainsi, par fidélité aux régimes dictatoriaux, même après la guerre froide, de 1989 à nos jours, l’Etat français est demeuré un bon partenaire du régime de Khartoum, aussi bien dans sa guerre contre le Sudan People’s Liberation Army/Movement (SPLA/M, rébellion sudiste), que dans sa collaboration aux institutions de Bretton Woods. Alors que l’autre allié historique des régimes dictatoriaux soudanais, les Etats-Unis d’Amérique - longtemps principal soutien financier de Khartoum - avaient décidé, en raison de son panislamisme, de le sanctionner financièrement, après qu’il ait refusé de rallier la coalition contre Saddam Hussein pendant la première Guerre du Golfe.
Rivalités franco-US
Cette « amitié » franco-soudanaise peut s’expliquer par la situation géographique du Soudan, en bordure de la Françafrique - du Zaïre de Mobutu, de la Centrafrique et du Tchad -, longtemps disputé par la France et la Lybie. C’est d’ailleurs du Darfour, que l’inamovible dictateur tchadien Idriss Déby est parti à la conquête du pouvoir, réélu constamment par la cellule africaine de l’Elysée, plutôt que par le peuple tchadien. Ainsi, parmi les dirigeants de la rébellion du Darfour, on compte d’anciens membres de la garde rapprochée d’Idriss Déby, des Zaghawas comme lui, de nationalité soudanaise. D’où le rôle de médiateur qui lui avait été confié au début du conflit. Car, à la différence de Washington, Paris et Ndjamena ont toujours entretenu des liens « amicaux » avec les deux camps belligérants. Néanmoins, plus d’un an après, la crise persiste. Duplicité de Paris et de Ndjaména ou influence croissante des Etats-Unis sur les rebelles ? Peut-être les deux.
En effet, bien que les Etats-Unis soient passés, pendant la guerre froide, d’un appui inconditionnel aux régimes dictatoriaux de Khartoum, en guerre avec le SPLA, au soutien à celui-ci, au lendemain de la Guerre du Golfe, ils ont aussi participé à la restauration de la paix entre Khartoum et certains de ses voisins, tel l’Ouganda. Ceci n’exclut pas pourtant une certaine duplicité, relevée par l’ex-président Jimmy Carter, porte-parole des « pacificateurs ». « Le jour même de la signature de l’accord entre Kampala [capitale de l’Ouganda] et Khartoum, [il a pu estimer] que "le plus gros obstacle à la paix au Soudan c’est la politique du gouvernement américain lui-même. Les Etats-Unis veulent renverser le régime de Khartoum. Tous les efforts de paix sont donc voués à l’échec » (Nicolas Vescovacci, « Le Soudan veut briser son isolement », Le Monde Diplomatique, mars 2000). Cette duplicité reflète aussi la diversité des intérêts du capital US, favorables à la fin de la guerre entre le SPLA et le pouvoir central - dans le cadre du Sudan Peace Act, adopté par le Congrès américain en 2001 - mais hostiles à Khartoum au Darfour, pour lequel les Etats-Unis, à en croire Colin Powell, auraient déjà dépensé 144,2 millions de dollars (Wall Street Journal, 5 août 2004).
Les USA rongent leur frein
En matière de politique étrangère, pour les Etats-Unis en particulier, il n’y a pas d’aide sans profit. C’est pourquoi, si Washington a contribué à l’instauration de la paix dans le Sud Soudan et déclare la vouloir aussi pour le Darfour, c’est parce qu’il s’agit de zones pétrolifères. Ainsi Colin Powell a-t-il déclaré au Wall Street Journal : « Nous attendons avec impatience la réalisation d’un accord général de paix entre le Nord et le Sud, le règlement de la crise au Darfour et la normalisation de nos relations ». Il voulait bien sûr parler des relations économiques favorables aux intérêts US.
Si, dans les années 1980, le SPLA avait été accusé d’avoir déclenché la guerre, c’était parce que cette situation compromettait l’exploitation du pétrole découvert dans le Sud Soudan par la grande firme pétrolière Chevron Overseas - actuellement ChevronTexaco. Aider alors le pouvoir central de Khartoum à vaincre le SPLA, soutenue par le régime éthiopien de Mengistu, aligné sur Moscou, relevait d’une nécessité économique et stratégique - le Soudan est riverain de la Mer Rouge. Avec la fin de la guerre froide, la chute de Mengistu et le panislamisme du tandem Béchir-Tourabi, solidaire de Saddam Hussein, le soutien au SPLA, puis le rétablissement de la paix, répondaient aux nouvelles circonstances. En 1999, en effet, le régime de Khartoum avait réussi, tout en guerroyant et sans intéresser les pétroliers américains à la fête, à faire du Soudan un pays producteur et exportateur de pétrole, dont l’Etat chinois était le principal bénéficiaire.
Ainsi, le principal producteur soudanais, le Greater Nile Consortium, appartient pour 40% à la China National Petroleum Corporation, pour 30% à la Petronas, une entreprise malaisienne, à 25% à la canadienne Talisman Energy, et pour 5% à l’Etat soudanais. Autrement dit, le régime de Béchir affiche une nette préférence pour les capitaux du Sud, notamment de l’Asie, ce qui est censé favoriser une plus grande autonomie, toujours relative, de l’oligarchie locale.
