En forme d’introduction il est tout d’abord nécessaire de se pencher sur le caractère hybride du titre même de ce texte qui est communément appelé Constitution Européenne.
En effet, se trouvent jointes deux notions qui n’ont pas en général vocation à se rejoindre et dont la rencontre éventuelle serait plus le fruit du hasard que d’exigences organiques à chacune de ces deux entités.
Un traité est un accord signé entre représentants du pouvoir exécutif deux/ou plusieurs pays. Il peut ultérieurement faire l’objet d’une adoption par le pouvoir législatif et de là être intégré à l’ordre légal de tel ou tel pays concerné.
Une constitution est un texte élaboré afin de former un état, par la création de ses différents corps et organes directifs. Son élaboration est issue d’un processus démocratique : en effet, lorsque la situation politique d’un pays donné exige l’élaboration d’une constitution, il est tout d’abord procédé à l’élection au suffrage direct ou indirect d’une assemblée constituante. C’est cette dernière qui est alors chargée d’élaborer les nouvelles règles de fonctionnement d’un état, d’où le terme de constitution, c’est-à -dire de textes constituant une structure de gouvernement.
La « constitution » qui sera soumise dans quelques semaines à referendum n’a pas été élaborée par une assemblée constituante mais par une centaine d’administratifs réduit à un petit groupe et dirigé par Valéry Giscard d’Estaing.
Soumettre à referendum ce qui est en droit, un règlement et non une constitution, s’avère un moyen pour tenter de purger le vice dont est affecté ce texte, à savoir son absence d’élaboration démocratique. Afin d’aborder l’analyse du projet soumis, il n’est pas inutile de garder en mémoire une citation de Pierre Bourdieu, sociologue, qui déclare : « l’Europe ne dit pas ce qu’elle fait, elle ne fait pas ce qu’elle dit, elle dit ce qu’elle ne fait pas, elle fait ce qu’elle ne dit pas. L’Europe que l’on construit est une Europe en trompe l’oeil ».
Par ailleurs, les citoyens européens appelés à voter par referendum, auront à se prononcer, non seulement sur un texte fort long et difficile à appréhender dans toutes ses implications politiques, sociales, économiques et culturelles mais également, sur 36 protocoles, 2 annexes et 50 déclarations qui sont pratiquement méconnus.
* * *
La constitution se compose de 448 articles répartis en 4 parties dont la 1ère est dépourvue de titres mais qui pourrait s’intituler : Organes et objectifs de l’Union.
La partie II représente « la Charte des droits fondamentaux de l’Union ».
La partie III - « Les politiques et le fonctionnement de l’Union »
La partie IV - « Dispositions générales et finales »
La partie I et II sont en fait l’habillage de la partie III qui rassemble à elle seule 321 articles sur 448 et qui constitue le coeur du traité constitutionnel. Elle définit de manière extrêmement détaillée le fonctionnement économique et financier de l’Union Européenne. Le principe fondamental qui dirige non seulement la partie III mais également les parties I et II et qui apparaît, dès les premières lignes du texte, sous l’article I - 3, de la première partie, sous le titre, « Les objectifs de l’Union »
alinéa 2
« l’Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures et un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée ».
alinéa 3
L’Union oeuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marchés hautement compétitive.... ».
Ce qui signifie que parmi les objectifs de l’Union, et au même niveau de valeur que la paix et la justice, se trouve placé le principe de « la concurrence libre et non faussée ».
Ce principe est doté d’une telle force par les rédacteurs du traité constitutionnel qu’il doit même être préservé « en cas de troubles intérieurs graves affectant l’ordre public, en cas de guerre ou de tensions internationales graves constituant une menace de guerre... » (Article III - 131). Il prime les impératifs de la paix et les nécessités de la Défense Nationale.
Or si effectivement la paix, la liberté et la justice sont considérées comme des valeurs, il n’en est certes pas de même de la concurrence qui est un mode de fonctionnement économique. En conséquence, est clairement posé, l’objectif du traité constitutionnel qui est de définir et de mettre en place et/ou renforcer un système économique en l’espèce dit libéral, au sein duquel le marché s’autorégule.
