Ami libéral, j’aurais tant aimé partager ton incrédulité (Common Dreams)

Thomas S. Harrington

Cher ami libéral (*), j’aurais tant aimé partager ton incrédulité quant à l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis. J’aurais tant aimé ressentir comme toi cette blessure qui, aussi douloureuse qu’elle fut, porte aussi en elle la récompense du réconfort d’une solidarité douce et chaleureuse. J’aurais tant aimé m’asseoir à tes côtés et fulminer d’une colère saine contre la vulgarité et la cruauté inégalées de Trump et de ses disciples.

J’aurais tant aimé le faire, mais je ne le ferai pas. Pourquoi ?

Parce que je te connais, peut-être mieux que te n’oses te connaître toi-même. Je te connais bien parce que je t’ai observé avec beaucoup d’attention ces trois dernières décennies et j’ai malheureusement appris que tu es autant, sinon plus, dans la posture et l’estime de soi que le représentant de ces valeurs nobles que tu prétends porter.

J’ai vu comment tu t’es accommodé avec la plupart des forces sociales rétrogrades que tu dis avoir en horreur. Je t’ai vu presque totalement silencieux devant le plus grand crime qui soit, la guerre non provoquée, allant jusqu’à accepter comme candidat à la présidence une personne qui a froidement mené la destruction complète de la Libye, un vrai pays avec de vraies personnes qui aiment leurs enfants comme toi et moi, et avec pour seul motif - comme l’ont révélé les emails de Podesta - de favoriser ses ambitions politiques personnelles.

J’ai vu comment tu as gardé le silence devant la célébration perverse de cette même personne, devant une caméra, du meurtre par une baïonnette enfoncé dans l’anus du chef de ce pays autrefois souverain, et devant des dizaines de milliers de morts et des centaines de milliers de réfugiés que cette guerre a provoqués.

J’ai vu au cours des huit dernières années comment tu t’es réfugié derrière les qualités évanescentes de la couleur de la peau et la parole doucereuse de ton président « libéral » pour ne pas admettre son absence totale d’actions concrètes en faveur de ces valeurs que tu prétends défendre.

J’ai vu comment tu n’as pas pipé mot lorsqu’il a secouru des banquiers, poursuivi des donneurs d’alerte, et déporté des immigrants désespérés et opprimés en nombres jusqu’ici inimaginables.

Et je n’ai pas entendu la moindre plainte (contrairement à ces libertariens soi-disant stupides et primitifs) lorsqu’il s’est arrogé le droit de tuer de sang froid, et comme bon lui semble, des citoyens américains.

Je t’ai observé lorsque tu as non seulement complètement normalisé l’éradication méthodique par Israël du peuple palestinien et de sa culture, mais tu as même rendu le fait d’applaudir avec enthousiasme cette campagne de sauvagerie le test décisif de la respectabilité sociale et politique dans les milieux que tu fréquentes.

J’ai vu comment tu as balayé avec désinvolture le souvenir de ces millions de personnes innocentes détruites par l’agression militaire des États-Unis dans le monde, et la brutalité policière ici-même, afin d’imiter servilement l’orgie incessante du culte de l’uniforme mis en mouvement par la droite et ses auxiliaires médiatiques après les attentats du 11 septembre 2001.

En bref, depuis 1992, j’ai observé comment tu as transformé un courant de pensée sociale jadis enraciné dans ce sentiment humain le plus élémentaire - l’empathie - en une médaille épinglée sur le revers de ton veston en signe d’une prétendue supériorité culturelle et éducative. Et parce que se sentir bien à ton propre sujet était beaucoup plus important à tes yeux que d’aider réellement les opprimés, tu as accepté, avec plus ou moins d’entrain, pratiquement toutes les mesures attentatoires à la vie et à la dignité avancées par la droite autoritaire.

Et maintenant tu voudrais que je partage ton émoi et ton incrédulité ?

Non merci, je vais garder mes larmes pour toutes les personnes, idées et programmes que tu as abandonnés au bord du chemin et en cours de route.

Thomas S. Harrington
professeur d’études hispaniques au Trinity College de Hartford (Connecticut) et l’auteur du livre récemment publié Livin’ la Vida Barroca : American Culture in a Time of Imperial Orthodoxies.

Traduction "entends-tu la terre trembler, ami "socialiste" ?" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.

