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Toutes les demi-heures : Ecrasés par les dettes et les réformes néolibérales, les fermiers indiens se suicident à une vitesse ahurissante (Democracy Now !)

250 000 fermiers indiens se sont suicidés dans les 16 dernières années - ce qui représente à peu près un suicide toutes les demi-heures. La crise s’est ajoutée à la libéralisation économique qui a supprimé les subventions agricoles et ouvert l’agriculture indienne au marché mondial. Les petits fermiers sont souvent pris dans un cycle de dettes insurmontables qui en amène beaucoup à mettre fin à leurs jours par pur désespoir. Nous parlons ici avec Smita Narula qui travaille pour le centre des droits de l’homme et de la justice mondiale de l’université de droit de New York et qui est le co-auteur d’un nouveau rapport sur le suicide des fermiers en Inde.

AMY GOODMAN : Nous allons parler du problème du suicide des fermiers de l’Inde ; un quart de million d’entre eux se sont suicidés dans les 16 dernières années. Ce chiffre indique qu’un fermier se suicide toutes les 30 minutes en moyenne.

Aujourd’hui le centre des droits de l’homme et de la justice mondiale de l’université de droit de New York présente un rapport intitulé : "Toutes les 30 minutes : Le suicide des fermiers, les droits de l’homme et la crise agraire en Inde."

Le secteur agricole indien est devenu plus vulnérable aux marchés mondiaux à cause de la libéralisation de l’économie. Les réformes dans le pays ont inclus la suppression des subventions agricoles et l’ouverture de l’agriculture indienne au marché mondial. Ces réformes ont augmenté les coûts tout en réduisant les rendements et les profits de beaucoup de fermiers.

En conséquence les petits fermiers sont souvent pris dans un cycle infernal de dettes qui en amène beaucoup à se suicider par pur désespoir. Le taux de suicide le plus élevé est celui des fermiers du coton. Comme les autres cultures de rapport, l’industrie du coton est de plus en plus dominée par les multinationales étrangères qui tendent à promouvoir des cultures de coton génétiquement modifiées et qui contrôlent souvent le coût, la qualité et la quantité de graines disponibles.

Smita Narula, directeur de la faculté du Centre des droits de l’homme et de la justice mondiale de l’université de droit de New York, est venue parler de ce problème à Democratie Now. Nous lui souhaitons la bienvenue.

SMITA NARULA : Bonjour.

AMY GOODMAN : Parlez-nous du rapport que vous publiez aujourd’hui même.

SMITA NARULA : Notre principale découverte est que tous les problèmes que vous venez de décrire soulèvent d’importantes questions de droits de l’homme. En Inde nous faisons face à une grave crise des droits de l’homme. Cette crise affecte les droits humains des fermiers indiens et ceux de leur famille d’une manière très profonde. Nous nous sommes rendus compte que leur droit de vivre, d’avoir de l’eau, de la nourriture et des conditions de vie décentes, et leur droit de recevoir des soins appropriés sont très affectés par cette crise. De plus bien que le gouvernement ait l’obligation légale de trouver des solutions pour répondre aux besoins élémentaires des fermiers dans ces temps de crise, nous avons constaté qu’il n’a pratiquement rien fait pour endiguer cette vague de suicides.

AMY GOODMAN : Ce chiffre est incroyable. Toutes les 30 minutes un fermier indien se suicide ?

SMITA NARULA : Et cela fait des années que ça dure. Et il y a deux choses que ces chiffres ne disent pas. La première c’est que les chiffres même ne rendent pas compte de l’énormité du problème. Nous savons que les statistiques sont incomplètes car le gouvernement indien ne reprend pas dans les chiffres des catégories entières de fermiers parce qu’ils n’ont pas de titre officiel de propriété sur la terre. Il s’agit des femmes fermières, des Dalit (intouchables NdT) ou des fermiers des castes soi-disant inférieures, ainsi que des Adivasi ou fermiers des communautés tribales. De plus non seulement les programmes gouvernementaux et les programmes d’aide n’ont pas bénéficié à ces catégories de personnes mais ils n’ont pas réussi à fournir des compensations ni l’aide nécessaire à ceux qui étaient endettés ni à remédier aux problèmes structuraux plus larges qui sont à l’origine des suicides dans le pays.

AMY GOODMAN : Parlez-nous de la mondialisation et de la manière dont elle affecte ces fermiers.

SMITA NARULA : Bien sûr. Donc en fait la cause la plus évidente des suicides est l’endettement. Ce sont les deux dernières décades de libéralisation du marché indien qui sont à l’origine de cet endettement. D’abord le gouvernement s’est profondément désinvesti du secteur agricole. Il a réduit les subventions. Il a réduit l’accès au crédit rural. L’irrigation est insuffisante et n’atteint pas la plupart des fermiers qui en auraient besoin. Et en même temps, le gouvernement a autorisé une modification des cultures de rapport dont le coton est un exemple.