En effet, il est « libre », c’est-à -dire qu’aucune puissance étatique n’y impose de limites, par exemple par la mise en place de systèmes de protection d’une catégorie de personnes ou de secteurs de marchandises ou de production. Il est non faussé, c’est-à -dire sans octroi d’aucune aide étatique sous quelque forme que se soit.
Il a été souvent déclaré que ce système économique libéral n’avait pas attendu le traité constitutionnel pour être mis en exercice mais qu’il s’était élaboré au fil des traités antérieurs et principalement celui de Maastricht. Mais il n’en demeure pas moins qu’aucun texte n’est allé aussi loin et aussi précisément dans la libéralisation de l’économique de marché.
De plus, l’octroi du titre de constitution lui confère une solennité et une permanence jusque là jamais osées.
En conclusion, aucune présentation objective de ce traité ne peut se faire sans compléter les articles figurant dans les parties I et II par l’analyse en regard, des articles très nombreux et détaillés, de la partie III et qui en définissent les modalités d’application.
Le traité constitutionnel, c’est en fait la partie III.
* * *
L’organisation des différentes parties entre elles pourrait se faire de la manière suivante :
La partie I annonce, sous forme de grands principes, les dispositions concrètes de fonctionnement qui seront développées au cours des 321 articles de la partie III, la partie II reprend les acquis de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, avec intégration des principes extraits des différentes constitutions nationales des états membres, des conventions internationales, des jurisprudences de la Cour de Justice des Communautés Européennes... Les limitations de cette partie sont le résultat de la soumission - outre celles imposées par des états nationaux - à l’article I - 3 relatif aux objectifs de l’Union, c’est-à -dire, la construction « d’un marché intérieur ou la concurrence est libre et non faussée ».
La troisième partie ainsi qu’il a été dit est celle qui commande les deux précédentes ainsi que la quatrième, cette dernière traitant de mécanismes juridiques telle que l’abrogation des traités antérieurs et les procédures de révision, étant dès à présent précisé que l’article IV - 443 précise que la modification du traité constitutionnel appartient, in fine, au gouvernement des états membres qui statueront à l’unanimité. - ce qui rend dans la pratique toute révision presque impossible.
Pourrait maintenant être proposé d’aborder les différentes parties en soulignant partie des dangers qu’elles recèlent.
Partie I
Il a déjà été indiqué précédemment que l’article I - 3 alinéa 2 énonce sous le titre, « Les objectifs de l’Union », la mise en place d’une économie de marché fondée sur « la concurrence libre et non faussée » et ce dans le même article que la promotion de la paix et « le bien-être des peuples ».
Autre objectif de l’Union (alinéa 4) dont il faut dénoncer la duplicité : la contribution, « dans ses relations avec le reste du monde (...) au commerce libre et équitable ». Outre qu’aucune définition n’est donnée de cette notion, il est à noter qu’il a été repris, un concept actuellement fréquemment utilisé et symbole de protection des travailleurs du tiers-monde, à savoir celui du commerce équitable mais auquel a été accolé le terme de « libre »...
C’est la même confusion volontaire des valeurs qui dans l’article I - 4 sous le titre, « Libertés Fondamentales », met sur le même plan « la libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux », ces trois dernières libertés étant désormais érigées au rang de libertés fondamentales. Les états membres sont les relais d’application de cette politique : en effet, ils s’engagent à « maintenir l’ordre public » et « à assurer l’exécution des obligations découlant de la constitution ». (Article I - 5).
Dans ce cadre de répartition des compétences de l’Union, d’une part et des états, d’autre part, sont définies sous l’article I - 12, deux types de compétences : la compétence exclusive de l’Union avec les moyens de contraintes à sa disposition et la compétence partagée de l’Union avec les états.
