Je constate que l’intervention de Fidel en 1985 a suscité des débats intéressants sur LGS, et que l’un des commentateurs le remercie de cette pensée révolutionnaire.
Je vous en propose une autre, antérieure et bien plus courte, qui avait fait beaucoup de bruit à l’époque : le discours prononcé le 7 septembre 1973 au Quatrième Sommet des pays non alignés, tenu à Alger. C’était le temps où les maoïstes diffusaient la théorie des deux impérialismes aussi mauvais et redoutables l’un que l’autre, au nom de quoi le Tiers-monde, et donc les pays non alignés devaient, comme je ne sais plus trop quel fameux roi ou prince de France, se garder à droite et se garder à gauche.
Un an plus tôt, Fidel a entrepris une longue tournée à l’étranger (3 mai-5 juillet 1972) qui l’a conduit en Guinée, au Sierra Leone et en Algérie, puis dans la plupart des pays socialistes d’Europe (Bulgarie, Roumanie, Hongrie, Pologne, RDA, Tchécoslovaquie, URSS). Et là , il s’efforce de conscientiser tous ses interlocuteurs et auditoires du camp socialiste au sujet de la nécessité de faire cause commune avec les peuples du Tiers-monde, de ne pas faire du commerce avec les pays et gouvernements pauvres dans les mêmes termes que ceux qu’impose l’impérialisme, de ne pas se lancer dans la course au « rattrapage matériel » du capitalisme selon la vision en cours en URSS (mais le Che et lui avaient déjà dit des choses pareilles dans les années 60 à l’époque du schisme sino-soviétique), etc. Il a d’ailleurs des visions prémonitoires :
« La société, l’humanité actuelle détruit une grande quantité de ressources naturelles. Nous avons le cas des États-Unis : des centaines et des centaines de millions de tonnes de pétrole tous les ans, une société de consommation où on a inculqué aux individus l’idée absurde qu’ils doivent changer de voiture tous les ans. Destruction de minerais, destruction d’hydrocarbures. La consommation d’hydrocarbures ne cesse de croître dans le monde. […] Et la question de savoir comment l’humanité va trouver des sources de substitution à cette énergie n’est pas encore résolue, tant s’en faut. Et on détruit aujourd’hui le pétrole comme avant on détruisait les forêts. Les sociétés les plus avancées, les plus riches du monde capitaliste font un gaspillage extraordinaire de ressources tous les ans. Un jour l’humanité se lamentera de cette destruction, parce qu’elle aura besoin des hydrocarbures pour produire des vêtements, pour produire des chaussures, et même pour produire des aliments.
Le monde de l’avenir doit relever ce défi : le défi de l’empoisonnement de l’atmosphère, de l’empoisonnement des fleuves, des mers, de l’air. […] La lutte pour extraire des mers les aliments, l’exploitation débridée des ressources naturelles des mers. Il en est de même avec la terre, les problèmes de l’érosion… les millions de tonnes de la couche végétale qui s’en vont dans les mers tous les ans. » [Fidel Castro, le 5 juin 1972, Université des science agricoles de Gödöllö (Hongrie), in El futuro es el internacionalismo. Recorrido del comandante Fidel Castro por paàses de à frica y Europa socialista. 3 de mayo-5 de julio de 1972, La Havane, 1972, Instituto Cubano del Libro, p. 207.)]
