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Comment les femmes du Cachemire mènent leur combat.

La guerre rend-elle les femmes plus fortes ? (Countercurrents)

"La nécessité est la mère des inventions" est un fait avéré ; les femmes du Cachemire en sont la preuve vivante. Le conflit armé leur a imposé de nouveaux rôles ; elles s’y sont magnifiquement adaptées et en ont assumé les responsabilités. Pendant la phase initiale du conflit armé, les femmes ont lutté à égalité avec les hommes et, dans beaucoup de cas, se sont montrées plus efficaces que les hommes surtout quand l’armée ou la police venait chercher les jeunes. Les femmes de la localité manifestaient alors à l’extérieur des camps de l’armée et s’y relayaient jusqu’à ce que l’armée relâche les jeunes. Les femmes se sont même opposées à la détention illégale des jeunes et ont protesté avec les hommes contre les atrocités commises par l’état ou l’armée.

Quand les choses sont devenues insupportables et que les femmes se sont trouvées en ligne de mire, elles se sont retirées un peu de la lutte active parce que les meurtres, les viols, les enlèvements, la torture et les détentions illégales menaçaient de détruire toute la vie sociale et familiale ce qui aurait finalement conduit à l’anarchie. Les femmes ont pris leur vie en main et ont assumé leurs responsabilités familiales ; elles étaient submergées par la multiplication des tâches et des responsabilités mais elles ne se sont pas affolées et c’est seulement grâce à leur persévérance et à leur solidité qu’une catastrophe sociale a pu être évitée. Lorsque les soutiens de famille étaient tués ou disparaissaient, les femmes ont assumé à leur place les responsabilités économiques, l’éducation des enfants et les aléas de la vie quotidienne.

Des femmes illettrées dont les maris, les frères ou les pères étaient en prison dans différents endroits du Cachemire ou d’Inde se sont mises à suivre les procès, à rencontrer des hommes de loi, se sont familiarisées avec les lois draconiennes qui avaient envoyé ceux qu’elles aimaient en prison, se sont informés sur les dispositions légales et ont découvert quels juges instruisaient leurs cas. Elles se sont mises à visiter les différentes prisons, les centres de torture et de détention et elles savent désormais très bien où se trouvent les prisons, les tribunaux et les hôtels bons marché où dormir pendant leurs démarches. C’est ainsi que leur tragédie personnelle leur a donné du pouvoir sur leur propre vie et celle de leurs familles en dépit du triple handicap du manque d’éducation, du fait d’être des femmes et de la naissance.

Des milliers d’hommes ont été tués dans de prétendues échauffourées montées de toutes pièces et pendant leur détention par l’armée et la police. Et des hommes arrêtés par l’armée ou la police ont disparu et l’armée et la police prétendent qu’ils se sont évadés tandis que leur famille dit qu’ils sont toujours en prison ou enterrés dans des fosses communes. Selon des sources non officielles plus de 10 000 personnes ont disparu au Cachemire et il y a plus de 3000 demi-veuves (une demi-veuve est une femme dont le mari a disparu en détention et qui ne sait pas combien de temps elle doit garder le deuil avant de se remarier car il n’y a pas de consensus à ce sujet). La disparition est une source de souffrances sans fins pour la famille car elle est dans un dilemme perpétuel : la loi ne peut pas entériner la mort du disparu et la famille elle-même ne se résout pas à considérer comme morte la victime qui s’est volatilisée.

Pour suivre les cas des disparus, les mères de fils disparus se sont rassemblées sous la présidence de Parveena Ahangar, dont le propre fils, Javed Ahmad Ahangar, a disparu depuis 1990 alors qu’il était détenu par l’armée, pour former l’Association des Parents de Personnes Disparues (APDP) en 1994. Plus tard des demi-veuves ont aussi rejoint l’association. Depuis 1994 elles mènent une bataille légale devant la justice pour savoir où se trouve leurs disparus sans résultat jusqu’ici, mais Parveena, une femme ordinaire et illettrée d’une cinquantaine d’années a affirmé qu’elle n’abandonnerait jamais la lutte et d’autres la suivent. Le 10 de chaque mois des membres de l’APDP manifestent en silence dans le parc Pratap qui est situé au coeur de Srinagar. Parveena est régulièrement invitée à différents séminaires et conférences dans diverses parties du monde où elle partage avec le public ses souffrances et celles de milliers d’autres personnes comme elle.