Entre bien évidemment dans le domaine des compétences exclusives de l’Union - article I- 13 (b), « l’établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur et ( c ) la politique monétaire pour les états membres dont la monnaie est l’Euro et e) la politique commerciale commune. »
Sont laissés à la compétence partagée, c’est-à -dire à l’éventuel exercice des états membres, dans la mesure où l’Union a décidé de ne pas intervenir, des domaines tels que article I - 14 (b) la politique sociale, (c) l’agriculture, la pêche, .... (d) l’environnement, (g) les transports, ( i) l’énergie.... mais « pour les aspects définis dans la partie III, c’est-à -dire, par exemple, (article III - 210 - (a) la santé et la sécurité des travailleurs, (b) les conditions de travail, (c) la sécurité sociale et ce dans le respect de « la compétitivité de l’économie de l’Union »,
En forme de contre poids aux pouvoirs de l’Union, il pourrait être considéré que les « coopérations renforcées »offrent aux états-membres une possibilité d’action. Lesdites compétences apparaissent sous l’article I - 44 qui confère aux états-membres qui le souhaitent, le pouvoir de se rapprocher afin d’entreprendre en commun telle ou telle action.
Mais les conditions d’exercice de ces coopérations renforcées sont très strictement limitées par l’article III - 419 qui stipule, dans un premier temps, qu’elles ne peuvent intervenir dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité mais qui surtout dispose que , alinéa 1- « la Commission peut soumettre au Conseil une proposition dans ce sens ».
La Commission n’est donc pas liée et si elle refuse de la soumettre au Conseil, « elle en communique les raisons » aux états-membres concernés
Si la proposition parvient jusqu’au Conseil, celui-ci statue à l’unanimité, autant de limitations qui rendront très difficiles les coopérations renforcées.
En conclusion, la seule « fonction essentielle de l’état « national, est celle d’assurer « l’ordre public ». Et sa capacité d’autonomie en matière de gouvernement n’existe que si, dans la domaine considéré, l’Union a décidé de ne pas exercer son action.
Le titre 4 intitulé « Les institutions européennes de l’Union » définit à la suite des traités antérieurs, les pouvoirs des différentes institutions de l’Union telles que le Parlement Européen, le Conseil Européen, le Conseil des Ministres, la Commission Européenne, la Cour de Justice de l’Union Européenne, la Banque Centrale Européenne, la Cour des Comptes. La seule entité issue du suffrage universel est le Parlement Européen, les autres étant des structures administratives.
Article I - 20 « Le Parlement Européen exerce conjointement avec le Conseil, les fonctions législatives et budgétaires (...) et exerce des fonctions de contrôles des politiques et consultatifs ». Le Parlement ne détient aucun pouvoir de proposition de lois, pouvoir qui appartient à la Commission ainsi qu’en dispose l’article I - 26 alinéa a-26 qui énumère les attributions de la Commission Européenne. Ils sont, au regard de ceux dont dispose le Parlement Européen, seule structure élue au suffrage universel, considérables. En effet article I -26 « La Commission promeut l’intérêt général de l’Union et prend les initiatives appropriées.
Elle veille à l’application de la Constitution (...), elle surveille l’application du droit de l’Union (...), elle exécute les budgets et gère les programmes (...), exerce des fonctions de coordination, d’exécution et de gestion (...), elle assure la représentation extérieure de l’Union, à l’exception de la politique étrangère et de sécurité (...) ».
Ces pouvoirs du Parlement seront repris dans la partie III (Article III - 332 et III - 404). Il vaut la peine de signaler la faible tentative de rétablissement de l’équilibre entre les pouvoirs du Parlement et de la Commission à travers l’article III - 340 qui stipule que le Parlement a la possibilité d’adopter une motion de censure à la majorité des deux tiers, de la gestion de la Commission à deux tiers des suffrages exprimés et à la majorité des membres le composant, ce qui entraîne la démission obligatoire et collective des membres de la Commission de leur fonction, ainsi que celle du Ministre des Affaires Etrangères de l’Union, qui doit démissionner des fonctions qu’il exerce au sein de la Commission.
