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La criminalisation de l’ambition politique au Cameroun

Ceux qui rendent une révolution pacifique impossible,
rendront une révolution violente inévitable
.

20 ans après la réinstauration du multipartisme au Cameroun, quel bilan dresser ? Loin de faire un inventaire exhaustif de ces années passées, le propos de cet article vise simplement à braquer les projecteurs sur la criminalisation de l’ambition politique comme déviance politique et catégorie discursive du landerneau politique camerounais.

Il n’est guère un mystère pour personne (sauf pour les naïfs) que les déboires judiciaires de plusieurs ex-barons du RDPC ont commencé le jour où ils ont été soupçonnés à tort ou à raison d’aspirer à la magistrature suprême. Plus étonnant, voire inquiétant encore, est la propension avec laquelle certains caciques du régime actuel, sous le fallacieux prétexte de préserver la sécurité et la paix civile, essayent d’intimider ou de mettre hors d’état de "nuire " tous ceux qui ont l’"outrecuidance " de critiquer ou de proposer une alternance politique au système en place.

En ce sens donc, le pouvoir obstrue subrepticement l’action des opposants les plus déterminés, en instrumentalisant pour cela l’appareil politico-administratif du commandement territorial et en faisant un usage abusif de la notion d’ordre public. Pour bien saisir ce qui est en jeu ici, il suffit d’avoir à l’idée toutes les embuches qui ont émaillé les récentes sorties de Maurice Kamto. Nul doute que le pouvoir a eu recours à ses démembrements territoriaux (Sous-préfets) pour essayer tant bien que mal, de limiter l’aura et la mise en saillance grandissante du président du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun.

En plus de cette macoutisation de l’administration à des fins partisanes, le pouvoir use de la gouvernance par la peur et du chantage de la paix pour discréditer et surtout criminaliser toute ambition politique.

Ainsi, le président camerounais a affirmé sur sa page Facebook lors de la campagne présidentielle 2011 ce qui suit : «  Par rapport à l’élection, est-il possible d’hésiter ? La paix ou l’aventure ? La stabilité ou l’incertitude ? L’ordre ou le chaos ? » (1).

Tout porte à croire que dorénavant tel dirigeant peut se définir comme la figure tutélaire et incarnée de la paix et de la stabilité. Voter pour lui, c’est voter pour la paix. «  Si une disposition constitutionnelle entrave ses désirs, il faut la réviser, car la paix n’a pas de prix. Ce n’est plus le peuple qui sonne le tocsin du départ, c’est "Dieu" lui-même, car les apôtres de la paix n’ont de compte à rendre qu’au Seigneur lui-même. Il est donc conseillé d’être patient, à chaque jour suffit sa peine » (2).

On peut s’étonner que la seule alternative envisagée aux fragiles équilibres sociaux maintenus depuis plusieurs décennies par une gouvernance macoute et à bien des égards néopatrimoniale, soit la guerre. Tout porte à croire qu’au Cameroun le chantage de la paix est en passe de devenir, si ce n’est déjà le cas, une stratégie politique florissante. Plus largement, elle prend les allures d’un tour de passe-passe dont se servent certains dirigeants africains pour justifier les manipulations constitutionnelles et électorales.

On remarquera cependant que, le pouvoir avait répondu aux émeutes de la faim de 2008, par une répression sauvage, affirmant garantir, par la légitimité que lui reconnaissait la Constitution, la paix civile et la concorde nationale. Ce sont autant d’attributs démocratiques usurpés, qui ne sont que le triomphe de la répression ignominieuse de toute forme de remise en cause critique ou raisonnée de l’orthodoxie régnante. De toute évidence, il y a un embastillement idéologique par la politique du vendre (riz, huiles, pâtes, viandes, médicaments, pagnes, savon, etc.) et une dérive sécuritaro-prébendier qui tant à conditionner l’électorat et à tenir en laisse toute ambition politique légitime. La peur et le chantage de la paix omniprésente constituent pour le pouvoir une sorte de dissuasion pérenne : «  Dieu » punit les niais qui croient aux libertés politiques et aux élections démocratiques.

En réalité, l’affichage démocratique du régime actuel maquille les «  habitus de clôture hégémonique du jeu politique » (3). Les tolérances à visée publicitaire que le régime accorde à certains opposants agréés ne peuvent suffire à le qualifier stricto sensu de démocratique.

Cela dit, rappelons si besoin était encore que le Cameroun a ratifié la quasi-totalité des Conventions et Pactes en matière de droits de la personne. Et la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui constitue la matrice fondatrice de tous les autres instruments droits-de-l’hommiste, stipule en son article 22 que :

«  1. Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis.