Les piliers de l’insurrection armée, dont la plupart ont été tués ou ont rejoint des politiciens pro-liberté, ont négligé de construire des institutions au profit des victimes du conflit et l’argent qui leur avait été confié pour les victimes a été détourné par la majorité d’entre eux pour leur usage personnel ou politique et les victimes, abandonnées à leur sort et sans protection, se sont retrouvées l’objet de multiples formes d’exploitation. C’est une des raisons pour laquelle le peuple n’a plus confiance dans ceux qui portent le drapeau de Aazadi (Liberté : mouvement qui lutte pour l’autodétermination ndt) car ils n’ont rien fait pour aider les gens ni améliorer leurs conditions de vie. APDP met ses faibles moyens au service des familles des disparus. Parveena dit que seules les mères savent ce qu ça signifie de perdre un fils et qu’elles doivent donc se trouver aux premières lignes de la lutte pour la justice.

L’insurrection armée a maintenant reculé et cela a permis aux femmes de retrouver leur place sur la scène publique et même de prendre la tête des manifestations qui ont secoué la vallée du Cachemire ces trois dernières années c’est à dire depuis 2008. Les femmes militent aussi dans les mouvements de Paix et Réconciliation même si ces initiatives sont encore élitistes.

C’est ainsi que le conflit a permis aux femmes d’endosser de nouveaux rôles assortis de leurs problèmes et responsabilités spécifiques et ce faisant les femmes se sont révélées êtres des océans de courage et de sacrifice qui font tout ce qui est exigé d’elles sans perdre le sourire. Mais par ailleurs le conflit a eu aussi des effets négatifs sur les femmes en les rendant plus vulnérables à diverses attaques où leurs droits sont violés en toute impunité.

La violence domestique a considérablement augmenté à cause du conflit car les hommes sont quotidiennement humiliés par l’armée et la police ce qui blesse leur estime de soi et détruit leur confiance en eux-mêmes de sorte qu’ils sont tentés d’affirmer leur autorité, leur statut, leur force et leur virilité aux dépens des femmes en les forçant à se soumettre ; Ils se vengent de leurs humiliations sur les femmes, parfois même en causant leur mort.

Les femmes liées aux militants pro-liberté souffrent de la haine, de l’hostilité et de l’indifférence de l’état à chaque instant de leurs vies et celles qui sont liées à des renégats ou des contre-révolutionnaires rejetés par la société, rencontrent d’énormes difficultés sociales et leurs enfants aussi.

Les femmes appartenant à des familles qui ont perdu leurs soutiens de famille sont obligées de travailler très dur souvent aux dépens de leur propre santé. Les contraintes financières les obligent à courir sans cesse d’une endroit à un autre et les normes sociales et culturelles ne les autorisent parfois même pas à mendier.

Auparavant c’était le père, le frère, le mari qui protégeait respectivement sa fille, sa soeur, sa femme, sa mère, mais la situation actuelle du Cachemire a renversé les rôles. Les femmes soutiennent les hommes de leur famille qui ont de gros problèmes ; les normes sociales interdisent aux femmes d’aller dans les postes de police, les camps de l’armée et les centres de torture ; et, quand la situation l’exige, elle le font aux dépens de leur réputation.

Les mariages d’enfants se multiplient dans les zones lourdement militarisées afin d’éviter les viols et les agressions par l’armée. Les filles abandonnent de plus en plus l’école afin d’échapper aux persécutions et au harcèlement de l’armée sur la route de l’école. La police a forcé plusieurs jeunes filles à épouser des personnes importantes et des contre-révolutionnaires et celles qui refusaient étaient violées et tuées. Il n’y a pas de statistiques du nombre exacte de viols commis contre les femmes au Cachemire mais une étude a été réalisée par Médecins sans Frontières, une ONG internationale en 2006 "Cachemire : violence et santé" et 11,6 % des personnes interrogées ont reconnu avoir été victimes de violences sexuelles depuis 1989. Presque deux tiers des gens (63,9 %) interrogés par MSF connaissaient des cas de viols survenus pendant cette même période. L’étude révélait que les femmes du cachemire étaient celles qui subissaient le plus de violences sexuelles au monde. Le chiffre est beaucoup plus élevé qu’en Sierra Leone, Sri Lanka, Tchétchénie et Ingouchie. Beaucoup d’adolescentes suivent une thérapie pour faire face aux impacts psychologiques croissants des atrocités perpétrées contre les femmes par les soldats et les policiers. Le taux de suicide des femmes du Cachemire augmente et les ramifications du conflit ont contribué à sa forte croissance chez les femmes.