S’adressant longuement au Congrès de la Jeunesse dimitrovienne, le 25 mai 1972 à Sofia (Bulgarie), il affirme :
« Nous nous efforçons d’inculquer à nos jeunes autre chose que la soif de la consommation, autre chose que la soif des richesses matérielles, autre chose que vivre comme vivent les sociétés opulentes des capitalistes qui ont accumulé leurs richesses au prix du sang et de la sueur des peuples en retard : nous leur inculquons le sentiment et le devoir internationalistes, nous leur inculquons le souvenir et la présence des milliards d’être humains qui vivent encore dans le retard, qui vivent dans la misère et qui vivent dans l’oppression. Et pas seulement ça, sinon qu’il y a des peuples qui versent leur sang à torrent uniquement pour atteindre le droit de commencer, des peuples qui versent leur sang pour atteindre le droit de construire une vie nouvelle. »
Je renvoie sur ce point à ce que j’ai écrit passim dans Cuba, Fidel et le Che ou l’aventure du socialisme (notamment pp. 44-52)
C’était, après son long voyage au Chili d’Allende (vingt-quatre jours, novembre-décembre 1971), sa première sortie depuis le début de la Révolution (janvier 1959, le Venezuela ; puis les USA, le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay en avril-mai 1959) hors du continent américain. En décembre 1972, il était de nouveau à Moscou pour le cinquantième anniversaire de la fondation de l’URSS.
Pour se rendre en Algérie, il fait escale au Guyana, à Trinité-et-Tobago et en Guinée (il transporte avec lui Michel Manley et Forbes Burnham).
Quand Fidel intervient au Sommet d’Alger, au deuxième jour de la Conférence, il a été précédé par Bourguiba, qui, pendant une heure et demie, a repris à son compte la théorie des deux impérialismes et a attaqué l’URSS. L’archevêque cypriote Makarios abandonne la salle, et sans doute d’autres avec lui. Fidel, lui, ne prend le micro que pour une demi-heure, mais il est interrompu à dix-huit reprises par des applaudissements, preuve s’il en est, que l’auditoire ne partage pas entièrement les philippiques de Bourguiba. L’intervention lucide de Fidel marque d’ailleurs un avant et après dans les débats du Sommet. C’est au terme de ce Sommet qu’il annonce la décision de Cuba de, contrairement à son habitude - parce que les USA cherchent précisément à l’isoler du monde - de rompre ses relations avec Israël.
Fidel rentre à Cuba en faisant escale en Iraq (rencontre Saddam Hussein), en Inde (rencontre Indira Gandhi), au Vietnam (visite officielle, rencontre avec Pham Van Dong, Giap, visite aux zones libérées du Vietnam du Sud), et retour à Cuba avec escale à Calcutta, à New-Dehli (nouvelle rencontre avec Indira Gandhi), à Prague.
On peut être d’accord ou pas avec les positions de Fidel au Sommet d’Alger. Toujours est-il qu’elles ne s’écartent jamais d’un principe clef sans lequel on ne saisit rien à l’attitude politique et à la politique étrangère de Cuba : la Révolution cubaine part et parle d’un lieu géométrique précis qui s’appelle Tiers-monde dont elle ne cesse depuis plus de cinquante ans maintenant de défendre les intérêts de ses peuples qui réclament uniquement « le droit de commencer ». Et elle a défendu ces droits-là non par de belles paroles, mais en agissant concrètement : c’est le seul (petit) pays du Tiers-monde, en effet, qui a, à quatre reprises, dépêché des troupes à l’étranger pour contrer les menées de l’impérialisme et de ses alliés locaux : en 1962, en Algérie (contre le Maroc) ; en 1973-1975, en Syrie (contre Israël) ; en 1975 (et pendant quinze ans) en Angola (contre le Zaïre et l’Afrique du Sud) ; en 1977-1978 en Éthiopie (contre l’invasion de l’Ogaden par la Somalie de Siad Barre). Et rien ne fera dévier Cuba de ce lieu géométrique : les intérêts des peuples ex-coloniaux avant tout, indépendamment des chants de sirène de l’Occident.