2. Toute personne a droit à accéder, dans des conditions d’égalité, aux fonctions publiques de son pays. »

A la lumière de ce qui est consacré dans cet article et dont aucun État ne peut valablement y déroger sans renoncer en même temps à ses engagements internationaux et à sa respectabilité internationale, il est tout à fait légitime de s’offusquer de la hargne avec laquelle certains diabolisent, criminalisent l’intention et l’ambition politiques au Cameroun. Tout individu remplissant les conditions légales au sens de la loi, n’est-il pas en droit de prétendre gérer les affaires de son pays ? C’est sans aucun doute une lapalissade que d’affirmer qu’il existe au Cameroun sur ce sujet, un fossé entre la norme et la réalité.

A y regarder de près, si on veut comprendre l’attrait qu’a ce régime pour la criminalisation de l’ambition politique au Cameroun, il importe de se rendre attentif aux modalités habituelles de transition et/ou d’alternance politique dans les sociétés traditionnelles africaines en général et camerounaises en particulier.

Suivant ce point de vue donc, l’hypothèse que nous voulons risquer dans les limites étroites de cet article est la suivante : ce qui se passe au Cameroun depuis au moins deux décennies renvoie en réalité à une transposition (malencontreuse et inappropriée) à une échelle étatique, des structures hiérarchiques de gouvernance et des mécanismes quasi héréditaires de transmission du pouvoir propres, à certaines chefferies traditionnelles camerounaises.

En effet, dans le contexte de ces chefferies, le pouvoir du «  Fô » (chef) ne se discute pas. On ne peut s’y frotter sans s’y piquer quelques fois. Par ailleurs, la transmission du pouvoir apparait comme un rituel bien codifié qui ne souffre que très rarement de contestation.

C’est ainsi qu’il convient, à notre sens, de lire également le culte de la personne du Chef sous le régime actuel. Ce n’est pas simplement pour des fins électoralistes que l’homme du 6 novembre s’est fait appeler «  homme lion » ou encore «  Nnom ngui ». Ce n’était non plus une banale envolée lyrique, lorsque Jacques Fame Ndongo du haut de ses "lumières académiques " a affirmé : «  Nous sommes tous des créatures ou des créations du président Paul Biya, c’est à lui que doit revenir toute la gloire dans tout ce que nous faisons. Personne d’entre nous n’est important, nous ne sommes que ses serviteurs, mieux, ses esclaves ». Il savait pertinemment que ses louanges faisaient sens et étaient agréées par le Chef. Autant dire qu’il est permis de voir dans cette grammaire politique, les reflets dans l’espace républicain des atavismes hérités des sociétés traditionnelles (3).

Notons pour terminer que, si les modalités traditionnelles de gouvernance et de transmission du pouvoir ont été légalisées par l’État et légitimées par les populations se trouvant sous un tel empire, rien en revanche ne justifie leur transposition dans un espace qui se veut républicain et démocratique. En clair, 30 ans après l’accession au pouvoir du Renouveau et 20 ans après la restauration officielle du multipartisme, un bref bilan fait état d’une prise en otage insidieuse et partisane de l’espace public et un bâillonnement liberticide de l’ambition politique.

Qu’il est bien loin ce fameux Congrès de l’UNC (Bamenda-1985) au cours duquel Paul Biya, affirmait : « Notre parti doit pouvoir convaincre tous les Camerounais, quels qu’ils soient, où qu’ils se trouvent, quoi qu’ils pensent, qu’il n’est plus nécessaire, pour exprimer ses opinions, de prendre le maquis, de vivre en exil ou de quitter sa famille. […Ne jamais revendiquer le monopole dit-il] ni celui de la parole, ni celui de la raison, ni celui du coeur, ni celui du patriotisme ».

Christian DJOKO
Doctorant
christdjoko-freedom@hotmail.com

(1) https://www.facebook.com/PaulBiya.PageOfficielle (Publié et consulté le 26 septembre 2011).

(2) Jean Didier Boukongou, « Cinquantenaire des droits de l’homme en Afrique centrale », in Cahier africain des droits de l’homme. Droits de l’homme, libertés et justice sociale en Afrique. Études et documents de l’APDHAC, Yaoundé, PUCAC, no 11, mars 2011, p. 21.

(3) Janvier Onana, «  La déviance politique comme catégorie discursive de la construction de la réalité politique en Afrique », in Cahier africain des droits de l’homme : Droit à la démocratie en Afrique centrale. Études et documents de l’APDHAC, Yaoundé, PUCAC, no9, mai 2003, p. 86.

(4) Il ne s’agit pas ici de se prononcer sur la pertinence des structures hiérarchiques de gouvernance et mécanismes quasi héréditaires de transmission du pouvoir dans certaines chefferies traditionnelles camerounaises. Il est davantage question de mettre en relief la reproduction de ces modes/modalités dans l’espace public.


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