Quant au Conseil Européen (Article I - 23), composé de représentants de chaque état membre habilité à engager son pays, il exerce conjointement avec le Parlement des fonctions législatives et budgétaires et ,seul, de définition des « politiques et coordinations ». Il lui est également conféré par l’article I - 18 des « pouvoirs d’actions » supplémentaires pour la réalisation de tel ou tel objectif défini dans la partie III.
Il est enfin nécessaire de mettre en lumière, pour terminer la brève présentation de cette première partie : à savoir « la politique de sécurité défense commune » et le rôle des citoyens et des associations. Deux sujets d’importance.
Sous le titre 5 intitulé « L’exercice des compétences de l’Union » figure un article I - 41 intitulé : « Dispositions particulières relatives à la politique de sécurité et défense commune » qui d’une part, place la politique de l’Union en la matière directement dans une position de soumission à l’OTAN et d’autre part, promeut une militarisation des Etats Membres. A cet égard l’alinéa 3 constitue un renforcement de l’armement des Etats dans la mesure où « les Etats Membres s’engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires » et qu’il est institué pour les aider une « Agence Européenne de Défense » leur permettant d’y parvenir.
La décision d’intervention militaire appartient « au Conseil statuant à l’unanimité sur proposition du Ministre des Affaires Etrangères de l’Union ou sur initiative d’un Etat Membre ».
Les missions visées reprises dans la partie III sous l’article III 6-309 sont les « missions de forces de combat pour la gestion des crises (....) y compris pour le soutien apporté à des pays-tiers pour combattre le terrorisme sur leur territoire ». Il faut noter que d’une part, aucune définition n’est donnée de ce qui est considéré comme une « crise » pas plus que de la notion de « terrorisme », ce qui laisse la part belle à toutes interprétations extensives de ces deux notions ; d’autre part, l’Union s’arroge le droit d’intervenir dans des pays tiers.
Cette absence de définition du concept de terrorisme se retrouve également sous l’article I - 43 - instaurant une « clause de solidarité » où il est fait, à trois reprises, référence à une « menace terroriste » ou à une « attaque terroriste », sans qu’aucune définition ne soit également donnée.
Par exemple ne pourra-t-il pas être un jour considéré, qu’une grève, une manifestation d’étudiants ou d’autres citoyens est une « crise » ou que tel ou tel progrès social puisse donner lieu à une « menace terroriste ».
Il est fait état dans l’article I - 47 de ce que l’Union permet « aux citoyens et aux associations représentatives » d’être des partenaires de dialogue « dans tous les domaines d’actions de l’Union ».
L’alinéa 2 précise : « les institutions entretiennent un dialogue ouvert, transparent et régulier avec les associations représentatives de la société civile ». Une fois de plus, il n’est donné aucune définition de ce qu’est une association représentative, c’est-à -dire que ne sont pas définis les critères de représentativité retenus par l’Union : est-ce le nombre des adhérents, l’importance des projets gérés, l’ancienneté.... ?
Le concept de société civile n’est ni défini ni circonscrit.
Par ailleurs, la mise en oeuvre de ladite consultation n’est organisée par aucune prescription et il est donc à redouter qu’elle ne concerne dans la pratique que les grandes associations ayant pignon sur rue ou les groupes de pression, groupes de pression qui hantent déjà par centaine les couloirs de Bruxelles.
Tout d’abord ce qui est communément appelé un droit de pétition et souvent présenté comme une avancée réalisée par le Traité Constitutionnel, n’ouvre pas la possibilité d’ un ajout au texte ou de la réforme de l’un de ses articles, mais uniquement de son « application ».
Mais surtout il ne s’agit que d’une « invitation » qui restera lettre morte si la Commission décide de ne pas en tenir compte.
En un mot il n’existe aucun mécanisme obligeant la Commission à prendre en compte l’acte juridique proposé.
