« Le temps de la françafrique est révolu. Il y a la France et il y a l’Afrique. Il y a le partenariat entre la France et l’Afrique, avec des relations fondées sur le respect, la clarté et la solidarité ». François Hollande, devant l’Assemblée nationale sénégalaise à Dakar, 12 octobre 2012
A la bonne heure ! Le temps de la françafrique est révolu ! Finis les guerres, les massacres, le soutien direct aux dictatures, le pillage, fini le financement des partis bourgeois français par rétrocommission sur l’Aide Publique au Développement (APD, la bien mal nommée !), les contrats d’armements, finie la surexploitation des travailleurs africains par des capitalistes français sans vergogne ! C’est du moins tout cela qu’impliquerait le respect de la petite phrase bien calibrée du Président français. Malheureusement, quatre mois d’activisme de la République envers ses anciennes colonies africaines sont là pour démontrer tout le contraire. Retour sur cette réalité que seule une lutte révolutionnaire contre l’impérialisme français pourra changer.
François Hollande, Président françafricain
Pour sa tournée africaine de la mi-octobre, François Hollande avait soigné la mise en scène. Son discours de Dakar était sensé faire pendant à celui prononcé cinq ans plus tôt par Nicolas Sarkozy, qui avait légitimement fait scandale par son caractère raciste et réactionnaire : si l’Afrique est « sous développée », ce ne serait donc, selon ce fameux discours, pas à cause de son pillage permanent et de l’exploitation coloniale à grande échelle qui durent depuis la fin du XIXème siècle mais parce que « l’Homme africain » ne serait pas encore entré dans l’Histoire, parce qu’il serait incapable de créer et de s’adapter à la « mondialisation ». Et d’Abidjan à Tripoli en passant par le yacht personnel de Vincent Bolloré (le plus grand patron français d’Afrique [1]) le précédent Président avait passé cinq ans à caracoler - envoyant parfois l’armée - au service de l’impérialisme.
Pour rester dans le style de la « présidence normale », et parce que ça ne mange pas de pain, Hollande a donc voulu se donner un affichage tout différent [2]. Il reprenait en cela la même stratégie que celle employée en ce qui concerne les licenciements, l’écologie ou encore la « diversité » : multiplier les annonces, jouer la symbolique, pour mieux faire passer ensuite une pluie d’attaques réactionnaires.
C’est tout à fait flagrant en ce qui concerne la françafrique. Tout en la déclarant morte, en s’écriant que « l’exploitation des êtres humains continue de souiller l’idée même d’humanité » [3], Hollande et son gouvernement n’ont en fait pas chômé pour entretenir les bonnes affaires économiques et diplomatiques de la France sur le continent.
En Côte d’Ivoire : continuité dans le soutien à Ouattara et aux patrons français
En Côte D’ivoire d’abord. Dans ce pays, l’État Français a soutenu depuis 2003 les chefs de guerre rebelles du Nord, contre son ancien client Laurent Gbagbo. Appuyant Alassane Ouattara à l’issue d’une véritable mascarade électorale, il l’a soutenu militairement, allant jusqu’à bombarder le palais présidentiel d’Abidjan en avril 2011. Depuis, un temps béni de contrats faciles et de subventions rondelettes s’est ouvert pour les capitalistes français opérant dans le pays, bien au delà des seuls vendeurs d’armes : opérateurs téléphoniques comme Orange, entreprises de BTP comme Bouygues ou Lafarge, exportateurs de cacao, services financiers comme la BNP ou Natixis, etc. Les multinationales françaises, qui n’ont jamais quitté le pays, même pendant les années de partition en deux de la Côté d’Ivoire, sont désormais les seuls maîtres à bord. Hollande a-t-il rompu avec le nouveau régime ivoirien à son arrivée au pouvoir ? C’est tout le contraire, Ouattara ayant été reçu à l’Élysée le 26 juillet dernier, et même promu président de la Cédéao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) !