D’importants intérêts chinois
Le partenariat avec la Chine - de plus en plus présente en Afrique (Congo, Gabon, etc.) - se renforce au gré des nouveaux chantiers pétroliers. L’Inde vient aussi de racheter les parts de la Talisman Energy dans le Greater Nile Consortium. C’est un crime de lèse-hégémonie états-unienne de la part de l’Etat soudanais, au moment où Washington affirme sa volonté de renforcer sa domination sur le pétrole mondial. Ceci explique que les Etats-Unis soient devenus des croisés de la paix dans la région, proposant même au Conseil de Sécurité de l’ONU d’envisager des sanctions à l’encontre du pétrole soudanais. A l’inverse, après s’être abstenue, plutôt que d’opposer son veto lors du vote de la nouvelle Résolution 1564 du Conseil de Sécurité sur le Soudan, la Chine a promis d’opposer son veto à toute sanction grave contre le pétrole soudanais, qui est aussi le sien.
Cette structuration du partenariat économique ne se limite pas au secteur pétrolier. Elle s’étend aussi au secteur financier - les capitaux du Golfe s’approprient des banques, par exemple - aux bâtiments et travaux publics, à l’électricité, au secteur ferroviaire... Une privatisation-libéralisation peu respectueuse de la domination exclusive des firmes occidentales pour l’appropriation des entreprises publiques et des marchés les plus juteux.
Il semble que la politique des sanctions imposées au Soudan par les Etats-Unis, au nom de « la lutte contre le terrorisme », au lendemain des attentats contre les ambassades des Etats-Unis au Kenya et en Tanzanie, suivie du bombardement américain à Khartoum, en 1998, ait joué contre les intérêts US et occidentaux en général. Le choix de restaurer la paix entre le SPLA et le gouvernement de Béchir, plutôt que d’attendre le renversement de ce dernier, a été motivé par la volonté de ne pas réintégrer trop tard le marché soudanais. C’est aussi la cause de l’impatience exprimée par Colin Powell. Et la réunion des donateurs du Soudan, prévue à Oslo en septembre, relevait aussi sans doute de la volonté de reprise en main de la situation par l’impérialisme traditionnel. Dans sa déclaration sur le Soudan, le G8, réuni à Sea Island, appelle ainsi à « se pencher sur les racines du conflit dans le Darfour et à y trouver une solution politique ».
La France en pointe
L’Etat français n’a pas besoin d’attendre cette reprise en main. Le maintien d’une attitude compréhensive à l’égard du régime de Béchir lui a permis de tirer le profit qu’il pouvait escompter. Dès 1994, grâce à la coopération policière franco-soudanaise, il a ainsi obtenu la livraison de Carlos. Il a aussi profité de la restructuration économique entreprise par le gouvernement, suite au retrait des institutions de Bretton Woods. Cela va de la réalisation d’un complexe industriel - avec des capitaux publics et privés - pour la production de matériel militaire, si bien dénommé Jihad, à l’acquisition par Total d’un site d’exploitation pétrolière, de l’obtention d’un marché hydro-électrique par Alstom au permis de prospection minière décerné au Bureau de Géologie et de Recherche Minière, de la vente des Airbus à l’obtention des marchés du bâtiment et du génie civil par les Grands Travaux de Marseille.
Aussi, au début de l’année 2004, en pleine période de violences au Darfour, une quarantaine d’entreprises françaises, en compagnie du ministre français du commerce extérieur, ont-elles participé à la Foire Internationale de Khartoum. Peu après, Dominique de Villepin y louait lyriquement le sens humanitaire de Béchir. Le MEDEF en attend sans doute des retombées... En effet, le Soudan est malgré tout une économie prospère, selon les critères des institutions économiques internationales : croissance de la production agricole, croissance du PNB et des investissements directs nationaux et étrangers... Avec l’argent du pétrole, des chantiers publics vont s’ouvrir, des équipements vont être renouvelés... A moins que Khartoum ne reproche à la France, en dépit de l’abstention chinoise, d’avoir voté la résolution 1564...
Ainsi continue l’histoire tragique de la domination du capital occidental en Afrique, dont les visées impérialistes sont rendues plus injurieuses encore par la mise en spectacle de la charité. Tout ceci contribue à consolider l’image d’une barbarie africaine intrinsèque, répandue bien au-delà des milieux racistes avérés. Dans bien des secteurs prétendument anti-impérialistes, on peut ainsi justifier une quasi-indifférence à l’égard des nouveaux malheurs de cette grande partie de l’humanité en s’abritant derrière la formule : « L’Afrique c’est trop compliqué ! ». Il s’agit pourtant de rien d’autre que de la complexité héritée d’un demi-millénaire de mondialisation du capital.
Jean NANGA
- Source : www.solidarites.ch N° 53 et 55.
Soudan, prochaine cible de Bush ? par Jean-Michel Vernochet.
Mali & Niger : la mondialisation néolibérale contre les plus pauvres, par Jean Nanga.