Nous aimons penser que nous sommes tout à fait différents des fourmis et des abeilles. Selon nous, les fourmis et les abeilles sont des automates qui obéissent à des signaux chimiques et physiques et chaque individu de la colonie a une place qui détermine ses caractéristiques physiques adaptées à la fonction qu’il exerce.
Nous faisons la distinction entre ces colonies d’insectes et les mammifères qui, selon nous, ont un bien plus haut degré d’individualité. Nous aimons croire que les troupeaux et les hordes de mammifères sont composés d’individus qui ont "choisi" de vivre ensemble et de coopérer. Nous refusons généralement de considérer que les caractéristiques physiques de ces individus ont un rapport avec la hiérarchie du pouvoir dans la communauté en question.
Mais les humains, les primates, les fourmis et les abeilles pourraient être beaucoup plus proches que nous voulons l’admettre.
Il y a un domaine de recherche scientifique qui montre à quel point nous faisons erreur. C’est l’étude des effets de la hiérarchie du pouvoir sur la santé d’un individu. Il apparaît que pour les mammifères et les oiseaux, par exemple, la santé des individus, si l’on excepte les accidents naturels, est due principalement à leur position dans la hiérarchie du pouvoir de leur société. Il faut insister sur le mot "principalement" car il s’agit en effet du facteur de loin le plus déterminant —du fait qu’il a un impact bio-chimique et physiologique direct.
La position dominante dans la hiérarchie des troupeaux de singes, par exemple, détermine la fertilité, la résistance à la maladie, la vigueur et la longévité d’un individu.
La découverte que la hiérarchie du pouvoir est un facteur déterminant de la santé individuelle établit un paradigme en médecine (si la médecine est capable de le reconnaître un jour !) comparable aux plaques tectoniques des sciences de la Terre, la mécanique de Newton en physique et l’évolution en biologie, mais il faut se demander pourquoi.
Y a-t-il un avantage sur le plan de l’évolution de l’espèce, pour les mammifères par exemple, à ce que leur santé soit sérieusement affectée par la hiérarchie des pouvoirs à l’intérieur de l’espèce ? Ou sinon pourquoi la vulnérabilité de la santé individuelle dans la hiérarchie du pouvoir s’est-elle perpétuée à travers les siècles d’évolution ? La survie de l’espèce exige-t-elle que la hiérarchie des pouvoirs affecte la santé individuelle ou cela est-il simplement la survivance d’une époque de l’évolution antérieure à la division des insectes ou la formation de colonies ?
A première vue, on pourrait penser que l’espèce humaine, par exemple, ne peut tirer aucun profit du fait que sa santé soit matériellement et négativement affectée par la hiérarchie des pouvoirs dans la société. Mais est-ce la bonne conclusion ?
Je ne le crois pas.
Quel est l’espèce animale qui a le meilleur système nerveux sur terre, en termes de nombres d’individus et de biomasse totale et en termes de son impact transformatif sur la biosphère ? Les fourmis. Et qui est le plus réussi des grands mammifères ? L’humain. Les deux espèces vivent dans des sociétés hautement hiérarchisées.
Quelle est la forme biologique soutenable d’une société de mammifères hautement hiérarchisée ? L’individu doit accepter sa place. La compétition tous azimuts (comme une querelle dans un bar) est la recette du désastre et ne mène pas à une hiérarchie hautement stratifiée. Des piliers de bar qui sont et se sentent sur un pied d’égalité ne s’organisent pas spontanément en une hiérarchie des pouvoirs stratifiée.
La vulnérabilité individuelle héréditaire de la santé qui répond à la hiérarchie du pouvoir est le mécanisme biologique (bio-chimico-métabolique) qui engendre une rétroaction positive (qui amplifie le phénomène ndt) capable de générer spontanément une hiérarchie du pouvoir éminemment stratifiée.
Si le fait d’être dominé vous rend malade, vous n’allez pas rendre les coups. Vous allez accepter votre place. L’espèce est enchantée d’avoir des hordes d’individus malades qui mourront jeunes après avoir passé leur vie à faire le travail le plus dur. Quel meilleur moyen de stratifier une espèce réussie ?
L’impact sur la santé individuelle joue un autre rôle capital, en plus de fournir la rétroaction pour la stratification. Il constitue un mécanisme essentiel d’autodestruction pour les individus qui cessent d’une manière ou d’une autre d’être dociles et coopératifs.
Dans une société hautement stratifiée, les individus qui ne s’adaptent pas doivent être éliminés sinon ils deviennent une force dangereuse pour la hiérarchie. La police et les prisons n’y suffiraient pas sans la vulnérabilité héréditaire de la santé inscrite dans la hiérarchie du pouvoir.
Dès que l’individu essaie d’y échapper et qu’il se rend compte que c’est impossible, la plupart du temps il s’autodétruit — au lieu de se livrer à des déchaînements destructeurs. Cela s’appelle le cancer ou la crise cardiaque. Cela évite les agressions destructrices des individus qui ont perdu leurs illusions et met une fin naturelle au cycle d’utilité de l’individu par rapport à la hiérarchie, à l’espèce.
Il n’est pas surprenant que les anarchistes soient si rares ! Mais comme tous les systèmes basés sur la rétroaction positive, il est profondément instable.
Denis G. Rancourt
Denis G. Rancourt était professeur de physiques titulaire à plein temps à l’université d’Ottawa au Canada. Il a fait des recherches dans plusieurs domaines scientifiques financées par une agence nationale et dirigées par un laboratoire reconnu internationalement. Il a publié plus de 100 articles dans des revues scientifiques connues. Il a créé des cours de militantisme populaire, a critiqué ouvertement l’administration de l’université et a défendu les droits des étudiants et des Palestiniens. Il a été licencié pour dissidence en 2009 par un président qui est un supporter inconditionnel de la politique israélienne.
Pour consulter l’original et les notes : http://dissidentvoice.org/2011/12/a-theory-of-chronic-pain/
Traduction : Dominique Muselet pour LGS