Valse des dictateurs à l’Élysée
Avant même Ouattara, cela avait été le tour d’Ali Bongo, le dictateur du Gabon, reçu à la présidence de la République française le 5 juillet dernier. Là encore, belle continuité avec la françafrique sauce Sarkozy, qui avait réussi un coup de maître au Gabon, cette pièce centrale du pré-carré français, en faisant « élire » le fils du dictateur historique Omar Bongo à la tête de ce pays pétrolier où prospère notamment la firme Total. Alors que Bongo fils serrait la vis cet été à l’opposition gabonaise, réprimant des manifestations et jetant en prison plusieurs leaders étudiants, son parti politique [4] - en fait un vaste réseau clientéliste alimenté par l’argent du pétrole, du bois et de l’APD - était même invité aux universités d’été du PS à La Rochelle à la fin août ! Le scandale était si proche que la direction « socialiste » a du faire croire que les politiciens gabonais avaient...falsifié leurs invitations !
La relation entre Ali Bongo et les réseaux du PS en Afrique avait néanmoins commencé plus tôt, comme en témoigne l’enthousiasme que Laurent Fabius éprouve de longue date pour le dictateur, dont le père était un grand ami de François Mitterrand. Le 14 février dernier, l’actuel locataire du Ministère des Affaires Étrangères se félicitait que « les excellentes relations entre la France et le Gabon se développent dans le futur ». On n’était pas bien loin de la très cynique déclaration de feu Bongo père : « La France sans le Gabon, c’est comme une voiture sans essence ; le Gabon sans la France, c’est comme une voiture sans chauffeur ».
Et puisque pour les dictateurs aussi, jamais deux sans trois, c’est l’indéboulonnable Blaise Compaoré qui a été reçu à l’Élysée à la mi-septembre. Lui aussi est un fidèle serviteur de la France en Afrique, et pas seulement parce que son pays abrite en sous-main une base des Forces spéciales françaises, d’où elles peuvent intervenir en Afrique de l’Ouest [5], et notamment au Niger où le géant du nucléaire Areva a souvent besoin de leur concours pour assurer son ordre. Compaoré est l’instigateur de l’assassinat du leader nationaliste et Président Thomas Sankara, un assassinat commandité par la France en 1987. L’avocat Robert Bourgui, un acteur clef de la françafrique, l’a cité comme acteur clé des rétrocommissions aux partis français en septembre 2011. Mais si Blaise Compaoré est un pilier de la partie ouest-africaine du pré-carré, c’est aussi pour le rôle qu’il a joué dans la guerre civile au Sierra Léone (où rivalisaient impérialisme français et britannique) ainsi qu’au Liberia, en soutien au génocidaire Charles Taylor, ou encore en Angola, où il a servi d’intermédiaire pour la France tant pour l’accès au marché d’armement pendant la guerre civile officiellement terminée en 2002 que sur la question des forages pétroliers.
Fin 2010 - début 2011, la réélection du dictateur avait provoqué un soulèvement au Burkina Faso, notamment chez les collégiens et lycéens, qui n’avaient pas hésité à s’affronter à la police, dans un contexte de crise politique tendue où il a été soutenu à bout de bras par Paris. Preuve que l’amitié entre la bourgeoisie française et les dictateurs françafricains est largement entretenue par PS, Ségolène Royal s’est rendu au Burkina en décembre 2011, six mois après le retour à l’ordre obtenu par la répression, dans le contexte de la préparation des présidentielles en France. Elle s’y est réjouit des « ambitions du Président du Faso [Blaise Compaoré] pour le bien-être de son peuple » !
Mais dans le contexte de la préparation de l’intervention militaire en Côté d’Ivoire (les rebelles s’abritaient au Burkina) et en Libye (nombre de travailleurs burkinabé étaient employés dans ce pays, et la famille Kadhafi possédait par ailleurs un certain nombre d’investissements au Burkina), Compaoré constituait un soutien trop important pour que la France puisse le lâcher. Aujourd’hui, le vieux dictateur, qui a été bombardé médiateur officiel en Côte d’Ivoire, est à nouveau au centre de la scène françafricaine alors que se prépare une intervention militaire française chez son voisin malien, et c’est pour cela que le gouvernement « socialiste » lui a déroulé le tapis rouge...
