Plusieurs dizaines de milliers de personnes, 80.000 selon le Front de Gauche, sont descendues dans la rue dimanche 30 septembre. Une telle manifestation, quatre mois à peine après la défaite de Nicolas Sarkozy et l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement PS-écolos a une résonance particulière. C’est la première fois qu’un gouvernement « de gauche » connaît une telle manifestation quelques mois après sa prise de fonction, une manifestation qui a une portée d’autant plus importante que les plans sociaux continuent à pleuvoir, à la veille de l’annonce officielle par la direction d’ArcelorMittal de la fermeture définitive des hauts-fourneaux de Florange.
Dimanche, ce sont des centaines d’équipes syndicales, politiques et associatives, venant de tout l’Hexagone, qui ont défilé pendant plusieurs heures dans les rues de la capitale. C’est ce qui a donné au défilé son côté plus militant que réellement populaire. Il n’en reste pas moins que l’on pouvait sentir dans les différents cortèges, chez les Fralib, les Rotos.93, les cortèges syndicaux ou des comités locaux, une expression réelle du mécontentement social qui grandit dans les entreprises et sur les lieux de travail, notamment en province, et qui dépasse, de loin, la question du TSCG. Le changement, c’est loin d’être maintenant. En revanche (Hollande et Ayrault pourraient l’apprendre à leur dépend), la désillusion, ça risque d’être plus rapide que prévu. Reste à savoir si cette désillusion et ce mécontentement pourront se cristalliser en un réel mouvement coordonné contre les plans sociaux et l’austérité.
Et le problème, c’est bien la question des perspectives. Il n’y a bien que Pierre Laurent du Parti Communiste (PCF) pour noter que la manifestation était « une bouffée d’oxygène (…) pleine de perspectives ». Le pari est certes réussi pour les principaux organisateurs, à commencer par la direction du Front de Gauche. L’enjeu était de faire pression sur la gauche du PS et Europe Ecologie les Verts. C’est ce qu’indiquent les déclarations de Jean-Luc Mélenchon, « l’ancien candidat à la présidentielle, selon le communiqué AFP, ayant réfuté qu’il s’agissait d’un rassemblement d’opposition au gouvernement mais simplement d’une ’manifestation d’opposition aux politiques d’austérité’. Mais même là dessus, il faudrait préciser...
Si Mélenchon, en effet, voulait lutter conséquemment contre cette mise en musique de l’austérité au niveau européen qu’est le TSCG, il aurait dû poser la question bien avant. Il ne l’a pas fait, et ce n’est pas anodin, notamment pendant les premières semaines du gouvernement Hollande_Ayrault, lorsque les plans de licenciements commençaient à tomber et qu’il avait soigneusement pris la peine de disparaître du devant de la scène politique. A la rentrée, avec accélération de la crise qui révèle le véritable visage du gouvernement « de gauche », Mélenchon a senti qu’il lui fallait qu’il se repositionne. C’est de ce côté qu’il faut chercher la raison de l’appel à manifester le 30. Comme le note Le Monde dans son éditorial du 2 octobre : « Traité budgétaire européen, trop tard pour dire non ». Alors certes le journal du soir relaie la bonne parole du gouvernement et le discours de Ayrault devant les députés mardi. Mais il est vrai, comme le souligne l’éditorialiste, « que la manifestation du Front de Gauche et de Jean-Luc Mélenchon a eu lieu alors que les jeux sont faits ». Mélenchon en est parfaitement conscient. Ca ne l’empêche pas de continuer à réclamer un référendum, alors même que l’on sait ce qu’il est advenu de celui de 2005 sur le Traité Constitutionnel Européen : le « non » a été largement majoritaire. Une version bis du TCE a quand même été adoptée.
Alors cette manifestation a pour partie à voir avec des calculs internes de la principale force qui y appelait, en l’occurrence le Front de Gauche, avec les dissensions persistantes entre Jean-Luc Mélenchon d’un côté et la direction du PCF de l’autre. Elle tient au fait que Mélenchon voulait marquer un grand coup pour cette rentrée, en faisant d’une pierre deux coups : en faisant de la politique pour rééditer à échelle réduite et sur un laps de temps plus court la dynamique de 2005 et détourner l’attention du problème des licenciements « bien de chez nous » grâce à la question du TSCG [1]. A noter également ce que reflète la presse de gauche, à commencer par l’Humanité de lundi, en évitant de souligner que ce qui primait c’était la dynamique anti-austérité dont faisaient part les manifestants et en mettant en avant, à l’inverse, les slogans les plus chauvins que l’on pouvait entendre dans les cortèges (suggérés d’ailleurs par la logique « la République contre Bruxelles » si chère à Mélenchon).
Mais les manifestants de dimanche étaient avant tout-là pour dire leur désillusion et leur ras-le-bol vis-à -vis de l’austérité, à l’image de ce que l’on pouvait entendre avec plus de force encore dans la rue portugaise ou de l’Etat espagnol ce week-end. C’est ce mécontentement latent qui explique les sondages catastrophiques que connaît le gouvernement. La question est maintenant de structurer des perspectives. Le Front de Gauche, qui a gagné politiquement la bataille dimanche, propose des « actions décentralisées » sur toute la France les 6 et 7 octobre puis un meeting le 8. Rien n’est dit par rapport au 9 octobre, date de la journée d’action et de grève de la Confédération Européenne des Syndicats (CES) relayée par la CGT, avec un rassemblement au Salon de l’auto le matin avec les PSA et d’autres secteurs de l’automobile, et dont beaucoup d’équipes militantes se saisiront pour faire entendre la colère des salariés, par delà les mots d’ordre creux sur« la lutte contre la désindustrialisation ».
Après le 30, c’est une perspective de lutte qu’il nous faut, étroitement liée aux boites qui aujourd’hui sont sous le feu des plans sociaux, sont en bagarre mais peinent à se coordonner. Plutôt que de se subordonner à Mélenchon et construire une « unité durable » des opposants de gauche, comme l’a proposé Olivier Besancenot à l’issue de la manifestation, l’extrême gauche, à commencer par le NPA, se devrait d’être à l’origine d’un appel large pour coordonner les entreprises en lutte et structurer sur cette base un grand mouvement national contre les licenciements et le chômage. C’est la seule perspective pour que l’énergie et la mobilisation des équipes syndicales et militantes qui interviennent sur les lieux de travail, et qui entendent faire de cet automne un automne chaud à la hauteur des attaques annoncées, ne débouchent pas sur une impasse. C’est central, car si c’est le découragement et l’absence de perspectives qui devaient primer, derrière, c’est le FN qui attend en embuscade.
Jean Patrick Clech
Source : http://www.ccr4.org/Dire-non-a-l-austerite-mais-avec-quelles-perspectives
02/10/12