Quand les Forces Armées Togolaises, dans un message adressé à la Nation le 05 février 2005 dans lequel elles indiquaient qu’elles donnaient le pouvoir à Faure GNASSINGBE après la mort du feu président Eyadema, tout le peuple togolais s’est soulevé comme un seul homme pour contester cette décision qui permet au clan Gnassingbé de rester au pouvoir. Ce soulèvement a conduit le régime RPT à faire passer en 24H Faure Gnassingbé du poste de ministre des mines au député à l’Assemblée Nationale, puis président de l’Assemblée Nationale et enfin président de la république. Car la constitution togolaise en son article 65 stipule : « En cas de vacance de la Présidence de la République par décès, démission ou par empêchement définitif, la fonction présidentielle est exercée provisoirement par le président de l’Assemblée nationale ». Son Excellence Fanbaré Ouattara NATCHABA le président de l’Assemblée nationale de l’époque étant à l’extérieur, il revenait à Faure d’exercer le pouvoir présidentiel.
Ce stratagème n’a pas convaincu le peuple togolais qui est sorti dans les rues et Faure a dû présenter sa démission pour organiser une élection présidentielle anticipée qu’il a remporté haut les mains. La contestation qui a suivi la proclamation des résultats de l’élection a été sévèrement réprimée par l’armée togolaise et les milices du Rassemblement du Peuple Togolais (RPT), parti crée par le feu président Eyadema. L’enquête de la Ligue Togolaise des Droits de l’Homme, le Rapport Koffigoh du nom de l’ancien premier ministre et celui de l’ONU ont indiqué respectivement qu’il y a eu entre 400 et 1000 morts. La venue au pouvoir de l’actuel président de la république est entachée de mort, disparu et beaucoup de réfugiés. Il a été réélu en mars 2010 pour un second mandat.
L’accord Politique Global et la création de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR)
Pour apaiser les tensions et calmer la classe politique, le régime RPT avait signé un an après la prise du pouvoir de Faure un Accord Politique Global (APG) à Ouagadougou en présence du président burkinabè Blaise CAMPAORE. Au point 2.2.2. et 2.4 de cet accord il est prévu la mise en place d’une commission devant faire la lumière sur les crimes politiques que le Togo a connus depuis les indépendances. En Avril 2009, le Président de la République par décret présidentiel pris en conseil de ministre crée la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR) qui a pour mission de faire la, lumière sur les crimes, violations et violence à caractères politique que le Togo a connu de 1958 à 2005. Monseigneur Nicodème BARRIGAH-BENISSAN, archevêque d’Atakpamé (une ville qui a connu beaucoup de violence en 2005) est le président de cette commission.
Les travaux de la CVJR ont commencé en 2009 et sont entrain de prendre fin. La dernière étape est celle de la rédaction du rapport final et les recommandations à l’endroit du pouvoir. L’avant dernière étape considérée par tous les observateurs comme crucial a permis à la commission d’auditionner certaines victimes et quelques présumés auteurs. Ces auditions ont vu passé quelques personnalités du pays notamment les anciens premiers ministre AGBEYOME Kodjo, Me KOFFIGOH Kokou, AGBOYIBO Yaovi et M. Edem KODJO, l’ancien président de l’Assemblée nationale NATCHABA Ouattara Fanbaré, l’actuel président de l’Assemblée Nationale Son Excellence El Hadj Abbas BONFOH, le Chef d’Etat Major Général de Force Armée Togolaise M. Atcha TITIKPIN, la présidente de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) de 2005) Dr Kissen Tchangai WALLA actuel vice présidente de la CVJR, pour ne citer que ceux là (Voir www.cvjr.org). Le défi de la CVJR est d’arriver à établir la vérité sur les crimes politiques, situer les responsabilités et faire des recommandations pour aboutir à une réconciliation durable. Là -dessus, la population togolaise demeure sceptique. Et pour cause. Les témoignages enregistrés lors des audiences ont montré que aucun des présumés coupables ne reconnait les tord portés comme lui et demandé pardon au peuple togolais. D’autres vont jusqu’à justifier leur actions qui pour eux étaient légitimes et menaces même de porter plainte contre les victimes qui ont témoigné. L’armée en premier lieu ne se reconnait pas dans les accusations portées par les victimes enregistrées par la CVJR bien que tous les rapports depuis1998 incriminent l’armée togolaise.
La CVJR finira son travail en mars 2012 et elle formulera des recommandations pour arriver à une réconciliation. La question qui se pose est de savoir si la population togolaise va se retrouver dans le rapport de la commission. Est-ce que le gouvernement togolais acceptera de publier ce rapport et surtout de mettre en oeuvre les recommandations ?
Le rôle de la société civile
La justice transitionnelle est un processus long et souvent incompris par les populations. Dans ce processus, le rôle des Organisations de la Société Civile (OSC) est très important pour non seulement sensibiliser les populations sur l’ensemble du processus mais aussi intervenir pour apporter des solutions aux problèmes qui se poseront pour frainer les travaux de la commission. Dans le cas togolais la société civile n’était pas au rendez-vous au début des travaux de la CVJR étant donné que ce sont les présumés coupables qui ont mis en place cette commission, la population en générale ne s’est pas senti concerné et particulièrement la société civile. Cette absence a été préjudiciable au processus puisse que ce sont les Organisations de la Société Civile (OSC) qui sont plus proche du peuple et qui sont à même de les sensibiliser.
Aujourd’hui les OSC ont pris le train en marche et multiplient des actions d’accompagnement du processus, non seulement en vulgarisant les travaux de la CVJR à travers le pays, mais aussi en recadrant la commission elle-même et le gouvernement dans l’accomplissement de leur tâche dans ce processus. Une coalition de la société civile dénommée Plateforme Citoyenne Justice & Vérité a été créée et regroupe toute les couches de la société. L’objectif est de suivre les travaux de la CVJR, de vulgariser le rapport quand celui-ci serait prêt et de suivre la mise en oeuvre des recommandations.
Si tous les observateurs reconnaissent le pas posé vers la réconciliation, ils sont tout aussi d’avis que cette réconciliation ne peut être possible qu’à certaines conditions. Les recommandations de la CVJR doit prendre en compte certains aspects notamment :
1- Le découpage électoral qui doit être revu ;
2- Le mode du scrutin présidentiel doit passer à deux tours ;
3- La limitation du mandat présidentiel doit passer à deux simplement ;
4- La reforme de la justice pour qu’il y ait une indépendance au niveau des magistrats ;
5- Le processus électoral dans son ensemble pour avoir des élections apaisées, justes, équitables et transparentes
Si le Togo est en crise sociopolitique depuis 1990, l’on reconnait que c’est lors des élections surtout présidentielle que ces crises s’accentuent et cause beaucoup de mort. Pour arriver donc à une réconciliation efficace au Togo, il faudra alors aborder la question de l’alternance au pouvoir et permettre à ce que toutes les conditions soient réunies pour une élection transparente et sans violence. Là encore les O.S.C ont un rôle important à jouer en pesant de tout leur poids dans la formulation des recommandations de la CVJR et après dans la mise en oeuvre par l’Etat togolais.
Tout compte fait, le Togo est au tournant de son histoire avec cette commission et les élections législatives, communales et cantonales qui arrivent sont des indicateurs pour mesurer l’impact des travaux de la CVJR. On verra alors ou en ait le processus de réconciliation au pays de Faure Gnassingbé.
Par Bernard Anoumo Dodji BOKODJIN, Sociologue et journaliste indépendant
Consultant en Droit de l’Homme et Bonne Gouvernance, Membre d’ATTAC-Togo/CADTM