D’autres chefs d’État africains ont été reçus par Hollande depuis son accession au pouvoir : Boni Yayi, président béninois et président de l’Union Africaine (UA), sur qui la France s’est appuyée pour faire soutenir par l’UA sa résolution à l’ONU en vue d’une intervention au Nord-Mali. Denis Sassou Nguesso, vénérable dictateur du Congo Brazzaville, a également été reçu « sous les ors de la République ». Et enfin Alpha Condé, président de la Guinée Conakry. Il avait accédé au pouvoir après la trouble agression, en décembre 2009, du capitaine Camara, chef d’une junte peu disciplinée envers la France. Le « pro » Condé avait débuté son mandat par la signature de contrats particulièrement avantageux pour les patrons français, à commencer par la cession du port de Conakry au groupe Bolloré.
Ce mercredi 7 novembre enfin, c’est la présidente libérienne Ellen Johnson Sirleaf qui a fait son passage à l’Elysée, y recevant des mains du président la grand-croix de la légion d’honneur, avant de se rendre à un long déjeuner...avec le Médef ! Une belle manière de poursuivre la défense des intérêts des capitalistes français entamée dans la violence lors des deux guerres civiles qu’a connues le pays (1989-1997 et 1997-2003).
Fran(ca)cophonie et diplomatie françafricaine
L’autre temps fort de la continuité françafricaine opérée par Hollande, c’est sa participation au sommet de la francophonie...chez l’autocrate Joseph Kabila, qui a lui aussi succédé à son père à la tête du très peu démocratique Congo RDC. Un voyage qui entrait profondément en contradiction avec la symbolique du discours prononcé quelques jours plus tôt à Dakar, où le président français évoquait la démocratie comme « valeur universelle », plaidait pour la « transparence » (au Congo, il n’est même pas possible de savoir précisément où sont localisées les grandes concessions minières et forestières des capitalistes français, américains ou des entreprises chinoises qui exploitent les richesses sans nombre du pays !), ou encore « l’État de droit » (au Kivu, à l’Est de la RDC, un conflit fait rage qui implique les États congolais et rwandais, des groupes rebelles, des sociétés privées, etc., le tout largement influencé par les querelles inter-impérialistes autour de la région des Grands Lacs).
Pour sauver la face, Hollande a voulu mettre en scène une prétendue « froideur » envers Kabila. Mais le message était clair : l’impérialisme français n’a pas d’autres valeurs que ses propres intérêts, et, en l’occurrence, il fallait que son président discute avec les dizaines d’États-clients réunis au sein de l’Organisation Internationale de la Francophonie, cet outil si pratique pour favoriser le « soft power » de la France en Afrique, en validant des élections truquées, en diffusant la langue et la culture française, voire même, dans un volet un peu moins « soft », assurer la « prévention des conflits » comme prévoient ses statuts depuis 2006.
Derrière une nouvelle rhétorique, l’infrastructure impérialiste est maintenue
On voit donc à quoi se résume la « fin de la françafrique » à la sauce PS : une opération de lifting organisationnel et rhétorique qui ne change rien sur le fond de la domination violente et rapace des pays du pré-carré. Tout en manoeuvrant intensément pour les intérêts du capitalisme français, Hollande a cherché depuis quatre mois à se couvrir d’un écran de fumée constitué entre autre par son discours de Dakar et la création du nouveau Ministère du Développement, en remplacement du Ministère de la Coopération, lui même avatar du Ministère des Colonies via celui de l’Outre Mer. L’annonce de la dissolution de la cellule africaine de l’Elysée est quant à elle un véritable mensonge : un poste de « conseiller Afrique » prolonge en fait cette institution auprès de Hollande, en l’occurrence occupé par la diplomate et technocrate Hélène Le Gall, déjà décorée des insignes de la légion d’honneur. Et en sous main, la françafrique reste un repère d’agents secrets, comme c’est le cas au Nord-Mali depuis déjà plusieurs mois.
Le « changement » promis ne touche donc que le vocabulaire [6], tandis que les institutions les plus lourdes du nécolonialisme français sont intégralement maintenues. C’est le cas du Franc CFA, récemment célébré à Paris en présence des représentants des treize pays de la zone franc par le Ministre français de l’Économie et des Finances Pierre Moscovici, ex-directeur de la campagne de François Hollande et vice-président du Cercle de l’industrie. Cette monnaie indexée sur le franc français puis l’euro est entièrement contrôlée par la Banque de France, et les États africains sont obligés de déposer 50% de leurs réserves au Trésor Public français, qui s’en sert pour faire des bénéfices...parfois en prêtant à ces États eux-mêmes ! Cette maîtrise de la monnaie de pays qui figurent parmi les principaux fournisseurs de matières premières de la France permet de s’assurer que les prix de ces marchandises restent bas, quitte à dévaluer sans consultation comme ce fut le cas en 1994 !
