Floraison de l’humanité
Certains meetings de Mélenchon ont lieu dans la rue. En banlieue, à Grigny. A Paris Bastille. A Toulouse, place du Capitole.
A l’air libre, y’a des airs de concert et des fleurs de manif. On peut circuler, boire un coup et s’en griller une. Se rencontrer de façon plus ouverte. Se demander si l’autre est venu exprès ou s’il passait par là . T’as pas l’obligation de montrer le sésame pour écouter le candidat ou de te faire fouiller par le vigile. Un meeting en plein air a toujours un petit quelque chose de révolutionnaire, un petit goût d’éducation populaire.
Alors, il y aura, ça et là , des répliques. Sans doute. Elles commencent à gamberger, les grosses cylindrées des sondages. On me dit qu’elles vont organiser des salles pleines de militants UMP, des zéniths PS [1] à craquer. Ils seront sans doute plus nombreux [2]. Peut-être qu’ils vont la gagner la « bataille des chiffres ». Plus de 120 000 ? Mais ça rend plus difficile le comptage quand tu passes par hasard. Tiens, compter ! Qu’ils donnent leur méthode de « conteurs », les organisateurs de gauche et de droite, la police et les journalistes. Qu’ils disent comment on compte…
Puisqu’un meeting dehors c’est une bonne idée, que les forces de gauche réitèrent. Dans la rue des échanges. Vite des copies en plusieurs exemplaires pour tous les résidents de la république.
Il s’est passé quelque chose
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Bien sûr qu’ils sont utiles les « meetings fermés ». Essentiels à la démocratie. Mais on s’est habitué à ce machin, maintenant. Ce soir, il y a bal dans ma rue, c’est la gaîté et la cohue, chante la Môme [3]. Faudra pas nous l’enlever… A la souvenance, il y en a pas eu beaucoup de discours politique au Centre ville, place du Capitole, avant Mélenchon. De Gaulle est venu, le 16 septembre 1944. Après, je ne sais pas… M’en souviens plus. Puis des citoyens unifiés ont dit « L’humain d’abord ». 2012. Théorie puis mise en pratique. C’est aussi ça être de gauche : se tenir à la hauteur de cette exigence démocratique. « L’homme est la somme de ses actes », dit le philosophe Hegel. Quelque chose comme ça.
Là , ça c’est passé dans la rue. Au coeur de la cité. Dans l’espace public. L’espace de tous, du commun. Place de la Mairie. Au milieu des gens. Pas que des encartés. Non, pas que des partisans. Ils étaient là les Front de Gauche, la Gauche Unitaire, le Parti de Gauche, les jeunes communistes, les Ripostes, les CGTistes. Et les autres ? Ils étaient là aussi. Certains. Ceux des autres partis, les votes blancs, les passants, les indécis… Et c’est bien là l’inédit. Ce qui s’est déclenché, inauguré même, c’est un rassemblement bariolé, au coeur de ce que les anciens appelaient « l’agora » [4]. Qui a dit que la politique n’intéressait plus personne ?
Jean-Luc Mélenchon aura donc d’ores et déjà permis cela : replacer l’échange, la discussion, le partage, la démocratie, dans le lieu même de son émergence.
Ca vient de la rue [5]
« Les villes font peur. La rue, autrefois synonyme de lien social, évoque, dans le vocabulaire d’aujourd’hui, soit l’émeute, soit l’exclusion » [6], affirme l’architecte Ricardo Bofill. C’est là qu’on coupe les têtes. La vindicte populaire. B.A.C. in the block. Police dans le quartier. Et hier, Malik Oussekine [7] frappé par les agents du Ministère de l’Intérieur, sous l’égide de Charles Pasqua et de Robert Pandraud [8]. La rue crie sa faim, la misère. Trottoir de « filles ». Fortaleza [9]. Dehors, à la rue… Rue baston. La castagne. Peintures dissemblables.
Ce n’est pas toujours la chanson des ruelles. L’autre rue, celle des espaces publics, est bien plus enivrante.
