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Tueries de Toulouse et de Montauban : mise en perspective historique

Quelles remarques peut-on tirer de cette tragédie ?

- Essentiellement celle-ci, que notait déjà RobertMandrou en 1967, dans son ouvrage sur La France aux XVIIe et XVIIIe siècles (citation reprise par Pierre Goubert dans L’Ancien Régime, en 1969) : nos informations, malgré la modernité des supports (satellites, Internet, écrans plats, tablettes tactiles, ordinateurs, caméras incorporées dans les plus petits supports - comme les appareils téléphoniques, etc.), nos informations restent, sur le fond, des informations témoignant d’une mentalité archaïque.

- Elles restent archaïques par la prédominance de la météo, surtout traitée dans ses manifestations exceptionnelles, par la prédominance du récit biographique attendrissant (transféré de celui des princes - et encore pas toujours ! - à celui des vedettes du sport, du cinéma ou de la chanson), par la prédominance du merveilleux - pris en charge par la technologie - et, enfin, et surtout, par la prédominance du fait divers criminel. Et plus ce fait divers est gros, plus il est affreux, plus, comme sous l’Ancien Régime, il est utilisé pour attirer et retenir le chaland. Voire pour le manipuler....

- Les tueries attribuées à Mohamed Merah entrent dans ce cadre. Et l’on ne peut qu’être frappé par la distorsion entre la modernité du média et l’archaïsme de la mentalité ainsi mise à jour. Un événement du passé revient à la mémoire à ce propos, celui de la Bête du Gévaudan, qui, de 1764 à 1767, fit 80 victimes, principalement sur les territoires des actuels départements de la Lozère (du nord) et de la Haute-Loire. Et, de fait, les similitudes ne manquent pas.

1. La première d’entre elles - celle qui suscite l’angoisse initiale - est l’incertitude (qui, en l’occurrence, n’a duré que quelques jours) sur la localisation et sur l’identité du tueur. De même qu’on ne savait quelle était la nature de la Bête du Gévaudan (un loup ? plusieurs loups ? une créature fabuleuse tel que le loup-garou ? un animal dressé à tuer ?), on a élaboré des conjectures sur une appartenance supposée du tueur à une association d’extrême-droite, à une mouvance islamiste ou à Al-Qaida. Et, de même que la Bête se déplaçait à plusieurs lieues de distance, le tueur a commis ses forfaits de Toulouse à Montauban (distance : 54 km). Il est d’ailleurs révélateur que l’objet-symbole de ce tueur ait été non pas le pistolet mais le scooter, marque de sa mobilité, de sa dangereuse ubiquité, comme celle de la Bête du Gévaudan.

2. La deuxième similitude est qu’il touche à un des interdits de la société, à un de ses tabous : s’en prendre à des enfants. De même que la Bête assaillait souvent des enfants, qui gardaient les troupeaux, souvent accompagnés de leurs frères et soeurs plus jeunes (une consultation de Wikipedia mentionne des enfants de 14 ans, 15 ans, 8 à 12 ans, 6 ans et même 14 mois). Or, on ne tue pas des enfants - y compris dans les oeuvres cinématographiques. Dans celles-ci, en effet, lorsqu’il y a des dangers (genre films-catastrophes) ou des tueurs, une convention non écrite veut que les enfants figurent presque toujours parmi les survivants. Ce qui, d’ailleurs, est le contraire de la réalité puisque, pour diverses raisons - manque de mobilité, de force physique, de conscience du danger, les enfants figurent souvent parmi les premières victimes. En s’en prenant à des enfants, dans une école juive de Toulouse, le tueur, s’en prenant à cet interdit, accroissait l’horreur de son geste.