En même temps le marché a été ouvert aux multinationales ce qui a fragilisé énormément les fermiers indiens. Les multinationales étrangères dominent maintenant les industries comme l’industrie du coton y compris les semences clés indispensables. Dans le cas du coton en particulier la semence génétiquement modifiée Bt a bénéficié d’une promotion si efficace en Inde qu’elle domine désormais tout le secteur, et les facteurs de coût, qualité et disponibilité ont une incidence si lourde sur les coûts, les profits et les rendements des fermiers qu’ils sont obligés de s’endetter excessivement. Beaucoup d’entre eux, ironiquement, absorbent pour se suicider les pesticides qu’ils ont acheté en s’endettant quand ils s’aperçoivent qu’ils n’arriveront pas à payer leurs dettes.

AMY GOODMAN : Ils absorbent des pesticides...

SMITA NARULA : Oui c’est bien ça. Ces statistiques sont terribles en elles-mêmes, on a du mal à imaginer un suicide toutes les demi-heures, mais ce que le rapport essaie de faire en plus c’est de mettre un visage humain derrière ces chiffres et ces tragédies. Alors voici deux récits qui vous permettront de voir les choses d’une perspective humaine. Il y a des fermiers de Vidarbha dans le Maharashtra qui est considéré comme un épicentre de la crise et un épicentre de la production du coton dans le pays. Avant de mettre fin à leurs jours, ces fermiers envoient désormais leur lettre de suicide au premier ministre et au président en espérant que leurs dernières paroles atteindront des gens qui feront enfin quelque chose.

Et puis il y a des fermières comme Nanda Bhandare qui est veuve ; elle a perdu son mari en 2008. Du coup, elle a dû sortir ses enfants de 10 et 12 ans de l’école pour travailler sur la ferme. Ils possèdent 20 acres (2,7 ha) de terre et après avoir travaillé dur sur cette terre une année entière, elle ne va probablement pas gagner plus de 250 dollars pour toute l’année. Elle a peut-être reçu une compensation du gouvernement mais cela a été englouti par les prêteurs privés à qui son mari avait dû emprunter parce qu’il n’y a pas de crédit rural dans le pays. Et maintenant elle lutte pour faire face aux besoins vitaux de sa famille.

AMY GOODMAN : Parlez-nous des semences génétiquement modifiées et des multinationales étasuniennes.

SMITA NARULA : Oui les semences génétiquement modifiées. Les graines de coton Bt sont les semences qui dominent l’industrie du coton pour le moment. Cette modification génétique introduit une toxine dans la semence qui tue une maladie très commune qui affecte le coton en Inde. Cette semence Bt qui est et a été commercialisée par Monsanto entre autres multinationales, nécessite deux choses que les petits fermiers indiens n’ont déjà pas en abondance : de l’argent et de l’eau. Les graines Bt sont deux à dix fois plus chères que les graines de coton ordinaires et elles nécessitent beaucoup plus d’eau pour donner de bons rendements. Les fermiers vont voir des prêteurs privés qui leur demandent des taux d’intérêt exorbitants pour pouvoir acheter les semences car on leur a promis que ces graines leur apporteront une plus grande sécurité financière. Mais comme 65% du coton indien n’a pas accès à l’irrigation et doit se contenter des eaux de pluie les récoltes sont mauvaises. Et comme la sécheresse augmente, de plus en plus de fermiers sont dans ce cas. Ils s’endettent terriblement pour acheter les graines et ils n’obtiennent pas les rendements espérés. Ce cycle se répète pendant deux saisons et à la fin ils sont complètement pris au piège d’un cycle infernal auquel ils ne peuvent plus échapper alors ils absorbent les pesticides qu’ils ont achetés pour mettre fin à leur jours et...

AMY GOODMAN : Que faut-il donc faire ?

SMITA NARULA : Il y a beaucoup de choses que le gouvernement peut et doit faire. D’abord il faut améliorer la connaissance du problème par des études plus précises. Le gouvernement ne se rend pas compte de l’importance du problème comme je l’ai déjà expliqué. Ensuite il faut corriger le mode d’intervention. Le programme d’aide de la dette dont le gouvernement se vante tant devant les comités de droits de l’homme touche peu de fermiers, en laisse beaucoup dehors et n’est pas suffisant. Enfin il y a les questions structurelles. Le gouvernement doit mettre les droits humains au centre de sa politique agricole et il doit réglementer les multinationales -ce qu’il ne fait pas- au lieu d’approuver l’introduction de toujours plus d’OGM dans le pays, alors que tant de vie d’agriculteurs ont déjà été détruites.

AMY GOODMAN : Smita Narula, je vous remercie d’avoir répondu à nos questions. Nous allons mettre le lien vers le Center for Human Rights and Global Justice de l’université de NY pour pouvoir consulter votre étude.

Pour consulter l’original : http://countercurrents.org/narula220511.htm

Pour consulter l’étude de Smita Narula sur chrgj.org : http://www.chrgj.org/publications/docs/every30min.pdf.

Traduction : D. Muselet pour LGS

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