Les femmes du Cachemire sont victimes de trafic sexuel et elles sont prostituées parfois pour de l’argent mais le plus souvent sans contrepartie. L’échelon le plus bas des officiers de la police spéciale (SPO) est souvent partie prenante de ce cercle vicieux : ils épousent une fille puis la vendent à d’autres ou la force à consentir des faveurs sexuelles aux officiers de plus haut rang. Ces femmes qu’on force à se prostituer sont aussi utilisées comme mukhbirs (espionnes) ou elle sont obligées d’attirer d’autres filles dans le réseau engendrant ainsi un cercle vicieux qui ne laisse aucune chance aux filles. La pratique de promettre un travail aux jeunes filles pauvres pour les exploiter sexuellement a été dévoilée dans toute son ampleur par le scandale sexuel des VIP de 2006 dan lequel des officiels de haut rang de la police, des hauts fonctionnaires et des politiciens ont été incriminés dans l’exploitation sexuelle de jeunes filles locales qui étaient toutes éduquées, et parfois avaient même des licences et des doctorats. Toutes n’étaient pas pauvres mais toutes avaient besoin d’un emploi pour atteindre un certain niveau social ; au Cachemire il est désormais devenu difficile aux jeunes filles sans emploi de trouver un mari correct parce que le marché du mariage exige que les filles aient un emploi, et plus le salaire est élevé plus la jeune fille a des chances de faire un bon mariage ; cet état de chose pousse les filles a faire des pieds et des mains pour se procurer une bonne situation et les met à la merci des trafiquants sexuels qui dans le cas cité plus haut se trouvaient être des hommes hauts-placés.

L’exploitation des femmes du Cachemire continue sans rémission et il parait évident que les filles sont aujourd’hui envoyées se prostituer dans d’autres états et tôt ou tard le peuple du Cachemire prendra conscience de toute l’horreur de la situation.

Le dernier recensement de la population de 2011 a mis en lumière différents faits choquants concernant les femmes du Cachemire : l’un d’entre eux, le déclin du pourcentage de femmes dans la population, aura de sérieuses conséquences dans l’avenir ; des leaders ont conseillé aux hommes de devenir homosexuels mais il serait préférable de comprendre la cause de la chute du pourcentage de femmes qui est passé de 906 femmes pour 1000 hommes en 2001 à 883 en 2011. Une des raisons de cette baisse drastique est la présence de l’armée au Cachemire qui détruit la virginité des femmes en toute impunité : malgré les nombreux viols et agressions sexuelles perpétrés par les soldats, aucun coupable n’a été poursuivi et les parents ont compris qu’ils ne pouvaient pas se permettre de prendre le risque d’avoir des filles. D’autres raisons comme la dot, l’hostilité patriarcale contre les petites filles, le chômage et beaucoup d’autres choses expliquent les brutaux avortements de foetus féminins qui se perpétuent malgré les enseignements du Quoran contre ces pratiques inhumaines, sauvages, ignobles et dangereuses. Beaucoup de bébés filles sont abandonnés dans les hôpitaux, leur statut est problématique, beaucoup sont adoptés et les autres recueillis dans les orphelinats et les maisons d’accueil qui n’ont pas de cadre approprié pour eux. Les militants pour les droits sociaux et les droits des enfants ne savent pas comment résoudre ce problème.

En ce 21ième siècle, les femmes du Cachemire sont confrontées à une infinité de problèmes dans un coin du monde où les femmes ont encore beaucoup d’inhibitions et sont loin d’être maîtresses de leur destin. Les femmes du Cachemire ont adopté et assumé les nouveaux rôles que le conflit leur a imposé mais le déni perpétuel de justice, l’absence d’égalités des droits, les préjugés structurels de la société dont elles sont victimes, l’absence d’institutions pour les aider, la marginalisation de leur revendications, le refus de les écouter et de reconnaître leurs sacrifices et leur contribution les a profondément blessées, a augmenté leur fardeau, a miné leur courage, détruit leurs espoirs et étouffé leurs voix. Cependant en dépit de tous ces obstacles elles jouent un rôle significatif dans l’unité de la famille et de la société. Elles encouragent les hommes à persévérer dans la lutte contre les atrocités de l’occupation. Toutes les guerres modifient le rôle des femmes et dans la plupart des cas elles s’y adaptent, comme elles l’ont fait au Cachemire ; ces nouveaux rôles ont à la fois des aspects positifs et négatifs suivant la manière dont elles sont exposées au conflit, le niveau de leur exposition et son impact sur la vie des femmes.

Quels autres rôles les femmes devront-elles assumer au cours de ce conflit et quelles autres conséquences désastreuses aura-t-il sur elles ? Cela seul le temps nous le dira !!

Mushtaq Ul Haq Ahmad Sikander

Mushtaq Ul Haq Ahmad Sikander est une militante et un écrivain de Srinagar au Cachemire et on peut la joindre à sikandarmushtaq@gmail.com

Pour consulter l’original : http://countercurrents.org/sikander050911.htm

Traduction : Dominique Muselet

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