(*) comme toujours en ce qui concerne les écrits politiques US, le terme « liberal » s’apparenterait plutôt à « la gauche » version PS et consorts chez nous. (NdT)

 http://www.commondreams.org/views/2016/11/10/i-would-love-share-your-incredulity

COMMENTAIRES  

22/11/2016 00:22 par résistant

Cette hypocrisie dont il parle... celà me rapelle soudain le moment précis où j’ai compris l’hypocrisie bobo* généralisé et que j’ai dit merde au monde et à son système :
C’était dans les années 80, je venais d’entrer au lycée, et j’étais entrain de me rendre compte que la plupart de mes compagnons d’école acceptaient sans broncher de perdre définitivement leur enfance, leurs espoirs, leurs rêves et leur liberté pour devenir des esclaves lobotomisés au service de la classe dominante. Mais ce n’est pas cette lutte des classes qui me donna le plus la nausée. Non, la goutte d’eau qui fit déborder le vase ne vint pas de ma révolte contre l’ordre établit. Celà, j’étais déjà près à le combattre à mort. Je me souviens d’ailleurs, dès le collège, dès 11 ans, quand on nous demandait d’écrire sur nos petites fiches en début d’année quel métier nous voulions faire plus tard, j’inscrivais déjà avec constance : la révolution.
Mais je m’égare, ce souvenir précis que je voudrais vous relater, mes mains encore tremblantes de rage 30 ans plus tard, c’est lorsqu’il y a eu tout ce cirque à propos de la famine en Ethiopie : les stars de l’époque, Michael Jackson en tête, couinant en boucle leurs larmes de crocodiles sur toutes les radios (et je suppose toutes les télés aussi, j’avais déjà décidé de ne plus jamais regarder la télé à cette époque). Oui l’Ethiopie, pendant cette grand messe obligatoire de sentiments mielleux, je voyais mes ex-compagnons d’enfance se transformer en bobos ! Quêter pour envoyer des ronds aux ONGs téléguidées par la CIA, et prendre cet air à la fois sérieux et lèche-culs de circonstance, avec toute la pitié condescendante qu’il était de bon ton d’afficher pour ces pauvres sauvages que l’on tentait de civiliser à grand coup de lait en poudre périmé.
Et donc, mes ex-compagnons de cour de récré me regardaient avec dégoût parce que je refusais de participer à cette mascarade destinée à se donner une bonne conscience et à enrichir quelques petits malins au passage.
"Tu n’as donc pas de coeur ?" me disaient-ils, avant de me rayer définitivement de leur liste de gens fréquentables.

Pauvres idiots, comment aurais-je pu leur expliquer, à ces robots en cours de programmation que non seulement j’avais un coeur, mais que j’avais aussi un cerveau ? C’était déjà trop tard pour eux, ils s’étaient abandonnés au système, ils ne pouvaient plus comprendre que pendant qu’ils jouaient sagement aux bobos obéissants comme on leur avait si bien appris, ils avaient complètement oublié de se poser la moindre question sur les origines de ce merdier dans "le tiers-monde". Ils n’avaient aucune culture, aucun recul historique, aucune curiosité pour comprendre les responsabilités de leurs élites dans cette situation qui était toujours présentée comme une catastrophe naturelle... ah...lala, c’est vraiment pas de chance, ce qui se passe en Afrique, les pauvres malheureux... comme si la chance avait quoi que ce soit à voir là-dedans.
C’est donc à ce moment précis, devant leurs tronches de VRPs du politiquement correcte, que je pris la décision de quitter l’école à tout jamais (enfin presque, j’irai plus tard à l’université en auditeur libre, mais ça, c’est une autre histoire). Dès que j’annonçais ma décision à mes parents, la sanction tomba : ils me mirent à la rue, je n’étais plus leur fils.
C’est la meilleure décision que j’ai prise de toute ma vie, et je ne la regretterai jamais. Bien sûr, je renonçais à un avenir brillant, mais tout ce qui brille n’est pas de l’or.
Enfin bref, merci monsieur Harrington pour ces quelques mots a propos de vos bobos locaux, merci pour cette petite madeleine de Proust. Une madeleine au goût moisi...

