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Et l’armée alors ?

"Depuis la chute du mur de Berlin en 1989, les armées du monde se penchent sur leur reconversion." (p. 45) C’est vrai, après tout, depuis que le service est volontaire, elle est passée où l’armée ? Qu’est-ce qu’elle en fait de la crise climatique ? Et bien figurez-vous qu’elle s’y intéresse et de près même d’une façon aussi étonnante que paradoxale.

Les missions militaires au service de la biodiversité est un ouvrage d’une centaine de pages, dense et blindé (sans mauvais humour) de références que Sarah Brunel a vraiment bien fait d’écrire. D’une neutralité parfois énervante, ce texte éclaire une partie mondiale très importante qui est en train de se jouer sans notre consentement. M’y plonger m’a permis de réfléchir un sujet totalement absent du débat actuel sur la gestion de cette crise du vivant : à savoir, le rôle de l’armée dans tout ça ?

Selon l’un des multiples rapports officiels cités dans ce livre, "30 pays se fournissent pour plus d’un tiers de leur consommation en eau potable en dehors de leurs frontières" (p. 11), ce qui signifie une énorme potentialité de conflits vu l’importance vitale de l’eau. Et page suivante, "[...] les conflits dans le monde ont augmenté, passant de 272 en 1997 à 365 en 2009 [dont] 80 étaient directement liés aux ressources, se positionnant au 2e rang après les conflits idéologiques." Vous avez bien lu.

A priori, la force de résolution des conflits c’est l’armée, représentante légale de la loi du plus fort habilement nommée "raison d’État". Or, il "est estimé que les missions militaires et les guerres sont les activités les plus polluantes et les plus destructrices qui soit pour l’environnement. Les impacts des conflits sur l’environnement sont très bien documentés et peuvent être de diverses natures : directs, indirects ou institutionnels." (p. 36).
Les impacts directs c’est par exemple quand l’armée américaine balançait de l’agent orange régulièrement pendant 10 ans sur les populations vietnamiennes, les indirectes c’est quand les gens détruisent un environnement pour survivre à un conflit, et les institutionnels c’est par exemple la fermeture des parcs nationaux, comme ce fut le cas au Rwanda pour que les populations puissent s’y réfugier. Comment donc penser confier une quelconque mission de protection à ces gars ? Patientez encore une minute, ça vient.

A lire ce livre et l’impressionnante liste dressée de traités et conventions de protection de la biodiversité signés dans le monde, je me suis prise à rêver car si tous ces papiers avaient abouti aux mesures annoncées dans les délais impartis, nous serions en bonne voie d’être sortis de l’auberge, ce qui n’est pas le cas. Il y a une sacrée différence entre ce qui se signe à l’international et la politique menée sur le terrain par chaque pays... d’autant que l’un des freins majeurs à l’avancée écologique est la corruption des états. Pour préserver des intérêts choisis, les états persistent dans des pratiques nuisibles mais sont prêts à envoyer leurs armées réparer les dégâts. Absurde, certes mais bien réel et c’est ce qui se passe.

Car voilà , d’un point de vue politico-stratégico-militaire, le monde est un plateau de jeux d’échecs. Une case, un pays. Et chaque composant de la partie qui se joue entre dominants évidemment est une pièce, c’est-à -dire un morceau, une ressource - non pas vue dans toutes ces relations avec son environnement mais vue comme un produit.

> Ainsi, le produit "eau" qui coule librement et passe par trois pays en conflit pourrait être protégé par des forces armées, n’est-ce pas ?

> Ainsi, après nous être mis à "protéger" la nature avec les premiers grands parcs nationaux du 19e siècle, nous disposons aujourd’hui d’une liste de
"points chauds" (ou hot spot en anglais) que vous pouvez consulter sur le site de Conservancy International. Ces points sont des trésors de biodiversité - comprendre des endroits où l’homme est encore très peu intervenu, et ces produits "lieux" pourraient eux aussi être protégés par des forces armées, n’est-ce pas ?

> Ainsi, toutes ces terres agricoles ou forestières achetées par des philanthropes (Benetton en Patagonie par exemple) ou par la Chine en Afrique pour nourrir ses propres populations... vous pensez bien que les locaux ne voient pas ça d’un bon oeil, et donc le produit "terre" lui aussi pourrait être protégé par des forces armées, n’est-ce pas ?

