Le 5 janvier 2011, le M’PEP a publié un article intitulé « Les sondages que l’on nous cache
sur l’euro (1) ». Selon lui, les classes dirigeantes qui disposent de sondages dont la plupart se font « en secret », seraient « affolées par la montée du mécontentement populaire », et ceci avec raison car « les quelques sondages qui parviennent à filtrer montrent une montée générale, dans toute l’Europe, de la volonté de sortir de l’euro ».
Il y a un débat politique légitime sur la question de la sortie de l’euro, et on sait que le M’PEP défend cette option. L’objet de ce texte n’est pas de discuter du fond mais de la méthode employée. Le problème en effet avec cet article est qu’il est un condensé d’approximations, d’utilisation tendancieuse des sondages et d’amalgame, enrôlés au service du discours prônant la sortie de l’euro. Le M’PEP semble nous livrer les résultats de l’instruction d’un dossier sur les sondages cachés. Il fournit sous un titre « voilà l’inventaire qu’a pu réaliser le M’PEP » une liste de 9 sondages censés appuyer son affirmation d’une montée générale de l’opinion en faveur de la sortie de l’euro. En réalité, il s’agit de sondages publiés dans les média et disponibles sur internet (2). On a du mal à en voir le caractère secret, par contre on voit très bien les contradictions entre ce qu’ils disent et ce que le M’PEP leur fait dire.
L’enrôlement inopportun des sondages
Y a t-il, comme l’affirme le M’pep, une montée générale dans toute l’Europe de la volonté de sortir de l’euro, établie par les sondages qu’il cite à l’appui ? La réponse est non. Ni générale, ni en France, ni contrairement à ce qui est également affirmé, chez les jeunes, et c’est même le contraire (voir les éléments paragraphe suivant). Le pompon de l’utilisation « détournée » de ces sondages concerne les résultats pour l’Allemagne donnés par un sondage publié fin novembre par une chaîne de télévision allemande (ARD TV Deutschland). Le M’PEP en extrait une seule donnée : « environ 60% des Allemands pensent qu’ils ont été perdants en adoptant l’euro et auraient préféré garder le deutschemark », donnée qui mesure le regret d’être passé à l’euro. Mais il se garde bien de donner le résultat concernant l’opinion allemande sur la sortie de l’euro, ce qui est pourtant le sujet traité, à savoir que 88% des Allemands estiment que le maintien de l’euro est dans l’intérêt de l’Allemagne3 ! Les Allemands pensent à près de 60% qu’ils ont perdu en passant à l’euro, mais à 88%, ils jugent aujourd’hui que c’est leur intérêt de le conserver. Sélectionner parmi les résultats d’un même sondage ceux qui peuvent apparaître, de manière approximative, servir une thèse et occulter ceux qui la démentent précisément n’est pas le signe d’une grande honnêteté politique.
Déformations des résultats des sondages
Bien que le fait de savoir s’il y a, ou non, une montée des opinions favorables à la sortie de l’euro ne soit pas un élément déterminant pour établir la légitimité d’une position sur cette question, on ne peut pas admettre l’utilisation fallacieuse des sondages dans le débat politique.
Y a t-il une « montée générale, dans toute l’Europe, de la volonté de sortir de l’euro » ?
L’article ne référence aucun sondage fournissant des résultats au niveau global de l’Union
européenne, ni dans un groupe conséquent de pays, qui seul permettrait de l’établir4.
Y a t-il une montée en France de la volonté de sortir de l’euro ?
Le M’PEP cite seulement deux sondages pour donner la part de Français souhaitant sortir de l’euro : l’un réalisé en mai 2010 par l’institut LH2 pour NouvelObs.com, qui évalue à 29% cette proportion, l’autre réalisé en novembre 2010 par l’IFOP pour la Lettre de l’Opinion, qui évalue cette proportion à 35%. La juxtaposition des deux résultats est donc censée montrer une montée de l’opinion favorable à la sortie de l’euro, qui passerait de 29 % en mai selon un institut, à 35 % en décembre selon un autre institut.
Mais c’est une manipulation de chiffres. Chacun sait que les sondages ne sont pas une science exacte et qu’ils donnent des résultats différents selon l’institut qui le pratique.
