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Une réponse de l’ Union Juive Francaise pour la Paix à Finkielkraut et Cie

Paris, le 7 janvier 2003

LE MONDE Le " Courrier des lecteurs "
21 bis, rue Claude-Bernard
75242 PARIS Cedex 05

Monsieur le rédacteur,

En ma qualité de président de l’Union juive française pour
la paix, j’aimerais répondre à un article qui a paru à la Une
du Monde le 30 décembre 2003, intitulé " Les juifs de
France et la France, une confiance à rétablir ". Signé par
sept intellectuels, dont le grand rabbin Gilles Bernheim et
l’écrivain Alain Finkielkraut, cet article, qui se veut conciliant
et réparateur, constitue pourtant une pièce dans une
campagne bien orchestrée : celle de la confusion entre la
communauté juive française et les intérêts israéliens.

Les
auteurs affirment qu’une des sources du malaise entre les
Juifs* français et leurs concitoyens d’autres confessions
consisterait dans le fait que ces derniers ne
comprendraient pas la situation d’Israël, et, plus
précisément, la " difficulté de faire accéder le peuple juif à 
l’existence politique ".

Il convient de rappeler que l’Etat
d’Israël, où vit à peine un tiers des Juifs du monde entier,
n’exprime pas l’existence politique du peuple juif. Il
représente tout au plus l’existence politique d’une partie du
peuple juif (ou faudrait-il dire : des " peuples juifs ", tant il
est peu avéré que les Juifs du monde entier, si différents
les uns des autres sur le plan culturel, constituent un seul
peuple uni). Quant aux Juifs de France, ils n’ont pas attendu
le sionisme pour s’affirmer politiquement. Ils ont été parmi
les premiers de leurs coreligionnaires à accéder à 
l’existence politique en 1794. L’émancipation des Juifs née
de la Révolution française a permis à nos aïeux de
l’Hexagone de bénéficier d’une citoyenneté pleine et entière.
Malgré les périodes de notre histoire nationale aussi noires
que furent l’affaire Dreyfus et le régime vichyste, la presque
totalité des Juifs de France ont choisi de rester dans leur
pays natal, pas du tout séduits par la chimère nationaliste
de fonder une nouvelle patrie juive en Palestine ou ailleurs.

Les auteurs de l’article déplorent le " rejet de l’Etat juif " . Un
dirigeant éminemment respectable du judaïsme français,
qui détient par ailleurs la double nationalité
franco-israélienne, a déjà clairement répondu à cette
angoisse : " Notre peuple est rejeté parce qu’il rejette un
autre peuple " (Théo Klein, président d’honneur du CRIF,
dans Le Monde du 24 avril 2003).

Les auteurs de l’article
récidivent en parlant du " lien vital des juifs avec Israël ", qui
serait devenu " inavouable ". Pour ma part, je passe tout de
suite aux aveux : le seul " lien vital " que j’ai avec Israël est
de dénoncer les crimes de guerre qu’il ose commettre au
nom du peuple juif, et dont je suis obligé de me dissocier,
car je ne peux cautionner des exactions que cet Etat inflige
au peuple palestinien dans les Territoires occupés.

Le
rabbin Benheim et ses cosignataires se plaignent que la
critique de la politique israélienne tourne à la " réprobation
de l’existence même de l’Etat juif ". Une politique tant soit
plus humaine, sans occupation, ni check-points, ni
barbelés, ni murs, amoindrirait peut-être autant de critiques.

Mais si l’ " Etat juif " est objet de réprobation, c’est peut-être
parce que l’évolution du monde moderne accepte de moins
en moins l’idée d’un Etat ethnique. Depuis les années 1990
et la guerre des Balkans, les Européens acceptent mal la
construction d’un Etat serbe pour les Serbes, un Etat croate
pour les Croates, etc., avec pour corollaire une purification
ethnique. Lorsque l’ONU a voté son plan de partage pour la
Palestine il y a plus d’un demi-siècle, il était en effet
question de deux Etats : un Etat juif et un Etat arabe. Bien
que ce dernier n’ait jamais vu le jour, le premier était
construit sur la base de massacres des populations civiles
(comme à Deir Yassine), provoquant la fuite de quelque
800 000 Arabes à l’extérieur de la zone vouée à devenir le
nouvel Etat juif. La réprobation tant redoutée vient peut-être
de la dépossession du peuple palestinien et la "
continuation de la guerre de 1948 " - comme l’a déclaré
Ariel Sharon lui-même pour expliquer la politique qu’il mène
en Cisjordanie et à Gaza -, ainsi que du sort fait aux Arabes
israéliens (un citoyen sur cinq), qui ne jouissent toujours
pas des mêmes droits que leurs concitoyens juifs.