*bobos : https://fr.wikipedia.org/wiki/Bourgeois-bohème

22/11/2016 10:36 par jakodey

Je viens de lire @résistant, après ce cruel car lucide article de Harrington.
Ouais, "boboïsation" et lobotomie, ces deux mots se ressemblent tellement ... que le premier est inclus dans le second.
Je les vois tous ces friqués et traîtres soixante-huitards boboïsés vieillissants commencer à réaliser que leur vie de traîtres commence à être pesante.
Il peuvent encore se racheter toutefois, ou plutôt en une fois : à la présidentielle de 2017, en votant pour un candidat qui affirme une chose magnifique : nous devons reprendre notre SOUVERAINETE populaire, monétaire, militaire
par le FREXIT donc en sortant de l’ue, de l’euro et de l’otan.
Le souverainisme populaire c’est la première valeur de Gauche, en tous cas la condition sine-qua-non. Corrolaire : tout parti de gauche qui ne prône pas cette condition sine qua non ... est un parti leurre infiltré par le système façon Syriza, Podemos (les nôtres, je n’écris par leur nom pour ne pas blesser, mais suivez mon regard : ils ont des députés grassement rémunérés au parlement européen).

Quant au FN, cet amalgame nauséabond n’est PAS souverainiste contrairement à ce que les néolibéraux euro-atlantistes belliqueux essayent de nous faire croire : c’est un parti élitiste ultra-catholique, allez je me lâche, un parti FEODAL et ses électeurs de pauvres serfs leurrés.

22/11/2016 11:09 par D. Vanhove

... que cela fait du bien de lire ce genre de papier, dans le flot continu de bêtises dont nous abreuvent les merdias...

cet article nous renvoie aussi à ces gds messes obligatoires du genre "je suis charlie"... et autres poussées émotionnelles du mm acabit... très peu pour moi... je l’avais d’ailleurs exprimé à l’époque... (http://www.mondialisation.ca/ni-cha...)

@ resistant : je partage votre commentaire et m’en sens solidaire... cela fait peu de chose, je sais, mais qd mm, se dire qu’on est pas seul, c’est déjà un pt réconfort dans ce monde qui se déshumanise lentement... et bien sûr que la qstion à laquelle il faut répondre est, comment faire pour se mobiliser, se solidariser et devenir une majorité dans un mm combat contre l’oligarchie qui nous écrase et nous asservit si aisément... (j’ai bien qqs idées sur le sujet, mais ce n’est pas le propos ni le moment...)

22/11/2016 13:26 par Geb.

Comme quoi il reste encore des Usaméricains lucides, humains, et honnêtes...

Mais personne n’en doutait. Il y a toujours des exceptions ; mêmes aux règles les plus sordides.

Je pense sincèrement qu’ils peuvent avoir droit à toutes nos félicitations...

Ainsi qu’à toute notre notre compassion : Il ne sont pas encore sortis de l’auberge, loin de là !.

Pas plus que nous d’ailleurs !! (- :

23/11/2016 09:19 par pierreauguste

Dans son livre "Tarnac magasin général" David Dufresne reproduit un interrogatoire d’un juge auprès de la personne de Julien Coupat et lui demande :"Quelle est la force que vous souhaitez constituer,et qui serait capable de porter à la civilisation le coup fatal et de la mettre à terre ? Et comment porter ce coup fatal ?
La réponse : Incarner la vertu pure.
Je ne sais si Coupat était ironique,c’est bien trop subtil pour moi,mais une fois débarrassé des oripeaux du sens général,plutôt vague et judéo chrétien du mot vertu,il me semble que ses paroles sont à méditer très sérieusement un peu partout,avec tolérance, et surtout dans l’univers de ceux qui sont davantage dans le monde de "l’estime d’eux même ",que l’on rencontre parfois ici,plutôt que dans les valeurs nobles,ou vertueuses qu’il faudrait d’abord porter . C’est peut- être ainsi, après un travail sur soi même, que pourrait s’envisager l’espoir d’un réel changement......

24/11/2016 09:54 par babelouest

@ Jacodey
En tant qu’ancien soixante-huitard, qui fut toujours un simple employé, et même pour un temps "ouvrier de banque", oui, le terme était propre à celui qui bosse sur des machines, je continue à militer comme je l’ai fait en 1998 CONTRE mon syndicat CGT : il accompagnait sans piper mot un passage aux 35 heures où seul le patronat s’y retrouvait.

Et pour les prochaines élections, on m’a proposé d’être suppléant à un candidat du PARDEM, LE parti qui prône à la fois la démondialisation, la sortie de l’union européenne SANS passer par ce piège qu’est l’article 50 du TUE, le dépérissement volontaire de la Bourse, le droit opposable à l’emploi (avec l’État employeur en dernier ressort), le retour de l’État républicain et de la Sécurité Sociale de plein droit. J’ai dit oui, de grand cœur. Militant jusqu’au bout, car je sais que cela me coûtera en temps, en fatigue et en argent, et je le répète, ce sera de grand cœur.

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