Que le Réseau Voltaire me présente comme un « militant sioniste » chargé de « faire aimer les Israéliens par le lectorat réputé pro-palestinien » du Monde diplomatique est, à vrai dire, plus grotesque que diffamatoire. Si le ridicule tuait, Thierry Meyssan serait mort - et j’ajoute : depuis longtemps. Sauf que le responsable de l’articulet me visant a cru utile d’ajouter le nom de mon père (Sephiha) au mien (Vidal) et de publier une photographie où je figure à ses côtés lors de la légation de sa bibliothèque au « Mémorial de l’Holocauste ».
Cette ligne jaune, sournoisement mais nettement franchie, mérite quelques commentaires :
1) Oui, mon père - comme presque toute ma famille paternelle - a été déporté, en l’occurrence à Auschwitz. Quelques années après son retour, il a choisi de consacrer sa vie à la renaissance de la langue et de la culture judéo-espagnoles. A 85 ans, c’est tout naturellement qu’il a voulu, via le Mémorial de l’Holocauste, rendre sa bibliothèque linguistique unique plus accessible aux chercheurs et aux étudiants du monde entier, et je l’y ai évidemment accompagné ;
2) C’est pour une bonne part cette histoire familiale qui - avec l’engagement de ma mère dans les réseaux de « porteurs de valise », pendant la guerre d’Algérie - m’a conduit, à 17 ans, en pleine guerre de 1967, à m’engager dans le soutien aux droits nationaux du peuple palestinien, convaincu que j’étais que leur réalisation conditionnait l’instauration d’une paix durable pour tous les peuples du Proche-Orient, Israéliens compris - je rappelle aux plus jeunes qu’à l’époque, on ne parlait que d’un « problème de réfugiés ». A cet engagement, comme on sait, j’ai consacré, depuis, l’essentiel de ma vie de journaliste, d’écrivain et de militant. Pour quatre raisons :
– parce qu’il faut tirer une fois pour toutes les leçons universelles du génocide des juifs, paradigme de tous les génocides de l’Histoire - et, au XXe siècle, des Herreros aux Rwandais, en passant par les Arméniens et les Khmers, et d’autres encore. Car l’Humanité n’a pas été vaccinée contre l’horreur, quand bien même nos aînés ont juré : « Plus jamais ça ! » ;
– parce que la terrible injustice commise en Occident à l’égard des juifs ne saurait entraîner ou légitimer une autre injustice : la dépossession de la terre et de la souveraineté d’un peuple qui n’a eu aucune responsabilité dans le génocide. La Nakba n’est bien sûr pas la Shoah, mais sa reconnaissance et sa réparation constituent une des principales clés d’un avenir pacifique ;
– parce que la colonisation, la répression, l’humiliation des Palestiniens entachent le judaïsme, surtout lorsqu’elles sont perpétrées au nom des survivants du génocide. Vieux débat, en vérité : entre Spinoza et ses excommunicateurs, entre Martin Buber et Vladimir Jabotinsky, entre la MOI et l’UGIF ([i]), entre Taayouch et Nétanayahou-Barak-Lieberman, il est temps, plus que temps que les juifs eux-mêmes choisissent ;
– parce que seul un règlement juste et durable entre Israéliens et Palestiniens, fondé sur le droit, permettra aux uns et aux autres, ainsi qu’à toute la région, de vivre enfin en paix et, je l’espère jusqu’à y croire, en harmonie.
3) Ce que d’aucuns ne comprennent pas - plus exactement : qu’ils comprennent, mais redoutent -, c’est que la défense des leçons universelles que l’on peut et que l’on doit tirer de la Shoah et celle des droits des Palestiniens non seulement ne sont pas contradictoires, mais s’inscrivent dans un seul et même combat. On peut l’appeler combat pour la liberté, pour les droits humains, pour la fraternité, pour l’humanité ou même pour la civilisation. D’ailleurs, hier, dans la nuit et le brouillard, « ils s’appelaient Jean-Pierre, Natacha ou Samuel »…
4) Ceux qui affirment servir la cause palestinienne en la transformant en bataille ethnico-religieuse et en s’en prenant aux juifs, a fortiori en niant leur génocide, servent en fait - grossièrement, mais clairement - la stratégie anti-palestinienne de Netanyahou et consorts. La force de la bataille des Palestiniens pour leurs droits imprescriptibles, c’est justement qu’elle n’est pas religieuse et encore moins raciale, mais politique : il s’agit d’imposer le droit international, qui doit s’appliquer à eux comme à tous les peuples, israélien compris.
L’antisémitisme, comme l’islamophobie et toute autre forme de racisme, ne profitent pas à la Palestine, ils l’assassinent. Faut-il encore l’écrire aujourd’hui ? Je n’aurais pas imaginé, il y a peu, que ce soit encore nécessaire. Hélas, c’est même indispensable. Comme le soulignaient les intellectuels palestiniens et arabes qui protestaient, en 2002, contre les violences antisémites en France, « nos partenaires et nos partisans les plus précieux sont les Israéliens et les juifs qui oeuvrent, au côté des Palestiniens, contre l’occupation, la répression, la colonisation et pour la coexistence de deux États souverains palestinien et israélien. Un grand nombre d’entre eux ont une histoire familiale tragique, marquée par l’Holocauste. A nous (...) de les rejoindre sur cette ligne de crête qui consiste à savoir quitter la tribu quand il s’agit de défendre les droits et les libertés universels ».
Dominique Vidal.
PS : Je ne reviens pas sur le texte de Pierre-Yves Salingue, espérant seulement que ce dernier aura l’honnêteté de dénoncer son instrumentalisation par le Réseau Voltaire…
[i] C’est dans les groupes de la Main d’oeuvre immigrée (MOI), constituée par le Parti communiste français, que se recrutèrent les premiers groupes de résistance armée, composés notamment de juifs, d’Arméniens, d’Italiens et d’Espagnols. Pendant, ce temps, l’Union générale des israélites de France (UGIF), créée par Vichy…
EN COMPLEMENT :
Droit de réponse à Pierre-Yves Salingue
http://www.legrandsoir.info/Droit-de-reponse-a-Pierre-Yves-Salingue.html