Ainsi l’évolution d’une opinion se mesure par l’évolution des résultats du sondage fait par le même institut avec la même méthodologie. Il se trouve que l’IFOP dans sa publication du sondage de novembre 2010 (opinion favorable à la sortie de l’euro évaluée à 35%) rappelle5, comme cela se fait en général, le résultat établi dans son précédent sondage de mai 2010 : ce pourcentage était alors de 38%. Ce sondage de mai 2010 n’est pas cité par le M’PEP, qui n’a pourtant pas pu le manquer. L’IFOP établit donc une baisse de 38% à 35% de l’opinion favorable à la sortie de l’euro, contrairement à ce qu’affirme le M’PEP.
Un élément récent confirme d’ailleurs cette baisse. Selon un nouveau sondage du même IFOP pour France Soir, publié le 7 janvier 2011, la part des Français qui souhaitent abandonner l’euro est descendue à 28%.
Une montée de la volonté de sortir de l’euro est-elle alors constatée au moins dans un
pays ? Le seul sondage référencé par l’article qui témoigne d’une montée « de quelque chose » concerne la Suède : la proportion de Suédois opposés à l’euro est passée de 44% en mai 2009 à 61% en juin 2010. Ce qui est ironique, c’est qu’il est difficile de dire que la Suède valide l’existence d’une montée de la volonté de sortir de l’euro… puisqu’elle n’est pas dans la zone euro.
Les jeunes rejettent-ils de plus en plus massivement l’euro, comme l’affirme l’article ?
Non, et c’est tout le contraire. Le pourcentage de jeunes favorables à la sortie de l’euro baisse significativement : selon le sondage de l’IFOP (référencé par l’article), ce pourcentage pour la tranche des 18-24 ans est de 25% en novembre 2010, et il était de 36% en mai 2010. Soit une baisse de 11 points en six mois. Baisse qui se poursuit puisque le nouveau sondage de l’IFOP publié le 7 janvier 2011 l’évalue à 22%.
Ajoutons que, contrairement encore à ce qu’affirme l’article, ce ne sont pas les jeunes les plus nombreux à vouloir se libérer de l’euro, mais à l’opposé, c’est leur tranche d’âge, celle des 18-24 ans, qui est la moins favorable à l’idée d’en sortir, avec 25% en novembre 2010, contre un maximum d’opinion favorable qui se situe à 45% dans la tranche des 39-45 ans.
La part des ouvriers et employés ? … également en baisse
Parmi les catégories socioprofessionnelles, ce sont les ouvriers et employés les plus
favorables à sortir de l’euro, comme l’écrit le M’PEP. Mais là encore, il néglige de noter que
cette opinion est en baisse selon l’IFOP (institut qu’il cite). La part des soutiens à la sortie de l’euro chez les employés descend, de mai à novembre 2010 puis à janvier 2011, de 58% à 50% puis à 40% ; et chez les ouvriers, de 59% à 52% puis à 49%.
Enfin jamais, à lire le M’PEP, nous n’apprenons pas que c’est parmi l’électorat du Front
national que se trouve systématiquement le soutien le plus massif à la sortie de l’euro, que les sondages donnent entre 70 et 75 %.
Pour finir, outre les critiques présentées ci-dessus sur la méthode employée, ajoutons
simplement une remarque sur le fond. Le M’PEP note que ce sont les classes populaires,
ouvriers et employés, les plus favorables à la sortie de l’euro (ce qui est exact), et les jeunes (ce qui est faux). Il rappelle que les classes populaires sont les premières victimes des « politiques de l’Union européenne » (UE). Mais il est surprenant pour un parti se réclamant à la fois de la « vraie gauche » et de l’éducation populaire de ne mentionner nulle part dans l’article que les politiques néfastes aux classes populaires qui sont menées dans l’UE comme dans les différents pays, sont celles de gouvernements nationaux au service de la logique du capital. Lors du lancement du Front lorrain de gauche le 17 décembre 2010, J. Nikonoff, porte-parole du M’PEP, a terminé son discours basé sur la question de l’euro en appelant à « aider la population à s’y retrouver en lui donnant les bonnes informations et les bonnes explications » ! Chiche.
Christiane Marty
Membre du Conseil scientifique d’Attac
8 janvier 2011