> Enfin, il y a tout le trafic illégal lié au produit "naturel" : biopiraterie, trafic d’animaux, etc., que les armées pourraient réguler. Il n’y a qu’à voir leur succès avec les narco-trafics pour s’en convaincre, mmm ?

> Autre problème, si le produit "biodiversité" commence à être pensé comme un produit "patrimoine commun" dont seuls quelques états supérieurement éclairés reconnaissent la valeur essentielle, n’est-ce pas la porte ouverte à l’ingérence, à un autre colonialisme, encore ?

Toutes ces hypothèses sont des réalités et de puissantes motivations actuelles pour les armées. Après l’aide humanitaire, l’aide écologique. Ce qui commence bien évidemment par un relookage... en vert. Voyez plutôt.

> Très généreusement, par exemple, l’armée américaine largement étudiée par l’auteure, a fait don (oui, don), après la guerre de 450 ruches à des familles afghanes pour qu’elles puissent produire leur miel (p. 85).

> Depuis quelques années déjà , certaines armées européennes ont transformés nombre de leurs terrains en "zones naturelles protégées" type Natura 2000 avec réception des fonds européens qui vont avec et week-end portes ouvertes réguliers.

> En France, on compte 2500 agents chargée de protéger l’environnement, en lien direct avec le ministère de l’Environnement (p. 29). Vu ce qui reste de sauvage à protéger dans l’Hexagone, on se doute qu’ils sont surtout actifs en Outremer.

J’arrête là cette liste dérisoire car le plus beau de l’histoire le voici : des centaines de gratte-papiers, think tank et spécialistes complètement déconnecté des liens entre corruption, injustice sociale et misère environnementales, accouchent de séries de lois contraignantes qui obligent les militaires à détruire propre. En gros les gars vous y allez mais vous remettez en ordre après.

Mais, euh, dites messieurs et mesdames les expert-es, vu que nous savons bien que "La destruction d’un écosystème - dont dépendent généralement des populations - est bien souvent irréversible, tout comme les bienfaits et services qu’il prodiguait" (p. 37), pourquoi ne pas anticiper et se triturer le cerveau à éviter les conflits  ?

Business is business ma chère et c’est une hypothèse que cette étude n’envisage pas. En un sens tant mieux comme ça on fait vraiment le tour de l’absurdité complète de la chose sans se laisser distraire. Au contraire, l’auteure voit là une opportunité de dialogue entre associations environnementalistes et militaires qui, eux, ont une capacité logistique énorme pour des missions de "protection". Comme par exemple ces Parcs pour la Paix - et ce n’est pas une blague - où une ressource est partagée naturellement par plusieurs pays en conflit et qui sont bien entendu surveillés par des techniques militaires de haut vol, la question de l’usage de ces données restant posée.

Vous me direz que l’armée peut aussi être utile dans "la prévention du terrorisme agricole et environnemental" (p. 95) ? Certes.

Mais alors où commence la lutte contre ce terrorisme quand il est de notoriété publique que les fabricants actuels des pires destructeurs de l’environnement qui soient (pesticides, PCB, OGM, etc.) sont très souvent des entreprises qui fournissaient les armées (comme IG Farben ou encore Monsanto qui fabriquait l’agent orange) ?...

Et si vous venez me dire que je suis radicale je vous répondrais que sans cette question la racine du problème est éludée.

A part la justification de son rôle en tant que pièce dans la partie d’échec en cours, quel intérêt réel aurait une armée à protéger ce qu’elle est censée détruire pour conquérir ?

Je crois et j’ose rêver que si les armées utilisaient leur formidable capacité logistique, leur sens de l’organisation légendaire et leurs ressources humaines exclusivement à la restauration de tout ce qui a été saccagé en s’engageant à n’entrer dans aucun conflit tant que le Programme de Restauration des Ressources Mondiales pour les 21e siècle n’aura pas été achevé, elles feraient un grand pas et l’humanité avec.

Voilà ce qui me semblerait être une véritable hypothèse de travail, et non une partie d’échecs de plus à mener. Et voilà à mon avis, qui ferait que de nouveau les populations se sentiraient protégées par leurs soldats... A méditer ?

Reste que je suis contente d’avoir lu ce livre et je recommande aux plus passionnés d’entre vous de le consulter car il rassemble une mine d’informations factuelles (là encore sans mauvais humour) sur un sujet ambigu qui devrait être abordé plus souvent et mieux connu du public.

Eva Wissenz

in LaSeiche

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