L’invraisemblable (par comparaison aux valeurs cotées dans le monde contemporain) internationalisme de la Révolution cubaine en matière de coopération de santé, d’éducation, de sport (soit dit en passant, l’entraîneur du jeune Guatémaltèque qui vient de gagner la médaille d’argent au 20 km marche aux Jeux olympiques, la première médaille du Guatemala dans son histoire, est un… Cubain) et d’autres domaines avec les peuples du Tiers-monde s’inscrit justement dans le droit fil de cette pensée-là . C’est aux pays de ce monde ex-colonial eux-mêmes qu’il revient de s’entraider, sans jamais rien attendre de ce Premier Monde qui ne cessera jamais, par la force de l’ordre économique international en place, de l’exploiter par un biais ou un autre. La fameuse coopération Sud-Sud dont on parlera tant dans les années 90, Cuba la prône et la pratique depuis bien avant. Tant sur le terrain militaire que dans le domaine civil, la Révolution cubaine est par son ampleur, pour ce qui est de l’aide aux peuples du Tiers-monde, tout à la fois un exemple et une exception (le Venezuela de Chávez, emporté par ces antécédents, reprend le flambeau, mais en compagnie et avec l’appui de Cuba, à l’échelle plus réduite de l’ALBA).
Juste une dernière note. Le paragraphe ci-dessous, de son discours d’Alger, n’est-il pas prémonitoire vingt-six ans avant la disparition du camp socialiste ?
« Étant donné les ressources énergétiques et les matières premières dont les pays capitalistes développés ont toujours plus besoin, de façon angoissante, pour maintenir les absurdes sociétés de consommation qu’ils ont créées, l’impérialisme, si l’extraordinaire mur d’endiguement que représente le camp socialiste n’existait pas, se partagerait le monde en morceaux, de nouvelles guerres ravageraient l’humanité et maints pays indépendants qui font aujourd’hui partie de ce Mouvement n’existeraient même pas. Actuellement, dans les cercles dirigeants des États-Unis, il y a même des partisans décidés d’une intervention militaire au Proche-Orient si les approvisionnements en combustible l’exigeaient. »
Jacques-François Bonaldi,
La Havane
* * *
Monsieur le Président ;
Respectables chefs d’État et de gouvernement ;
Représentants des héroïques mouvements de libération nationale ;
Messieurs les délégués :
Tout en vous transmettant, à vous, compañero Boumediene, à vos compatriotes et aux respectables représentants des peuples réunis à cette Conférence le salut de la délégation cubaine, nous voudrions souligner l’importance que nous attachons au fait que cette Quatrième Conférence des pays non alignés se tienne en Algérie, dont le peuple, par sa lutte héroïque et soutenue, a éveillé l’admiration et stimulé les pays qui, comme le nôtre, ont lutté contre leurs oppresseurs pour accéder à l’indépendance nationale.
Je tiens à rappeler que Cuba est un pays socialiste, marxiste-léniniste, dont le but final est le communisme ! (Applaudissements.) Et nous en sommes fiers ! C’est en partant de cette conception de la société humaine que nous élaborons notre politique nationale et internationale. Nous sommes par-dessus tout loyaux aux principes de l’internationalisme prolétarien, et mes paroles seront dans le droit fil de ces idées. Tout révolutionnaire a le devoir de défendre courageusement ses points de vue, et c’est ce que je me propose de faire ici.
On a parlé au cours de cette Conférence de différentes divisions du monde. Le monde, pour nous, se divise en pays capitalistes et en pays socialistes, en pays impérialistes et en pays néo-colonisés, en pays colonialistes et en pays colonisés, en pays réactionnaires et en pays progressistes ; bref, en gouvernements qui sont pour l’impérialisme, le colonialisme, le néo-colonialisme et le racisme, et en gouvernements qui sont contre l’impérialisme, le colonialisme, le néo-colonialisme et le racisme.
Voilà ce qui nous semble fondamental dans ce problème de l’alignement et du non-alignement, car absolument rien ne nous exonère de lutter énergiquement contre les crimes qui ont été commis et qui se commettent contre l’humanité.