Par ailleurs, Hollande souhaite maintenir sur le fond les Accords de Partenariat Economique (APE), accords bilatéraux qui ouvrent les marchés africains aux marchandises européennes contre certains allégements de taxes pour les exportations africaines vers l’Europe. Dans les faits, ces accords avantagent des secteurs détenus essentiellement par le patronat étranger (et surtout français). C’est le cas par exemple de la banane camerounaise : celle-ci peut certes entrer dans des conditions favorables sur le marché européen, mais les capitalistes qui en possèdent les plantations sont en majorité...français !
La mise en scène jouée par François Hollande à Dakar est donc une mascarade que les organisations du mouvement ouvrier en France devraient dénoncer, car tout renforcement du patronat hexagonal en Afrique est un obstacle supplémentaire ici aussi pour que nous soyons en meilleure position pour nous défendre contre ses attaques et l’austérité gouvernementale. Il n’y a eu aucun changement dans l’utilisation des ressources politiques de l’État et de la classe politique française au profit de l’impérialisme. Pour le comprendre encore plus profondément, il faut revenir un peu en arrière : le PS, malgré sa rhétorique, a toujours été un instrument du capitalisme français en Afrique.
Petit retour historique : les socialistes et l’impérialisme français
Du Front Populaire de 1936 à aujourd’hui, en passant par les années Mitterrand (1981-1995), il est devenu classique de voir les « socialistes » camoufler leur servilité vis-à -vis de l’impérialisme derrière de grands discours humanitaires et de belles annonces de rupture avec la politique de la droite.
Le Front populaire et les colonies
En 1936 pourtant, l’arrivée au pouvoir du gouvernement de Front Populaire soutenu par le PCF avait fait espérer au moins quelques « avancées », à une époque où la France était encore un véritable empire colonial où sévissait le travail forcé et le « code de l’indigénat » [7]. Le programme du Front Populaire disait en effet lutter pour la ォ Justice pour les indignes ï½ ». En ralit, la question de l’indpendance des pays coloniaux ne fut mme pas pose, et le seul projet de loi dpos, qui tentait d’accorder la nationalit une infime partie des Algriens (projet bien limit !) fut rejet par le Snat, et ainsi mis aux oubliettes.
Pendant tout son mandat, le gouvernement de Front populaire fut une instance à part entière de l’empire colonial français. Il fallait, au dire du Ministre « socialiste » des Colonies Marius Moutet, préserver les colonies « du déchaînement de forces incontrôlables » qui pourrait émerger du fait de « la nature émotive des Africains » ! De 1936 à 1938, les mobilisations et les grèves des pays africains furent durement réprimés. La gendarmerie et la police n’hésitaient alors pas à tirer sur les manifestants, comme en Tunisie en mars 1937 où une vingtaine de grévistes des mines de potasse sont tués sans autres formes de procès.
Depuis longtemps déjà , les cadres de la SFIO se sont investis dans l’appareil colonial, notamment par le biais de la cooptation des élites politiques et administratives africaines. C’est le cas de Blaise Diagne, premier élu et premier ministre noir de la République française, proche des milieux socialistes jusqu’à sa mort en 1934. Pendant la deuxième guerre mondiale, c’est lui qui est chargé du recrutement des « indigènes » dans l’armée française, de tous ces « tombés pour la France » invisibles car trop noirs ou trop colorés. L’Afrique des « socialistes », c’est aussi Léopold Sédar Senghor, député à l’Assemblée nationale française, et président de la République du Sénégal pendant plus de vingt ans, éliminant habilement ses opposants et réprimant vivement les mouvements de contestation. Ce n’est pas un hasard si François Hollande fait référence à ces deux figures africaines lors de son discours de Dakar : à elles seules, elles incarnent la capacité des milieux dits « socialistes » à avoir organisé la main-mise de la métropole sur le choix des dirigeants africains « acceptables » pour les intérêts impérialistes, que ce soit par la cooptation ou la corruption.
