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Sans-papiers mal soignés : des médecins portent plainte contre J. F. Mattéi, ministre de la santé.

Après le Dr Jean Doubovetzky et le Centre médical pour les exilés (COMEDE) dans le Tarn, c’est au tour du Dr Georges Yoram FEDERMANN de Strasbourg de saisir le Conseil de l’Ordre des Médecins. Sa plainte contre J.F. Mattéi -lui-même médecin- est motivée par la violation de plusieurs articles du Code de déontologie médicale.

Nous reproduisons ci-dessous le texte de la saisine qu’il a déposée auprès du Conseil de l’ Ordre des Médecins du Bas-Rhin :

Strasbourg, le 16 décembre 2003.

Monsieur le Docteur Jean-Patrick LACHMANN,
Président du Conseil départemental de l’Ordre des Médecins du Bas-Rhin,

Copies pour information à  :

Monsieur Michel DUCLOUX, Président du Conseil National de l’Ordre des Médecins.

Monsieur le Professeur Jean François MATTEI.

« La médecine sous le nazisme ne se distingue de la médecine d’avant et
d’après elle que sur un point :les chercheurs pouvaient faire tout ce
qu’ils voulaient ».
Ernst KLEE-La médecine nazie et ses victimes, Solin,
Actes Sud,1999,Avant-Propos.

Monsieur le Président et cher confrère,

Permettez-moi de vous signaler les manquements graves aux devoirs
déontologiques dans l’exercice de ses fonctions dont s’est rendu
responsable Mr le professeur Jean-François Mattéi, actuel Ministre de la
Santé.

J’avais dès le 27 août 2002 tenté de mettre en garde Mme Dominique Versini
contre les effets de la précarité et de l’injustice que subissaient « les
sans papiers » et les demandeurs d’asile déboutés qui étaient trop
souvent victimes d’un exercice de la médecine « discriminatoire par
défaut » (je m’en explique dans plusieurs publications).

Permettez-moi aussi de vous renvoyer au contenu de la lettre que
j’adressais le 11 août 2003 à Mr le Professeur B . Glorion et dont je
reprends les extraits les plus significatifs qui restent d’une terrible
actualité au sujet de la profondeur de certaines détresses morales chez
nos patients marginalisés.
« Il faut savoir que les lenteurs administratives et le caractère
aléatoire de l’application des circulaires font qu’un dossier médical
peut rester en souffrance , à Strasbourg, sur le bureau des rédacteurs du
Service des Etrangers de la Préfecture…au delà de 4 mois.
S’est-on posé la question de savoir comment un traumatisé peut vivre cette
attente de 4 mois à guetter chaque jour le passage du facteur quand il a
une adresse fixe ?
Ne pourrait-on pas encourager les préfectures à accélérer le traitement de
ces dossiers médicaux pour rester en cohérence avec l’esprit de la loi et
faciliter notre travail de médecin ?
Car c’est bien nous qui souffrons avec nos patients traumatisés durant ces
périodes d’attente interminables .
Qui sera attentif à notre souffrance de médecin traitant ?

Que les choses soient clairement dites : les choix politiques en terme
d’immigration sont de plus en plus restrictifs.
Nous craignons qu’à ce rythme, et suivant cette logique chaque étranger en
situation irrégulière, malade chronique ou non, soit reconduit dans son
pays d’origine.

Mais tant que la Loi et c’est à l’honneur de la France, permet de soigner
et de protéger la vie de chaque individu, il faut que les médecins
restent les seuls à poser le diagnostic médical.

C’est aussi dans ce contexte dramatique que nous suivons avec
circonspection et inquiétude les tentatives d’atteinte à la couverture
médicale des étrangers en situation irrégulière depuis l’hiver 2002.
Tout d’abord, il a été question de faire payer le ticket modérateur à ces
populations …qui n’ont pas le droit au travail. On a du mal à comprendre
la cohérence d’une telle mesure en terme de santé publique.
Ensuite, on a encouragé les travailleurs sociaux en charge du montage des
dossiers d’AME à se montrer particulièrement suspicieux à l’encontre des
usagers.