Ce Mouvement s’est incontestablement élargi, et nous nous en réjouissons : tel est le cas de l’Amérique latine, la présence de trois nouveaux États -le Pérou, le Chili et l’Argentine - traduisant les changements politiques progressistes qui y sont survenus. Mais, compte tenu des fins du Mouvement, c’est la qualité, et non le nombre, qui importe, si nous voulons vraiment posséder une force morale et politique devant les peuples du monde. Sinon, nous courons le risque de voir les forces réactionnaires pénétrer en son sein pour torpiller ses objectifs, et l’unité et le prestige des pays non alignés se perdre irrémédiablement (applaudissements).
Quoique les questions économiques touchant aux intérêts des pays que nous représentons revêtent une importance justifiée et inéluctable, les points de vue politiques que nous soutiendrons sont et seront le facteur clé de notre activité.
Dans ce domaine politique, au cours des mois de préparation de cette Conférence, nous avons noté avec préoccupation - car c’est indubitablement au détriment de notre cause et uniquement au bénéfice de l’impérialisme - une tendance à opposer pays non alignés et camp socialiste.
La théorie des deux impérialismes, l’un dirigé par les États-Unis et l’autre censément par l’Union soviétique, théorie encouragée par les théoriciens de l’impérialisme, a été reprise - tantôt délibérément tantôt par ignorance de l’histoire et des réalités du monde contemporain - par des porte-parole et des dirigeants de pays non alignés. Sans parler, bien entendu, de la contribution de ceux qui, à partir de positions prétendument révolutionnaires, trahissent lamentablement la cause de l’internationalisme.
Nous voyons affleurer ce courant d’une manière ou d’une autre, avec des nuances variées, dans certains documents politiques et économiques mis au point à l’occasion de cette Conférence. Le gouvernement révolutionnaire de Cuba s’y oppose et s’y opposera fermement en n’importe quelle circonstance. Aussi sommes-nous obligé d’aborder ici, parce que c’est une question essentielle, ce thème délicat.
Certains, faisant preuve de toute évidence d’injustice et d’ingratitude historiques, oubliant les faits réels, l’abîme profond et insurmontable qui existe entre le régime impérialiste et le socialisme, prétendent ignorer les services glorieux, héroïques et extraordinaires que le peuple soviétique a rendus à l’humanité (applaudissements), comme si l’écroulement du colossal système de domination coloniale implanté dans le monde jusqu’à la deuxième guerre mondiale, les conditions qui ont rendu possible la libération de dizaines et de dizaines de peuples jadis directement soumis aux pays coloniaux, la disparition du capitalisme dans de vastes régions du monde et l’émergence de forces qui font pièce à la voracité insatiable et à l’esprit agressif de l’impérialisme, n’avaient rien à voir avec la glorieuse révolution d’Octobre ! (Applaudissements.)
Comment peut-on taxer l’Union soviétique d’impérialiste ? Où sont ses entreprises monopolistiques ? Où est sa participation dans les compagnies multinationales ? Quelles industries, quelles mines, quels gisements pétrolifères possède-t-elle dans le monde sous-développé ? Quel est l’ouvrier qui est exploité dans n’importe quel pays d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique latine, par le capital soviétique ?
La coopération économique que l’Union soviétique offre à Cuba et à de nombreux autres pays ne provient pas de la sueur et des sacrifices d’ouvriers exploités d’autres peuples, mais de la sueur et des efforts des travailleurs soviétiques.
D’autres déplorent que le premier État socialiste de l’histoire humaine soit devenu une puissance militaire et économique. Nous, pays sous-développés et spoliés, nous ne devons pas le déplorer. Cuba s’en réjouit. Sans la révolution d’Octobre et sans la prouesse immortelle du peuple soviétique, qui a d’abord résisté à l’intervention et au blocus impérialiste, qui a repoussé plus tard l’agression du fascisme et a écrasé celui-ci au prix de vingt millions de morts, qui a développé sa technique et son économie en déployant des efforts et en faisant preuve d’un héroïsme incroyables, sans exploiter le travail d’un seul ouvrier d’aucun pays de la Terre, la fin du colonialisme n’aurait pas été possible et le rapport de forces mondial qui a permis à tant de peuples de lutter héroïquement pour leur libération, ne se serait pas instauré.