Les mystères africains des ministères Mitterrand
Mitterrand lui-même participe et adhère pleinement à cette organisation françafricaine « à la mode socialiste ». Ministre de la IVème République, il participe à la mise en place des réseaux qui mèneront aux processus d’indépendances « sous contrôle » du pré-carré. En juillet 1950, il devient Ministre de la France d’Outre-Mer, c’est à dire Ministre des Colonies. A l’époque, ses prises de position de faveur d’une forme d’autonomie pour les pays colonisés ne sont là que pour cacher un véritable soutien au projet impérialiste de la République. Sa position envers les revendications d’indépendance de l’Algérie sont à ce propos révélatrice. Il déclare en 1954 : « L’Algérie c’est la France. Et la France ne reconnaîtra pas chez elle d’autres autorités que la sienne ». Ministre de la Justice entre 1956 et 1957, celui que l’on désigne aujourd’hui comme le Président de l’abolition de la peine de mort ne craint pas d’exécuter les opposants nationalistes algériens.
C’est dès cette période que Mitterrand se place dans les milieux françafricains. Il se participe activement au rapprochement de la France des futurs dirigeants africains du pré-carré, comme Léopold Sédar Senghor ou Félix Houphouët-Boigny, président autocrate de la Côte d’Ivoire de 1970 à 1993. Mitterrand est même à l’origine du retournement pro-impérialiste du Rassemblement Démocratique Africain (RDA), dont émergeront certains des futurs partis uniques du continent, comme celui d’Houphouët-Boigny, le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). En réalité, en plus de permettre la transition dans l’ordre du colonialisme au néocolonialisme, Mitterrand s’attache à développer son propre réseau, un réseau de familiarités « socialistes », pour contrecarrer les réseaux de Jacques Foccart, le « Monsieur Afrique » de De Gaulle.
1981-1995 : la françafrique socialiste au pouvoir
Sous la Vème République, les deux quinquennats successifs de Mitterrand furent le règne du clientélisme et du copinage avec les dirigeants africains liés à l’impérialisme. Malgré le discours parfois tiers-mondiste du PS de l’époque, le président ne cache ni sa satisfaction concernant les relations « privilégiés » de la France avec le continent (« [les relations franco-africaines] n’ont pas besoin d’évoluer, elles sont bonnes » [8]) ni ses amitiés avec les dirigeants autoritaires du continent (il parlera même d’un « air de famille » et d’« amitiés fidèles » envers les dirigeants ivoiriens, rwandais ou gabonais). Dès le début de son mandat, ces amitiés-là sont en tout cas à l’honneur, comme le prouve l’invitation d’Ahmed Sekou Touré (président de Guinée de l’époque, déjà au pouvoir depuis près de 25 ans) à Paris dans les jours qui suivent sont élection en 1981.
A ce moment, les timides tentatives de la gauche du PS qui déclare au début du premier septennat vouloir « décoloniser la coopération » s’effaceront rapidement devant ces « familiarités ». C’est ce dont témoigne la participation au gouvernement de Jean-Pierre Cot, en apparence bien décidé à rompre avec les « mauvaise habitudes » héritées du pouvoir gaulliste. Déjà à l’époque, la gauche se félicita du changement de nom du ministère dédié aux anciennes colonies. Désormais, on ne parlerait plus seulement de « Coopération », mais de « Développement »... Un jeu sémantique repris exactement dans les mêmes termes par le PS d’aujourd’hui !
Jean-Pierre Cot fut alors remplacé par Christian Nucci, qui ne fit que conforter les anciens réseaux françafricains. Nucci fut en effet impliqué dans le premier grand scandale des années Mitterrand, avec l’Affaire du Carrefour du développement qui fut l’occasion d’un détournement de plus de vingt-sept millions de francs entre 1984 et 1986 pour la construction d’une villa pour une amie de Mitterrand. Les scandales françafricains de Mitterrand sont aujourd’hui bien connus, notamment l’Affaire Elf, par laquelle les milieux politiques français organisait la corruption des élites africaines tout en s’assurant une rente pétrolière considérable. Elf avait été bâtie par De Gaulle pour être un acteur central du maintien de l’ordre néocolonial en françafrique, et fut le théâtre d’affrontements violents entre les réseaux gaullistes et « socialistes ». Plus de 305 millions d’euros furent dévalisés par ses cadres dirigeants, en plus du rôle d’appui que l’entreprise a joué auprès de dictateurs comme Omar Bongo (Gabon) ou Ahmadou Ahidjo (Cameroun), de son implication importante dans la guerre du Biafra (Nigeria, 1967-1970) et de son implication dans le financement des partis bourgeois français par rétrocommissions via les dirigeants françafricains. Comme le disait si bien Mitterrand en 1983, « Aider le Tiers-Monde, c’est s’aider soi-même »...