C’est la raison pour laquelle les citoyens européens ne peuvent se laisser tromper par le contenu de l’article 1 - 46 : « Principe de la démocratie représentative » qui énonce que cette dernière constitue le fondement de l’Union : en effet, a été précédemment évoqué la presque totale impuissance du Parlement Européen en matière législative et les pouvoirs tout à fait exorbitants de la Commission et d’autre part, l’illusion que constitue le dialogue « ouvert, transparent et régulier avec les associations représentatives et la société civile », ainsi que celle du droit de pétition.
Doit également être mentionné l’article I- 52 sur le « Statut des Eglises et des organisations non confessionnelles ». Les églises sont reconnues comme partenaire de dialogue ce qui permet à juste titre aux citoyens européens de s’interroger sur la place envisagée par la Constitution de la laïcité, de la séparation de l’Eglise et de l’Etat ou encore des sectes.
Partie II
Elle s’ouvre par un préambule qui rappelle, dès les premières lignes, l’égalité normative entre, d’une part, la liberté des personnes et de l’autre, la liberté des marchandises et des capitaux, et libertés au service « d’un développement équilibré et durable » ... adjectifs dont il n’est donné aucune définition.
Les articles qui suivent pourraient permettre de penser que les dispositions y énoncées sont effectivement protectrices des Droits de l’Homme.
Cependant, pour que des droits soient effectifs, il est nécessaire d’une part, que soit énoncée l’entité qui garantit leur application et que des mécanismes de mise en oeuvre soient soigneusement détaillés. Il est de même indispensable que soit définie l’étendue du concept retenu.
Par exemple, l’article II - 62 : « Droit à la vie », déclare, alinéa 1 -« Toute personne à droit à la vie - et, alinéa 2 - « Nul ne peut être condamné à la peine de mort, ni exécuté ».
Il est évident que l’absence de délimitation de la notion de personne et de vie pourrait permettre d’alléguer que l’interruption volontaire de grossesse est contraire à la Constitution Européenne.
Quant à l’alinéa 2, il faut savoir, ainsi qu’il a été dit précédemment que le texte soumis à référendum n’était pas simplement le traité établissant une Constitution pour l’Europe mais également 36 protocoles, deux annexes et 50 déclarations...
L’article II du protocole n° 6 déclare que donner la mort dans les circonstances qui suivent ne constitue pas une violation de l’article 2 alinéa 2, à savoir : « un recours à la force rendu absolument nécessaire pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale, pour effectuer une arrestation régulière ou empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue, pour réprimer conformément à la loi, une émeute ».
Par ailleurs, « un état peut prévoir dans sa législation la peine de mort pour tout acte commis en tant de guerre ou de danger imminent de guerre ».
L’interdiction ne revêt donc pas le caractère absolu que laisse croire la rédaction de l’article considéré.
Plusieurs droits ont trait aux travailleurs (Titre IV - (« Solidarité ») et aux différents systèmes de protection dont ils peuvent jouir mais le traité constitutionnel renvoie quant à leur application aux « législations et pratiques nationales ». C’est-à -dire que le traité constitutionnel ne crée pas à la matière de droits nouveaux ou n’améliore pas ceux existants.
C’est-à -dire que tout ce qui ressort du domaine social est renvoyé aux « législations et pratiques nationale s » et aucune obligation n’est mise à la charge de l’Union.
Le traité constitutionnel ne constitue pas une avancée des droits sociaux mais confirme le maintien des différentes législations nationales en la matière.
Sous ce même titre 4 se trouve l’article II - 96 : « Accès aux services d’intérêts économiques générales ». Le Service Public dont il n’est fait nulle part mention dans la partie II, est remplacé par ce nouveau concept de « services d’intérêts économiques générales », dits Sieg. Ce service fera l’objet dans la partie III de nombreux articles qui en limitent très lourdement le bénéfice pour les citoyens de l’Union.