On ne saurait oublier, fût-ce un instant, que les armes avec lesquelles Cuba a écrasé les mercenaires de Playa Girón et s’est défendue des États-Unis, celles qui permettent aux peuples arabes de résister à l’agression impérialiste, celles que les patriotes africains utilisent contre le colonialisme portugais et celles que les Vietnamiens ont empoignées dans leur lutte héroïque, extraordinaire et victorieuse, proviennent des pays socialistes, fondamentalement de l’Union soviétique (applaudissements).
Les résolutions des pays non alignés nous aident à comprendre par où passe la ligne de démarcation en politique internationale. Quel État a été condamné par ces résolutions, de Belgrade à Lusaka, pour son agression au Viet Nam et dans toute l’Indochine ? Les États-Unis impérialistes. Qui accusons-nous d’avoir armé et appuyé, et de soutenir toujours l’État agresseur israélien qui mène une guerre rapace contre les pays arabes et occupe cruellement les territoires où les Palestiniens ont le droit de vivre librement ? L’impérialisme des États-Unis. Contre qui les pays non alignés ont-ils protesté pour l’invasion et les blocus de Cuba, pour l’intervention à Saint-Domingue, pour le maintien de bases à Guantánamo, au Panama ou à Porto Rico, contre la volonté des peuples respectifs ? Qui était derrière le meurtre de Lumumba ? Qui appuie les assassins d’Amilcar Cabral ? Qui contribue à maintenir au Zimbabwe un État blanc raciste et aide l’Afrique du Sud à devenir une réserve d’hommes et de femmes noirs vivant dans des conditions de semi-esclavage ? Dans tous ces cas, il n’apparaît qu’un seul coupable : l’impérialisme étasunien, qui soutient aussi le colonialisme portugais contre les peuples de Guinée-Bissau et du Cap Vert, d’Angola et du Mozambique.
Quand nos résolutions énumèrent les millions de dollars, de livres sterling, de francs ou de marks qui sortent tous les ans des pays en développement, néo- colonisés ou colonisés, par suite d’investissements spoliateurs et de prêts léonins, elles condamnent l’impérialisme, non un autre système social. Il n’est pas possible de changer la réalité par des expressions équivoques.
Toute tentative d’opposer les pays non alignés au camp socialiste est profondément contre-révolutionnaire et sert, purement et simplement, les intérêts impérialistes. Inventer un faux ennemi ne peut viser qu’un seul but : fuir l’ennemi véritable (applaudissements).
Le succès et l’avenir du Mouvement non aligné dépendront de sa capacité à ne pas se laisser intoxiquer, confondre et tromper par l’idéologie impérialiste. Seule l’alliance la plus étroite entre toutes les forces progressistes du monde nous donnera la vigueur nécessaire pour vaincre les forces encore puissantes de l’impérialisme, du néo-colonialisme, du colonialisme et du racisme, et pour lutter avec succès en faveur des aspirations de tous les peuples du monde à la justice et à la paix.
Étant donné les ressources énergétiques et les matières premières dont les pays capitalistes développés ont toujours plus besoin, de façon angoissante, pour maintenir les absurdes sociétés de consommation qu’ils ont créées, l’impérialisme, si l’extraordinaire mur d’endiguement que représente le camp socialiste n’existait pas, se partagerait le monde en morceaux, de nouvelles guerres ravageraient l’humanité et maints pays indépendants qui font aujourd’hui partie de ce Mouvement n’existeraient même pas. Actuellement, dans les cercles dirigeants des États-Unis, il y a même des partisans décidés d’une intervention militaire au Proche-Orient si les approvisionnements en combustible l’exigeaient.