A la fin de ses septennats, Mitterrand semble vouloir se refaire une virginité africaine : le discours de La Baule fut en ce sens un pâle cache-misère de la politique françafricaine des socialistes de gouvernement. Ce discours de 1990 fut en effet retenu pour avoir été l’expression de la « conditionalité de l’aide » : la France par la voix de son président « socialiste » décrétait alors que l’aide au développement ne se ferait que sous la condition de l’existence d’un régime démocratique. En réalité, ces « conditions », dictées par un pouvoir impérialiste, ne furent jamais vérifiées. La stratégie miterrandienne de La Baule ne servait qu’à couvrir les processus de « transitions démocratiques » par les biais desquels les régimes autoritaires ou dictatoriaux issus des indépendances allaient mettre en musique de pseudo-ouvertures démocratiques et surtout l’application de l’ensemble des plans d’ajustement néolibéraux imposés par les institutions financières impérialistes (FMI, BM, etc) [9].
C’est d’ailleurs toujours cette soi-disant « paix » que le PS proclame défendre aujourd’hui dans son discours de Dakar, ou dans la possibilité d’une intervention au Mali. Et pourtant, la propension des gouvernements socialistes à partir en guerre civilisatrice pourrait nous faire douter de leurs belles incantations pacifistes ! Pendant les années Mitterrand, pas moins de dix-neufs opérations d’intervention en Afrique (plus d’une par an !), dans différents pays : Tchad, Gabon, Togo, Zaïre et Rwanda. Au Tchad, l’opération Manta (1983-1984) est la plus importante force d’intervention envoyée par la France depuis la guerre d’Algérie.
Au Rwanda, la politique mitterrandienne aura des conséquences dramatiques. Bien qu’elles furent informées dès 1990 de la possibilité d’un génocide des Tutsi par le régime rwandais de Habyarimana, les autorités françaises continuèrent à soutenir ce dernier, en fournissant des armes, en formant les soldats de l’armée rwandaise, et même en donnant un appui direct au combat. [10] La priorité du capitalisme français de l’époque était en effet d’assurer son influence sur la région des Grands Lacs, pour contrer la domination britannique.
Dans toutes ces interventions, il s’agit bien pour le gouvernement PS de protéger son « pré-carré » et de défendre ses alliés, tant qu’ils défendent eux-même les intérêts de la bourgeoisie française expatriées. Et c’est bien souvent sous le couvert d’un républicanisme de circonstance que Mitterrand défendra ses positions impérialistes : « Il est des domaines non négligeables, un pré-carré dont je revendique, lorsqu’il est empiété, qu’il soit reconquis et rendu à la France », dit-il en 1986 [11].
C’est parfois aussi la référence aux reliques de l’Internationale Socialiste (IS), qui permet de soutenir les plus odieux dirigeants, comme ça a pu être le cas avec Laurent Gbgabo en Côte d’Ivoire, malgré les mesures ouvertement xénophobes du gouvernement « socialiste » du Front Populaire Ivoirien (FPI). De la même manière, le PS n’aura de cesse de défendre son allié « socialiste » Ben Ali, malgré les contestation de plus en plus fortes, qui mèneront jusqu’à sa destitution par les printemps arabes. La République, l’IS ou la Francophonie (dont le premier Sommet est inauguré pendant la présidence Mitterrand, en 1986) servent encore aujourd’hui de paravent à la protection des intérêts des exploiteurs du continent.
François Hollande ne fait donc que rejouer les méthodes et relancer les réseaux de la françafrique socialiste. Il le fait néanmoins dans une période bien particulière pour l’impérialisme français.