Nous, médecins de terrain, ne comprenons pas la politique mise en oeuvre
qui conduit à cet acharnement coupable à l’encontre des populations les
plus fragiles et qui se traduit, à terme, par une mise en danger de la
santé publique (recrudescence de la tuberculose et du sida, notamment). »

Monsieur le Président Lachmann et cher confrère, force est de reconnaître
que malgré la vigilance et la mobilisation constante de quelques
associations de terrain et de quelques praticiens, le pouvoir, qui
décidément affirme sa doctrine, remet en cause l’accès aux soins d’une
population emblématiquement marginalisée pour la troisième fois en un an.

En effet, vous n’êtes pas sans savoir que le projet de loi de finances
rectificatif pour 2003 est en cours d’examen. Ce projet comporte plusieurs
dispositions qui dépècent littéralement le système de santé des « sans
papiers » et nient véritablement l’accès aux soins de cette population :
l’aide médicale d’Etat (A.M.E.).

Pour rappel, l’article 49 portant réforme de l’A.M.E. contient trois
mesures :

-  la suppression du dispositif de l’"admission immédiate" à l’A.M.E., qui
équivaut à écarter des soins tous ceux qui seront rejetés par les
nouvelles conditions draconiennes d’accès à l’A.M.E. et/ou à retarder les
soins et ainsi à aggraver les pathologies tout en alourdissant leur coût
in fine ;
-  l’exigence d’une présence ininterrompue en France de 3 mois
avant de pouvoir demander l’A.M.E. ;
-  la limitation des soins médicaux pris en charge en urgence aux seules
situations qui mettent en jeu le pronostic vital immédiat, et ce
uniquement à l’hôpital.

Ces textes, s’ils étaient adoptés, mettraient les médecins en exercice
dans l’impossibilité de remplir leurs devoirs déontologiques. En
particulier, le fait d’être contraint de refuser des soins à des patients
qui en auraient besoin, alors qu’au surplus, il s’agit de personnes
particulièrement fragiles et démunies, du fait de la précarité de leur
situation sociale et financière, est incompatible avec de nombreux
articles du Code de déontologie médicale, et tout particulièrement avec :

-  l’article 2, qui stipule : « Le médecin, au service de l’individu et de
la santé publique, exerce sa mission dans le respect de la vie humaine,
de la personne et de sa dignité. »
-  l’article 7, qui stipule : « Le médecin doit écouter, examiner,
conseiller ou soigner avec la même conscience toutes les personnes quels
que soient leur origine, leurs moeurs et leur situation de famille, leur
appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une
religion déterminée, leur handicap ou leur état de santé, leur réputation
ou les sentiments qu’il peut éprouver à leur égard. Il doit leur apporter
son concours en toutes circonstances. »
-  l’article 47, qui énonce : « Quelles que soient les circonstances, la
continuité des soins aux malades doit être assurée. ».

On peut estimer, naturellement, que les médecins demeureront libres de
donner des soins gratuits, en application de leurs devoirs déontologiques.
Mais de nos jours, à quoi servent des consultations médicales, même
gratuites, à des patients dans l’incapacité d’avoir accès à des examens
complémentaires, et à des traitements médicaux ou chirurgicaux ?
L’obligation de soins aux indigents, pilier de la déontologie et du
serment d’Hippocrate, est ainsi vidée de toute substance.

De plus, au plan de mon éthique professionnelle de soignant, j’estime que
ces mesures instaurent une régression au regard de l’universalité de la
C.M.U. et des principes de l’A.M.E..
Chacun sait bien d’ailleurs qu’en ce qui concerne le cadre des pratiques
de soins, la justice ne se limite pas au droit.

Les Commentaires du Code de Déontologie médicale disent avec une grande
force et une grande clarté : « La société lui a confié [au médecin] un
rôle privilégié : donner des soins aux malades, mais aussi, être le
défenseur de leurs droits (…) Il doit être un acteur vigilant et engagé
dans la politique de santé publique, qu’il s’agisse de la prévention, de
l’épidémiologie ou de l’éducation de la santé. »
Et encore : « L’individu passe, en France, avant la collectivité.
Cette primauté de l’être humain par rapport à la société est réaffirmée
dans la convention sur les droits de l’homme et la bio-médecine en ces
termes : " l’intérêt et le bien de l’être humain doivent prévaloir sur le
seul intérêt de la société ou de la science " (art. 2).
La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 pose en principe
que "tous les êtres humains naissent et demeurent libres et égaux en
dignité et en droits".
Parmi ces droits irrécusables se situe le droit aux soins. La loi interdit
toute discrimination dans l’accès aux soins. »

En tant que médecin, il était du devoir du Dr Jean François Mattéi de
défendre avec énergie et sans ambiguïté ces dispositions déontologiques,
de faire obstacle avec force et obstination à ces projets de loi néfastes
pour la santé publique (je n’insisterais pas sur les risques aggravés de
développement de la tuberculose et de l’infection à HIV - notamment - qui
en découlent ainsi que sur les risques de chronicité des pathologies
psychiatriques avec leur cortège de conséquences morbides sur les proches
des malades) et attentatoires au droit aux soins des personnes en
situation précaire, dont il devait être doublement le garant, de par ses
charges politiques et professionnelles.