C’est ainsi que l’article III - 166 - alinéa 2 déclare « Les entreprises chargées de la gestion des services d’intérêts économiques générales (...) sont soumises aux dispositions de la Constitution notamment aux règles de la concurrence.... » ou encore article III - 167 qui sous la sous-section 2 traite des aides accordées par les états membres, stipule que « les aides accordées par les états membres ou au moyen de ressources d’état sous quelle que forme que ce soit qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions, sont incompatibles avec le marché intérieur.
C’est-à -dire que (Cf article III - 161 - sous section 5 « Règles de concurrence » - sous-section 1 : « Les règles applicables aux entreprises » sont incompatibles avec le marché intérieur,« toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre états membres et qui ont pour objet ou pour effet, d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence ».
Cette règle s’applique, stipule l’article III - 166, aux entreprises publiques ou à celles auxquelles il est accordé « des droits spéciaux ou exclusifs ». En effet le même article poursuit an interdisant aux états-membres de prendre « ou de maintenir aucune mesure contraire à la constitution », étant rappelé que cette dernière assigne comme objectif à l’Union la mise en place d’un marché intérieur au sein duquel « la concurrence est libre et non faussée ».
En un mot ce qui reste des services publics sous la forme des services d’intérêts économiques généraux est soumis au principe de la concurrence libre et non faussée.
Pour terminer, il est nécessaire afin d’apprécier la véritable portée de cette charte des droits fondamentaux de l’Union, de se reporter au dernier titre relatif à « l’interprétation et l’application de la charte ».
Outre les lourdes limitations précédemment évoquées, en tout état de cause, l’Union n’est pas liée par ladite charte, pas plus que la charte ne s’impose en tant qu’ensemble de principes supérieurs, au reste de la Constitution. Une telle disposition est clairement stipulée par l’article II - 111 - alinéa 2 : « la présente charte (...) ne crée aucune compétence, ni aucune tâche nouvelle pour l’Union et ne modifie pas les compétences des tâches définies par les autres parties de la Constitution ».
C’est le même principe qui était déjà énoncé sous l’article I - 9 : « Droits fondamentaux » et qui déclarait que si l’Union adhérait à la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, ce n’était que dans la mesure où ladite convention « ne modifie pas les compétences de l’Union telles que définies dans la Constitution ».
Et l’alinéa 3 de terminer en déclarant qu’en tout état de cause les droits fondamentaux tels que définis par la Convention sus-visée « font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux », c’est-à -dire sans application concrète.
En fait le traité constitutionnel prime sur les règles édictées par la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et de Libertés fondamentales.
Par ailleurs, il est toujours possible de limiter les droits énoncés dans la charte, si lesdites limitations « sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union... ». (Article II - 112 - alinéa 1).
Partie III
Celle-ci a déjà été en partie abordée dans la mesure où pour appréhender clairement la portée des différentes dispositions énoncées dans les parties I et II, il était nécessaire de se reporter aux articles de la partie 3 les explicitant. Ce sont donc certains points seulement qui seront abordés, étant rappelé que cette présentation de la Constitution n’a nullement la prétention d’être exhaustive.
La liberté d’établissement des personnes physiques et morales se veut totale (Cf article III - 137 à 143). Pour y parvenir l’article III - 142 n’hésite pas à stipuler que les sociétés civiles, commerciales, coopératives de droit public ou privé, « sont assimilées, pour l’application de la présente sous-section aux personnes physiques ressortissantes des états membres ».
Aucune restriction à ladite liberté ne sera tolérée et c’est donc sans limite que pourront être créées sur le territoire d’un autre état membre, agences, succursales et filiales (article III - 137) qui ne pourront prétendre à aucune autonomie particulière à tel point que ces dernières ne pourront s’opposer à « l’entrée libre du personnel du principal établissement dans les organes de gestion ou de surveillance ». (Article III - 138 - alinéa f ). La même liberté de prestations de services est également retenue.
Le chapitre 2 : « Politique économique et monétaire », reprend l’objectif de l’Union tel qu’annoncé dans l’article I - 3, à savoir, la création d’un « marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée ».