Crise du capitalisme et redéploiement impérialiste de la France
En annonçant en grande pompe la fin de la françafrique, François Hollande comptait faire un peu de bruit dans les médias, et semer quelques illusions. Ici comme ailleurs, il cherchait à faire croire que son élection marquait un changement de période. Ce n’est pourtant pas l’alternance de l’UMP au PS qui détermine la politique extérieure de l’impérialisme français. L’entrée dans la crise en 2007 a en effet provoqué un redéploiement important du capital français sur le continent, poursuivi voire même accentué ces derniers mois. Cette « nouvelle occupation coloniale » [12] avait même commencé dès le début des années 2000 dans certains secteurs, portée par la hausse des cours des matières premières.
L’Afrique, espace de valorisation pour le capital français dans la crise
L’agro-industrie, la téléphonie ou encore le secteur minier en Afrique ont ainsi connu une vague d’investissements étrangers importants, en provenance de plusieurs pays impérialistes. La « faim de terre » des capitalistes pour l’agro-industrie (huile de palme, caoutchouc, banane, canne à sucre, etc.) atteint depuis quelques années un niveau exceptionnel. Au Cameroun par exemple, une concession de 70 000 hectares (7 fois la superficie de la ville de Paris !) a été cédée récemment à la société américaine Heraklès Farm pour y cultiver du palmier à huile.
Le groupe français Bolloré est un acteur central de ce secteur. Il possède les plus grandes concessions du Cameroun, et a porté à 30 000 hectares ses terres exploitées en Sierra Léone en 2011. Chaque fois, les donneurs d’ordre se camouflent derrière des sociétés écran, qui reçoivent les faveurs d’administrateurs locaux facilement corruptibles. Souvent, les prix de location de la terre aux États sont tellement faibles que les capitalistes font des bénéfices sans même mettre en culture, en se contentant de revendre les permis à émettre du gaz à effet de serre qui sont attachés à leurs milliers d’hectares ! En outre, ce processus massif de concentration foncière va avec l’expropriation des populations habitants les terres convoitées, et avec la mise au travail dans des conditions déplorables de millions d’ouvriers agricoles sur le continent.
La crise dans les pays centraux rend par ailleurs attractifs de nouveaux investissements africains pour les capitalistes français. Souvent, elle constitue l’occasion pour lancer un processus de délocalisation programmé de longue date par les patrons. Si ce phénomène ne s’oriente pas prioritairement vers l’Afrique (l’Asie et l’Europe de l’Est recevant les préférences du patronat français, comme en témoigne l’ouverture par PSA de nouvelles usines en Chine et en Slovaquie), il existe néanmoins des exceptions.
C’est le cas des usines de contreplaqué Plysorol (trois en France) récemment placées en liquidation judiciaire, soi-disant parce qu’elles n’étaient plus viables. On se souvient de la lutte importante menée par les salarié-e-s. En fait, il se trouve que le nouveau patron, le libano-ghanéen Ghassan Bitar, a obtenu du dictateur gabonais Ali Bongo des conditions financières et fiscales extrêmement favorables pour ouvrir des unités de transformation dans ce pays. Cette entreprise typiquement néocoloniale est adossée sur une concession forestière de pas moins de...600 000 hectares, soit 2,3% du territoire du Gabon ! Si le feuilleton judiciaire au sujet de cet actif gigantesque est encore ouvert [13], la manoeuvre reste un véritable cas d’école, qui montre comment l’impérialisme cherche à niveler par le bas les conditions de travail et de salaire de la classe ouvrière à l’échelle mondiale dans le cadre de la crise.
Loin d’assister à une disparition de la françafrique, les temps sont donc à une accentuation de ses composantes liée au redéploiement du capital français sur le continent. Cela est dû aux difficultés que rencontrent les capitalistes français sur leur marché interne ainsi que sur le marché européen face à la concurrence. En raison de la relative faiblesse des entreprises françaises face à leurs concurrents impérialistes, à commencer par le capital allemand, les marchés africains, pour y investir mais aussi y vendre, constituent alors logiquement un refuge où le capital français peut trouver à se valoriser.
Le militarisme, outil de ce redéploiement africain du capital français
Ce processus est tout à fait flagrant si l’on tient compte de l’agitation militaire de la France en Afrique depuis le début de la crise, dont la préparation d’une intervention au Mali est le dernier avatar. En Côte d’Ivoire, on a ainsi vu l’opération Licorne, stationnée dans le pays depuis 2003, entrer en mouvement en 2010. Jusqu’à maintenant, l’élite de l’armée ivoirienne est entraînée par des instructeurs français [14], avec l’aide desquels le régime est entré dans un processus d’épuration des officiers et soldats liés au régime de Gbagbo.