En gardant le silence ; en refusant d’intervenir, notamment dans la presse
et à l’Assemblée, malgré les demandes pressantes et répétées de
nombreuses associations, dont des associations de défense des
sans-papiers et des associations de malades, le Dr Jean François Mattéi a
failli à son obligation d’être « au service de l’individu et de la santé
publique » et d’« exerce[r] [sa] mission dans le respect de la vie
humaine, de la personne et de sa dignité » (article 2).

Cette faute ne concerne pas le soin à un patient individuel. Elle est
beaucoup plus lourde : elle concerne l’accès aux soins de plusieurs
dizaines de milliers de patients, et la sauvegarde de la morale
déontologique de l’ensemble du corps médical français.
En outre, il s’agit là d’une récidive, le Dr Jean François Mattéi étant
resté spécialement silencieux lors de l’examen de la loi de finances
rectificative pour 2002, adopté l’année dernière, et dont l’article 57
introduisait un ticket modérateur à la charge des bénéficiaires dont on
sait pertinemment que, de par leur situation sociale et financière, ils
sont le plus souvent dans l’incapacité absolue d’y faire face.

Monsieur le professeur Mattéi contrevient en outre au Serment de Genève (Engagements de l’Association Médicale Mondiale de septembre 1948, amendés
en 1968, 1983 et 1994) qui stipule :
« Je prends l’engagement solennel de consacrer ma vie au service de
l’humanité (…)
Je considérerai la santé de mon patient comme mon premier souci. (…) Je ne
permettrai pas que des considérations d’affiliation politique, d’âge, de
croyance, de maladie ou d’infirmité, de nationalité, d’origine ethnique,
de race, de sexe, de statut social ou de tendance sexuelle viennent
s’interposer entre mon devoir et mon patient »

Monsieur le professeur Mattéi contrevient aussi au contenu de la Charte de
l’action humanitaire (Cracovie-31 mars 1990) qui stipule :
« Considérant désormais l’action humanitaire comme part intégrante de la
vie politique en démocratie,
considérant que l’action humanitaire doit s’exercer au bénéfice de son
prochain comme de son lointain, chez soi et chez les autres,
Je refuse toutes les formes de discrimination entre les individus, les
groupes ethniques ou religieux, je refuse de laisser monter les
intolérances, les racismes, l’antisémitisme, je m’engage à les dénoncer et
à faire obstacle.
Je refuse les exclusions nées de la pauvreté, de la précarité et des
pathologies (…)
Je m’engage à apporter une assistance à toutes les victimes des
catastrophes naturelles, écologiques ou politiques, dans mon pays et
au-delà des frontières.
Je m’engage à tout mettre en oeuvre pour que soit appliqué le droit des
organisations non-gouvernementales de secours, agissant de manière
impartiale, à porter cette assistance humanitaire aux victimes , sans
discrimination et en toutes circonstances (…)
J’affirme que le principe de non-ingérence s’arrête à l’endroit précis où
naît le risque de non-assistance.
Que l’on cache l’horreur…je m’engage à témoigner.
Que renaisse la barbarie…je m’engage à la combattre. »

En tant que médecin, en passe de me trouver dans l’incapacité de donner
des soins utiles à des patients en grande précarité, mon exercice est
directement touché par le soutien tacite du Docteur Jean-François Mattéi à 
ce projet de loi.
Estimant qu’il avait gravement contrevenu à ses devoirs déontologiques, il
me semblait nécessaire de m’en remettre à votre autorité pour nous aider
à arbitrer.

Dans l’attente de l’instruction de cette plainte, je vous prie d’agréer,
Monsieur le Président, l’expression de mes salutations confraternelles,
civiques et vigilantes.

Docteur Georges Yoram FEDERMANN

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