Perdre l’amitié du camp socialiste, c’est nous affaiblir et rester à la merci des forces encore puissantes de l’impérialisme. Ce serait une stratégie bornée et une terrible myopie politique.
Monsieur le Président,
L’Amérique latine constate avec préoccupation que le Brésil, sous les auspices des États-Unis, se dote d’un potentiel armé qui dépasse celui dont ses dirigeants ont besoin pour réprimer militairement, assassiner, torturer, emprisonner le peuple et qu’il cherche de toute évidence à devenir une enclave militaire au coeur de l’Amérique latine, sous les ordres de l’impérialisme étasunien. Le gouvernement brésilien qui, aux côtés de celui des États-Unis, a pris part à l’invasion de Saint-Domingue, a travaillé, avec leur complicité, à renverser le gouvernement progressiste de la Bolivie et a récemment aidé à instaurer une dictature réactionnaire en Uruguay, non seulement est un instrument des États-Unis, mais se transforme progressivement en État impérialiste. Il a envoyé un observateur à cette Conférence, de même que la Bolivie. Nous espérons que de tels gouvernements, dont sont encore victimes certains peuples de notre continent, ne seront jamais admis dans le Mouvement des non alignés ! (Applaudissements.)
On a longuement parlé ici de la situation qui prévaut dans le Sud-Est asiatique et au Proche-Orient, des peuples opprimés et saignés à blanc par le colonialisme portugais, de la brutale répression raciste en Afrique du Sud, au Zimbabwe et en Namibie.
L’impérialisme yankee continue à soutenir le régime néo-colonialiste du Viet Nam du Sud, qui refuse d’appliquer les Accords de Paris, et le gouvernement fantoche de Lon Nol au Cambodge. Israël bafoue les accords des Nations Unies et se refuse à rendre les territoires occupés par la force. Le Portugal, avec le soutien des États-Unis et de l’OTAN, méprise l’opinion mondiale et les résolutions prises par les organismes internationaux. Les gouvernements racistes, non seulement augmentent la répression, mais menacent d’autres États africains.
Voici des réalités amères et révoltantes qui mettent à l’épreuve la force, l’unité et la volonté de lutte des pays non alignés. Les dirigeants et les représentants de plus de soixante-dix États sont ici réunis. Adoptons des mesures et des accords concrets pour isoler et anéantir les agresseurs ! Soutenons décidément et résolument les peuples arabes agressés et l’héroïque peuple palestinien, les combattants pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap Vert, de l’Angola et du Mozambique ! (Applaudissements.) Les peuples opprimés d’Afrique du Sud, du Zimbabwe et de Namibie ! Luttons contre les pays impérialistes qui appuient et soutiennent ces crimes ! Que tous les pays non alignés reconnaissent le Gouvernement révolutionnaire provisoire de Viet Nam du Sud (applaudissements) et lui apportent leur soutien total dans sa lutte pour mettre en oeuvre les Accords de Paris ! Appuyons les patriotes du Laos et du Cambodge ! Alors, aucune force du monde ne pourra empêcher la solution des problèmes qui affectent nos peuples au Proche-Orient, en Afrique et dans le Sud-Est asiatique !
C’est à la fermeté avec laquelle nous agirons qu’on mesurera la véritable force et la profondeur réelle du Mouvement des pays non alignés. Cuba soutiendra avec la plus grande décision les accords pris dans ce sens, même si cela implique que nous versions notre propre sang ! (Applaudissements.)