C’est cet investissement militaire qui a permis de réintégrer le pays comme place forte de la valorisation du capital français en Afrique. Afin de l’encourager, un plan d’« aide » de deux milliards d’euros a été décidé, qui va permettre de faire travailler une fois de plus les patrons français, notamment dans des projets d’infrastructure, tout en endettant l’État ivoirien auprès de son homologue français. Sur une vidéo publiée le 21 mai 2011 sur le site de l’Elysée [15], on pouvait voir un capitaliste made in France installé à Abidjan se féliciter de la nouvelle situation : « Nous sommes très contents du nouveau président parce qu’on sait que lui, il va nous amener de l’argent ».
Il en va de même en Libye, dont l’agression, savamment mise en scène par Sarkozy, avait permis à l’ancien président français de détourner le regard des classes populaires vers l’extérieur après le grand mouvement des retraites de l’automne 2010. Dans le contexte de la crise en Europe, l’attaque avait été aussi un moyen de repositionner la France face à l’Allemagne dominante sur le terrain économique. Après plusieurs mois de bombardements et la mise en place d’un régime tout aussi pourri que l’ancien, une fois Kadhafi assassiné, le champ (de pétrole) était libre pour l’entreprise française Total. Le 3 avril 2011 déjà , le Conseil National de Transition libyen avait adressé une lettre à l’émir du Qatar expliquant qu’il avait négocié un accord « attribuant 35 % du total du pétrole brut aux Français en échange du soutien total et permanent à notre conseil ». Avant l’opération, la compagnie française de même que les britanniques BP et Shell étaient très mal positionnées en Libye, largement devancées par l’italienne ENI [16].
L’agression militaire reste donc bien l’un des moyens qu’ont les capitalistes français pour défendre leurs intérêts en Afrique. Avec la crise et la baisse du taux de profit qui l’accompagne, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’on assiste à un retour en force de la politique de la canonnière, utilisée comme au XIXe siècle et au début du XXème pour concurrencer les positions des autres impérialismes (britanniques, italiens, américains, etc.) ou juguler les velléités de Pékin sur le continent. Voici d’ailleurs ce que disait, sans gêne aucune, le directeur de la rédaction de L’Express le 5 avril dernier sur LCI : « Nous ferons payer la facture à ceux pour qui nous faisons ce travail difficile, douloureux, qu’est l’action militaire. [...] La Libye, la Côte d’Ivoire, ce sont des pays qui ont des ressources. Ces pays nous rembourseront en avantages, notamment en matières premières, en énergie par exemple. Ils pourront aussi nous acheter des matériels militaires [...]. Nous allons, sans être cyniques, améliorer nos matériels, améliorer nos méthodes. Avec l’expérience retirée de ces conflits, ça nous permettra d’être encore plus compétitif sur ce marché [...] qu’est la vente des armes ».
Il y a donc une tendance lourde au redéploiement de l’impérialisme français sur le continent. Or, la françafrique est l’expression économique, commerciale, financière, diplomatique et bien entendu militaire de cet impérialisme. En termes marxistes, c’est sa « superstructure ». On ne pourra donc y mettre fin qu’en détruisant l’infrastructure, c’est à dire le capitalisme français et les relations qu’il entretient avec la main-d’oeuvre et les ressources des pays qu’il domine. C’est au contraire à les renforcer que travail le président Hollande.
Ici dans l’Hexagone, la classe ouvrière et la jeunesse ont tout intérêt à mener, parallèlement à leurs luttes contre la crise, l’austérité et les licenciements, une lutte contre l’impérialisme français qui n’est que le revers extérieur de la médaille. C’est un des meilleurs services que nous pouvons rendre à nos frères et soeurs du continent africain, tout en réclamant pour les travailleurs qui ont été forcé à le quitter la plus complète égalité de droits démocratiques et sociaux dans les pays d’Europe.
Loïc Guillaume et Marah Macna
Source : http://www.ccr4.org/Retour-sur-quatre-mois-de-gestion-socialiste-de-l-imperialisme
10/11/2012