3. La troisième similitude est la disproportion énorme entre le nombre de victimes et l’émotion suscitée : les quatre morts de l’école de Toulouse ne sont "/que/" la valeur d’un accident de la circulation, ne touchant qu’une seule voiture familiale. Et on peut noter la disproportion (même s’il s’agissait d’un accident concernant des Belges et non des Français) entre le traitement médiatique de l’accident d’autobus de Sierre, qui fit tout de même 28 morts (contre 7 en France) et celui de Toulouse-Montauban, traité, relativement, de façon encore plus disproportionnée que les attentats du 11 septembre 2001...

4. Cette disproportion est d’ailleurs celle qui s’attache à ces autres "acteurs" d’homicides que sont les loups ou les ours (qui ne tuent aucun humain et encore moins de troupeaux de moutons que les chiens errants), ou, symboliquement, les requins. A propos de ces derniers, une des années les plus meurtrières fut, par exemple, l’année 2000, qui vit 11 attaques mortelles de requins, /toutes espèces confondues, dans le monde entier/. La probabilité d’être tué par un requin, même lorsqu’on est un passionné des baignades en mer, est donc bien moins grande que celle d’attraper un coup de dents - éventuellement mortel s’il touche un nourrisson - par le brave labrador du voisin que l’on caresse pourtant depuis des années. Or ni les chiens ni les hyménoptères (abeilles, guêpes, frelons) qui, cependant, sont la cause de bien davantage de morts dans le monde, ne suscitent ces peurs aussi hystériques qu’irraisonnées (mais non inexplicables).

5. Ce traitement disproportionné (et, j’ose le dire/, outré/) des tueries de Montauban est Toulouse souligne un autre trait archaïque, en ce qu’elle est un révélateur de peurs cachées, instinctives, préhistoriques. Dans le cas du requin, c’est, comme le dit Jean Delumeau dans La peur en Occident (XIVe - XVIIIe siècles) [Fayard, 1978], une peur de la mer et une peur de l’obscurité (puisque le requin surgit des profondeurs, qui sont ténèbres), plus une peur du dessous, de la profondeur, l’Enfer, dans le folklore chrétien, étant toujours situé dessous.

6. Dans le cas de la Bête du Gévaudan, revenait aussi la peur de l’animal fabuleux (le loup-garou), éventuellement aussi la peur du Malin - soit que l’animal ait été l’un des avatars du Démon, soit qu’il ait été l’instrument de Dieu pour punir les hommes de leur péchés (comme on le disait pour les pestes ou les épidémies). Enfin, cette peur est celle de l’inconnu - pendant longtemps, nul ne vit la Bête du Gévaudan, et même après la fin de ses tueries, on douta des divers cadavres d’animaux présentés comme étant le sien, la peur de l’étranger et la peur du déviant (jadis, les sorcières ou présentées comme telles, les juifs, les étrangers, voire les fous) étaient les premières victimes des pestes ou des incendies.

7. Dans notre époque déchristianisée (ou post-chrétienne), où l’un des paradoxes est la fortune des films consacrés au Diable [alors que l’évocation de celui-ci a disparu des catéchèses], les peurs sont toujours celle de l’Inconnu, celle du déviant et celle de l’étranger.

- Or, depuis quelques années, cet inconnu s’est incarné - ou, plutôt, "on" l’a incarné - dans l’islamiste, et, plus largement, dans le musulman, à qui on a prêté des desseins diaboliques non seulement d’attentats, mais aussi de submersion démographique (alors que les pays musulmans ont accompli leur révolution démographique), de prise du pouvoir - démocratique ou subreptice - de changement progressif des moeurs (notamment par l’imposition, aux femmes, de normes rétrogrades) ou d’attaque nucléaire (alors que le pays le plus soupçonné de vouloir utiliser la bombe atomique est l’Iran, qui, pourtant, n’en possède pas une seule...). Il est donc caractéristique qu’à partir du moment où le suspect présumé ait été identifié comme étant un musulman - se prétendant islamiste -, toutes ces peurs se soient coagulées pour en faire le cirque médiatique que nous connaissons depuis 48 heures.

Philippe Arnaud

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