Le
temps des Etats ethniques est révolu, et l’horreur de la
purification ethnique telle qu’elle a été pratiquée dans les
Balkans n’est pas moins horrible lorsqu’elle est mise en
ouvre au Proche-Orient. L’Etat d’Israël : oui ; l’Etat juif : non.

Autrement dit, Israël cessera sans doute d’être un objet de
la réprobation générale lorsqu’il acceptera de devenir un
Etat de droit pour tous ses citoyens : les Juifs comme les
Arabes, avec les mêmes droits et devoirs pour chacun.

Si la
laïcité est bonne pour la France, elle est bonne pour le
Proche-Orient aussi. Même si la laïcité à la française n’est
pas forcément un concept universel, le respect de l’Autre
l’est bel et bien.

L’association que je représente, ainsi que
d’autres forces démocratiques engagées en faveur d’une
paix juste au Proche-Orient, n’appliquons pas de critères
plus exigeants pour Israël que pour d’autres pays. Certes,
très rares sont les pays laïques dans le monde arabe -
ainsi que d’ailleurs en Europe. Si le Liban, par exemple,
n’est pas laïque, les Pays-Bas ne le sont pas non plus.
Mais l’ensemble des communautés ont leur place dans le
jeu politique libanais tout comme dans le jeu politique
néerlandais. A l’heure où l’on parle, ni le Liban ni la
Hollande n’occupe un autre territoire que le leur ni ne mène
de guerre coloniale à ses dépens. Là est la différence : si
Israël cherche à (ré)intégrer le monde civilisé, il lui
appartient d’évacuer les Territoires palestiniens occupés,
d’accorder des droits égaux à tous ses citoyens et d’arrêter
de se prétendre au-dessus du droit international sous
prétexte d’ " impératifs de sécurité ". Car s’il y a un pays au
monde aujourd’hui où des Juifs subissent l’insécurité au
quotidien, c’est bien Israël. Une belle réussite pour le
sionisme !

Le rabbin Bernheim et ses cosignataires
prétendent dans leur article que la fondation de l’Etat
d’Israël a constitué un " gage que la victoire sur le nazisme
ouvrait des temps nouveaux ", préludant en particulier à " un
monde où les génocides seraient impossibles ". Force est
de constater qu’il n’en est rien. Les Cambodgiens, les
Bosniaques, les Ruandais et bien d’autres peuples en font
manifestement la preuve. Le spectre du génocide n’a pas
été dissipé par la simple création d’un Etat, tout issu d’un
génocide fût-il. Le fait que cet Etat mène une guerre
coloniale et pratique une forme d’apartheid tout en jouissant
d’une impunité assurée par la protection américaine est
une pilule amère à avaler pour les promoteurs de l’" idéal
sioniste ".

L’Etat d’Israël a donc terriblement déçu ceux qui,
bercés par l’espoir, ont soutenu sa création. Hélas, les
génocides ne deviendront impossibles que dans un monde
plus juste, où tous les Etats connaîtront une répartition
égalitaire des richesses et où règnera le respect universel
du droit international. Quant aux Juifs français, ils
continueront à vivre et à s’épanouir ici, dans notre
République, comme citoyens à part entière.

La lutte contre
l’antisémitisme et contre toute autre forme de racisme
(autre sujet abordé par les auteurs de l’article) en dépend
aussi. Et, lorsque des figures médiatiques de la
communauté juive française comme M. Finkielkraut et ses
cosignataires arrêteront de répandre le mythe du " lien vital "
existant entre notre communauté et l’Etat d’Israël, l’apport
juif à la lutte contre le racisme dans l’Hexagone sera
revalorisé. C’est une condition sine qua non pour que soit
réalisé le nécessaire travail de réflexion que les auteurs de
l’article appellent de leurs voux, " sur la définition de la
France et du judaïsme français comme communautés
historiques dignes d’être continuées ".

Richard WAGMAN Président, UJFP

* M. le rédacteur : La règle orthographique qui a prévalu
dans l’article paru dans Le Monde est peut-être celle des
sept co-auteurs, mais lorsqu’ils écrivent le mot " juifs " avec
un " j " minuscule, ils ne désignent que les personnes qui
professent le judaïsme comme religion. Lorsque j’écris ce
même mot avec un " J " majuscule, comme le veut l’usage,
c’est pour désigner tous ceux qui appartiennent au peuple
juif ou à la communauté juive, laïques et non croyants
compris.

Source : www.paixjusteauproche-orient


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Laurent Mauduit. Les Imposteurs de l’économie.
Bernard GENSANE
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