A deux reprises, l’article III - 177 déclare que ces politiques sont « conduites conformément au respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre ».
Et le paragraphe suivant dispose que la « conduite d’une politique monétaire et d’une politique d’échange unique » doit se faire « conformément aux principes d’une économie de marché où la concurrence est libre ».
Le processus de décision en est strictement administratif dans la mesure où c’est le conseil, sur recommandation de la commission, qui élabore un projet, et qui fixe ensuite « les grandes orientations ».
La voix des peuples ne pourra pas se faire entendre. En effet, le Parlement, seule institution de l’Union Européenne à être élu au suffrage universel, ne fait l’objet que « d’une information ».
Relativement à la politique monétaire et plus particulièrement à la Banque Centrale Européenne, il sera souligné que cette dernière ne peut se voir donner d’instructions par personne, « ni le gouvernement d’un état ni une institution nationale ou de l’Union ». (Cf Article III - 188).
Les politiques relatives à l’emploi (Cf chapitre 3 - section 1) n’échappent pas à la soumission de l’objectif visé à l’article III - 1 à savoir, la création d’un « marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée » et à la promotion d’une « économie sociale de marché hautement compétitive ». Le travailleur devra donc, pour réaliser les objectifs de l’Union « s’adapter » et « les marchés du travail (devront être) aptes à réagir rapidement à l’évolution de l’économie ».
Le monde du travail devra se soumettre aux exigences de « la concurrence libre et non faussée » ce qui, à court terme entraînera une réforme radicale du droit du travail, tel qu’il existe à l’heure actuelle, c’est-à -dire à un assouplissement, voire une disparition, du système de protection des travailleurs, en matière de représentation, conditions de travail, licenciement...
Article III - 215 : « Les Etats-membres s’attachent à maintenir l’équivalence existante des régimes de congés payés ». Pas d’obligation, bien sûr pour la Commission, et non plus pour les Etats qui ne sont pas obligés mais doivent seulement faire l’effort.
Et si un « Comité de l’Emploi » est créé, celui-ci n’a qu’un caractère consultatif et comme seul objectif, non pas le progrès social mais la « coordination entre les états membres des politiques en matière d’emploi et de marché du travail » (Article III - 208).
Il en est de même d’un « Comité de la protection sociale » qui n’a également qu’un caractère consultatif. (Article III - 217).
Si l’article III - 209 réaffirme les grands principes de progrès et de protection sociale, il rappelle que leur mise en oeuvre devra répondre « à la nécessité de maintenir la compétitivité de l’économie de l’Union et qu’en fait « l’harmonisation des systèmes sociaux » au sein de l’Union se fera par « le fonctionnement du marché intérieur ».
Il est à craindre, si le marché intérieur est considéré comme principal régulateur de l’harmonisation, celle-ci ne se fasse que sur des conditions minimums qui, loin d’entraîner un progrès social entraînera, tout au contraire, la régression.
Il est également rappelé, au monde des transports en général, qu’ils appartiennent à « un système de marché ouvert et concurrentiel » (Cf Article III - 246).
L’intérêt des habitants n’est même pas évoqué.
Et si l’Union peut « soutenir » et « contribuer au financement » de projets de transports, ces derniers seront examinés à la lumière de leur « viabilité économique potentielle » (Article III - 247). De même l’article III - 279 rappelle que « la compétitivité de l’industrie de l’Union se fait dans le cadre d’un système de marché ouvert et concurrentiel » (Article III - 279), étant indiqué que le Parlement « est pleinement informé » !
Est-ce à dire qu’un des objectifs à l’échelle mondiale de l’Union est d’instaurer la disparition de toute mesure de protection d’un secteur de production, par le biais des barrières douanières ou autres ?
Cela semble le cas et surtout si l’on rapproche cet objectif du contenu de l’Article III - 314 qui stipule que « l’Union contribue (...) à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs ainsi qu’à la réduction des barrières douanières et autres », à l’échelle du « commerce mondial ».