Nous ne pouvons passer sous silence la République démocratique du Viet Nam. Son peuple mille fois héroïque a été victime de la plus dévastatrice des guerres d’agression, des millions de tonnes de bombes ont été larguées sur ses installations économiques, ses villes, ses villages, ses écoles et ses hôpitaux. Sa lutte sacrifiée et victorieuse contre l’agression impérialiste a servi les intérêts de toute l’humanité. Nous ne devons pas nous contenter de simples manifestations de sympathie. Actuellement, ce pays admirable est confronté aux dures tâches de la reconstruction. Nous proposons aux pays non alignés de participer à la reconstruction du Viet Nam du Nord, chacun de nous contribuant à la mesure de ses moyens. Cela donnerait une nouvelle dimension révolutionnaire à l’action des pays non alignés dans le domaine de la solidarité internationale.
Il faut que les pays non alignés se solidarisent avec la Zambie et la Tanzanie face aux agressions de l’Afrique du Sud et de la Rhodésie. Il est également nécessaire que les pays non alignés soutiennent les efforts de la République populaire démocratique de Corée pour réunifier pacifiquement le peuple coréen ; que nous donnions tout notre appui au peuple panaméen dans sa juste lutte pour recouvrer sa souveraineté sur la Zone du Canal ; que nous exprimions notre solidarité avec le peuple chilien face à la conspiration impérialiste (applaudissements) ; que nous nous unissions à l’Argentine dans sa juste réclamation sur le territoire usurpé des îles Malvinas (applaudissements) et défendions le droit du peuple portoricain à sa pleine souveraineté ! (Applaudissements.)
Notre pays doit supporter la présence humiliante, sur un morceau de son territoire, d’une base yankee maintenue par la force contre la volonté absolue de notre peuple qui fait face à un blocus économique, rigoureux et criminel, de la part des États-Unis. Néanmoins, notre peuple se maintient ferme et mène de l’avant avec succès la construction du socialisme aux portes mêmes des États-Unis. Notre pays a pu résister parce qu’il a réalisé une véritable révolution qui a supprimé radicalement toutes les formes d’exploitation de l’homme par l’homme, en édifiant sur cette base une volonté de lutte élevée et une unité solide et indestructible.
Si l’on veut vraiment libérer un pays de l’exploitation impérialiste, il faut libérer aussi le peuple du pillage auquel les féodaux, les propriétaires fonciers, les oligarques et les parasites sociaux de tout genre se livrent sur les fruits de son travail. Nous demandons aussi votre solidarité pour le peuple cubain.
Si l’entente avec les pays socialistes est un facteur vital pour notre victoire, l’unité entre les pays qui luttent pour l’indépendance et le développement en est la condition indispensable. Nous soutenons toutes les prises de position en faveur de la plus grande unité possible des pays non alignés devant les problèmes capitaux de la vie internationale qui figurent aux diverses motions présentées à la Conférence ; mais nous nous inquiétons, mieux que cela, nous nous indignons, d’apprendre qu’un dirigeant de la taille de Sékou Touré doit se défendre non seulement des colonialistes portugais mais aussi des conspirations fomentées au sein même de son Afrique sous-développée (applaudissements).
Notre foi en certaines déclarations et en certains postulats d’unité diminue lorsque nous voyons que la République populaire du Congo et la République de Somalie ne sont pas à l’abri de menaces émanant d’autres forces africaines, et lorsque nous apprenons les difficultés du régime révolutionnaire de la République populaire et démocratique du Yémen face à une hostilité qui trouve peut-être sa source à Washington mais qui se traduit concrètement depuis d’autres régions moins lointaines.
Ce qui prouve encore une fois que notre unité véritable ne dépend pas d’un non-alignement circonstanciel, mais d’une identité plus profonde et permanente : celle qui plonge ses racines dans les principes révolutionnaires, dans le programme commun anti-impérialiste et dans l’aspiration à des transformations sociales substantielles et définitives.
Telles sont les prises de position de Cuba. Certes, les points de vue que je viens d’exposer ne seront pas partagés par tous les dirigeants ici réunis, mais je me suis acquitté du devoir de vous les exposer à tous avec respect et loyauté.
Je vous remercie. (Ovation.)
Fidel Castro