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Le suicide économique de l’Europe - (The New York Times)

Samedi 14 avril, The New York Times s’est fait l’écho d’un phénomène qui se développe en Europe : le suicide lié à la crise économique, les gens se donnant la mort par désespoir, après avoir perdu leur emploi ou vu leur entreprise faire faillite. L’article était bouleversant. Mais je suis sûr que je n’ai pas été le seul lecteur, notamment parmi les économistes, à me dire que le problème n’était peut-être pas tant les individus que l’apparente détermination des dirigeants européens à pousser l’ensemble du continent au suicide.

Il y a juste quelques mois je ressentais un peu d’espoir pour l’Europe. Vous vous souviendrez qu’à la fin de l’automne dernier l’Europe semblait être au bord de la crise financière, mais que la Banque centrale européenne, l’homologue pour l’Europe de la Fed, est venu au secours du continent. Elle a offert aux banques européennes des lignes de crédit ouvertes sans limite aussi longtemps qu’elles ont levé des obligations des gouvernements européens à titre de garantie, ce qui a directement supporté les banques et indirectement soutenu les gouvernements, et mis fin à la panique.

La question était donc de savoir si cette action courageuse et efficace serait le début d’une plus large remise en cause, si les dirigeants européens utiliseraient la marge de manoeuvre que la banque centrale avait créée et reconsidèreraient les politiques qui ont amené des questions en tête en premier lieu.

Prenons le cas de l’Espagne, qui est aujourd’hui l’épicentre de la crise. Elle n’est pas en récession, mais en pleine dépression, avec un taux de chômage de 23,6% - chiffre comparable à celui des Etats-Unis pendant la crise de 1929 - et de plus de 50% chez les jeunes. Cela ne peut pas durer, et c’est précisément pour cela que les taux d’intérêt que doit payer Madrid ne cessent d’augmenter.

En un sens, peu importe dans quelles circonstances l’Espagne en est arrivée là . Mais ses problèmes n’ont rien à voir avec les histoires racontées par les dirigeants européens, en particulier en Allemagne. Le pays ne peut être accusé de laxisme budgétaire : à la veille de la crise, sa dette publique était peu élevée et son budget, excédentaire. Mais l’Espagne a été malheureusement frappée par une énorme bulle immobilière, due en grande partie aux prêts colossaux consentis par les banques allemandes à leurs homologues espagnoles. Quand la bulle a éclaté, l’Espagne s’est retrouvée avec une économie exsangue : les problèmes budgétaires du pays sont la conséquence de la crise, et non sa cause.

Pourtant, le remède prescrit par Berlin et Francfort est, vous l’aurez deviné : encore plus de rigueur. Je n’irai pas par quatre chemins : c’est totalement dément. Voilà plusieurs années que l’Europe applique des plans d’austérité extrêmement rigoureux et les résultats sont exactement ceux qu’auraient pu prédire des étudiants en histoire : ces plans n’ont fait qu’aggraver la récession dans laquelle ces pays étaient déjà plongés. Et comme les investisseurs prennent en compte la situation économique d’un pays pour évaluer sa capacité de remboursement, les programmes d’austérité n’ont même pas contribué à réduire le coût de l’emprunt.

Quelle est la solution ? Dans les années 1930, la condition primordiale pour sortir de la crise a été l’abandon de l’étalon-or. L’équivalent aujourd’hui serait d’abandonner l’euro et de revenir aux monnaies nationales. Une telle initiative peut paraître inconcevable, et sans doute aurait-elle des effets terriblement perturbateurs sur les plans économique et politique. Mais ce qui est vraiment inconcevable, c’est de continuer sur la même voie en imposant des plans d’austérité toujours plus durs à des pays ayant des taux de chômage comparables à celui de l’Amérique pendant la crise de 1929.

Si les dirigeants européens voulaient vraiment sauver l’euro, ils opteraient pour une autre solution, assez évidente. L’Europe a besoin d’une politique monétaire plus expansionniste, avec une volonté affirmée de la Banque centrale européenne (BCE) d’accepter une légère hausse de l’inflation. Elle a aussi besoin d’une politique budgétaire expansionniste, avec un budget allemand qui neutraliserait l’austérité en Espagne et dans les autres pays en difficulté situés à la périphérie de l’Europe, au lieu de la renforcer comme aujourd’hui. Ces politiques n’empêcheraient pas ces pays de vivre des années très difficiles, mais au moins feraient-elles naître l’espoir d’une reprise.

Or nous sommes aujourd’hui confrontés à un manque total de souplesse. En mars, les dirigeants européens ont signé un pacte budgétaire qui impose l’austérité comme la solution à tous les problèmes. De son côté, la BCE proclame sa volonté d’augmenter les taux d’intérêt au moindre signe d’inflation. Il est difficile, dans de telles conditions, d’échapper au désespoir. Plutôt que d’admettre leurs erreurs, les dirigeants européens semblent déterminés à jeter leur économie - et leur société - du haut de la falaise. Et c’est le monde entier qui en fera les frais.

Paul Krugman, le 15 avril 2012

Source : Europe’s Economic Suicide

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