Dans ma tête se mélangent, les chansons d’IAM, [10] d’Edith Piaf [11] et de Zebda [12]. D’où ça vient le break, le punk, le jazz et les dunks [13] ? Où ça niche, les graphs, les affiches, les couleurs sur les murs ? [14] Et Basquiat. Et Banksy ? De la rue, dans la rue. Espace pluriel. Lieux d’expressions « artistico-politiques ». Vont-ils venir à l’appel de Londres ? [15] Ce soir c’est la fête [16]… La rue, lieux de combat et de reconnaissance. Où tu rides [17] ton skate avec les cheveux qui traînent, sur les spots [18] pour les potes, les tricks [19] pour le ride-run [20]. Où tu cours 68, les flics en fin de manif ? Dans la ville, au forum [21], dehors. Elle vient d’où la bande rouge sur le drapeau français ? L’argot et le verlan qui entrent dans la langue ? De la rue, l’agora. De l’aube au crépuscule, pour aller au turbin, en poireautant le bus ? Dans la ville, dans la rue… Les « pères courages qui balayent la ville » et « tout ce potentiel que l’on sous-estime » [22] ? Tous les gavroches, les poulbots ? Les zonards ? Les crevards ? Où ça voltige, 86, le long des parapets ? Où donc s’accumulent les barricades de la commune ? Ca vient d’où, ça va où ? Et l’écho périodique des révoltes sociales ? Les Bastilles à prendre, les emplois à sauver ? Le dire où ? Dans la rue. Dans les cortèges du 1er mai. On y est. Sur les grands boulevards. Et les carnavals toulousains interdits par la droite Baudis. Où c’est-y revenu ? Dans la rue ! Où ça va les happenings ? En 1936, les cols bleus pour le bal populaire ? Où donc s’exprime le vent de la contestation ? Dans les musiques le 21 ? Au théâtre des rues ? Royal de Luxe viré par monsieur « Beaux-discours ». Racines, festival asphyxié. De la rue, sur la place. Et l’appel des résistances, FFI-FTP, FTP-MOI, ceux qui ont libéré Toulouse du fascisme ? D’où viennent-ils ? Où vont-ils ? Où faisaient-ils résistance ? Rua-rua-rua. Y campaña. Et les immigrés espagnols, les belges de l’exode ? Ils trainent où les résistants ? Dans la ville, dans le maquis aussi, dans la rue ? Où donc se cachaient-ils ? Dans les traboules aussi… Où s’expriment-elles les cerises, quand toute l’usine est fermée ? Les fils d’immigrés, les d’jeunes encapuchés, qui rallient les manifs ? Les sans-toit ? Les sans-logis ? Les sans-rien ? Les baraquements de roumains ? Dans la rue. Les Enfants de Don Quichotte, le long du canal. La rue, lieu de misère. De manche. Lieu de rencontres. Journaux vendus à la sauvette, dans les marchés. Rue de débat. De musée. Lieu cosmopolite et de diversité. Lieu du chant des possibles. La rue est un espèce d’espace. Lieu de lien social quand ça parle, quand on y mange dans les repas de quartiers. « Créer un poncif, voilà le génie », disait Baudelaire.
A Toulouse, la rue citoyenne est tradition, de Claude Sicre [23] à Serge Pey [24]. Avec eux la poésie est en action. Les subversions, les idées viennent aussi de là . De la Place du peuple qui mène à la jolie rue de la révolution citoyenne !
Une rue qui crie colère avec son bulletin de vote. Le poing levé dans la rue, les manifestations. Maintenant, qu’on a retrouvé le goût de la rue, ce n’est pas la même zique ! C’est là qu’il fallait être. Dans l’agora, au forum, c’est là notre place. Pour y traiter des affaires de la cité. « La Rue est le cordon ombilical qui relie l’individu à la société », dit Victor Hugo. Ca nous avait manqué…
Place du peuple
Toulouse, à la manif du 5 avril, sur la place, y’avait aussi des vendeurs de sandwichs. Des cafés. Des glaciers. Des restaurants, des clients qui mangeaient. Confortablement installés. Et je me suis amusé de cette observation : y’avait des entreprises privées au meeting de Mélenchon. Pas seulement des entrepreneurs, non ! Des entreprises privées. Elles étaient là , avec leurs enseignes, leurs murs, leurs personnels. Parce que ça c’est passé chez nous. Au milieu des gens, des employés, des entreprises. Au milieu du travail. Au milieu de la vie. En cité grecque, les capéloï [25] tenaient boutique. Au dessus des négoces, il y avait peut être des logements vides ! [26]
Au Capitole, il y avait aussi le NPA et des Ecolos, - j’imagine que certains devaient crier d’envie de rejoindre le mouvement -, des pompiers, des pacifistes qui distribuaient des tracts. Elles sont autorisées, dans les zéniths PS, dans les salles UMP, les distributions de tracts venant d’autres organisations syndicales et politiques ? Oui ? Non ?
Ca s’est passé por la calle [27]. Ca veut dire quelque chose « Place du peuple » ! Et quand ça se passe dans la rue, c’est toujours différent !
Eric W. Faridès
Toulouse,
7 avril 2012
Voir sur ce même sujet :
Laurent Classeau, Parce que…, Collection Quelque chose comme ça, © Editions La vérité, pas toute, Toulouse, n° 1, 6 avril 2012.
Eric W. Faridès, « Jean-Luc Mélenchon, la Mairie de Toulouse & les poseurs d’affiches », in artefacte-asso.com, 5 avril 2012.
Frédéric Vivas, « Monochromes approximatifs », Revue Artefacte, n° 1, artefacte-asso.com, mars 2011.