Il est à craindre que les politiques commerciales de l’Union ne s’alignent sur les dispositions de l’Organisation Mondiale du Commerce.
PARTIE IV
Elle traite principalement des procédures de révision du traité constitutionnel et il en sera retenu les dispositions apparaissant sous l’article IV - 443 relatif aux ouvertures possibles de révision du texte dans l’hypothèse où il aurait été adopté.
La procédure envisagée comporte de très nombreuses étapes. En effet, « le gouvernement de tout Etat-membre, le Parlement Européen ou la Commission peuvent soumettre au Conseil des projets tendant à la révision du présent traité. Ces projets sont transmis par le Conseil au Conseil Européen.... » (alinéa 2) .
Alinéa 3 : le Conseil européen consulte le Parlement et la Commission et vote à la majorité simple une décision favorable à l’examen des modifications proposées. Le Président du Conseil Européen convoque alors une « Convention composée de représentants des parlements nationaux, des chefs d’états ou de gouvernements des Etats-membres, du Parlement Européen et de la Commission ».
Ladite Convention examine les projets de révision concernés et « adopte par consensus une recommandation à une conférence des représentants des gouvernements des Etats-Membres ». L’alinéa 3 prévoit que ladite conférence « arrête d’un commun accord les modifications à apporter au présent traité ».
En conséquence, c’est la conférence des gouvernements qui décide à l’unanimité, après le parcours des très longues étapes procédurales ci-dessus, d’adopter ou pas les révisions proposées. C’est la raison pour laquelle il peut être déclaré que cette procédure de révision sera dans la pratique, purement formelle.
Si une « procédure de révision simplifiée » existe (Article IV - 444) il faut savoir qu’elle est soumise à l’approbation des Etats-membres et en conséquence, dans le cas de l’opposition de l’un deux, ne pas pourra être adoptée.
* * *
De nombreuses autres dispositions de ce traité établissant une constitution pour l’Europe et qui n’ont pas été abordées, vont bien évidemment dans le même sens à savoir la réalisation des « objectifs de l’Union » qui sont « la création d’un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée » et ce dans le respect des « libertés fondamentales » des personnes, des services, des marchandises, des capitaux de l’établissement.
Le traité constitutionnel s’est donc attaché à travers 448 articles, 36 protocoles, deux annexes et 50 déclarations à doter l’Union des moyens lui permettant la réalisation des objectifs sus-visés. Par ailleurs, les procédures de révision possibles, qu’elles soient ordinaires ou simplifiées rendent, dans la pratique, extrêmement longues et difficiles toutes possibilités d’amendement dudit projet de Constitution.
Il est à redouter que l’application du traité constitutionnel ne provoque de très fortes tensions, affrontements et blocages politiques et sociaux qui pourraient gravement mettre en péril l’avenir même du projet européen, qualifié par l’alinéa 4 du Préambule du projet constitutionnel d’ « espace privilégié de l’espérance humaine ». Il faut donc s’interroger afin de déterminer si le projet de traité constitutionnel qui « établit l’Union européenne à laquelle les Etats-membres attribuent des compétences pour atteindre leur objectif commun » (Article I - 1) permettra la réalisation desdits objectifs.
Les objectifs de l’Union sont la paix, ses valeurs, c’est-à -dire (Article I - 2) le respect de la dignité humaine, liberté, démocratie, égalité, respect des Droits de l’Homme, le bien-être des peuples, un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée, une économie sociale de marché hautement compétitive et enfin un commerce libre et équitable.
Il ne fait pas de doute que les dispositions sus-décrites assurent la mise en place d’un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée, par contre il est infiniment plus douteux qu’elles permettent la réalisation de la paix, de la démocratie, du respect des Droits de l’Homme et du bonheur des peuples.
Document établi par Sophie Thonon Wesfreid, Présidente Déléguée de
France-Amérique latine
Constitution Européenne : sept questions, sept réponses négatives, par Jean Gadrey.