Il a écrit sur l’Algérie, à partir de l’Algérie. Il a dit son Algérie à lui expurgée, son soleil et sa mer, son ciel bleu et son anisette, dans des mots et un style lumineux. Il a captivé par sa verve le plus rétif des lecteurs. Mais il soulève des polémiques, à chaque fois ou presque qu’il est mis sur le devant de la scène. Surtout ces dernières années. D’abord, à l’occasion du cinquantenaire de sa mort qui devait être commémoré par une " Caravane " qui associait des institutions aussi bien françaises qu’algériennes, ensuite à celle du centenaire de sa naissance.
La raison en est que le thème déborde largement le statut d’auteur de Camus et met au centre des préoccupations son algérianité supposée. Une démarche qui, pour beaucoup d’esprits au fait de la vision du personnage sur la question, s’offusquent de l’acharnement et y voient une sournoise réhabilitation de l’Algérie coloniale, qu’il porte dans toutes ses fibres, a défendue et a clamée haut et fort, de surcroît, dans un remarquable activisme militant. Malgré lui, donc, Camus est devenu sinon un enjeu, du moins le prétexte, pour ouvrir une brèche en vue d’une relecture de la tragédie qui a endeuillé l’Algérie cent trente-deux ans durant. Ce faisant, au-delà d’une " paix des mémoires ", voulue non pas dans le sens d’une reconnaissance assumée du fait colonial et de la justesse du combat des Algériens, c’est le renvoi dos à dos de la victime et du bourreau et le possible "vivre ensemble" qui aurait été compromis. Un "vivre ensemble" qui aurait modifié les chances de la survenue d’un présent par trop "négatif".
Que Camus a prévu en mettant en garde le "mouvement arabe", c’est ainsi qu’il nommait le FLN/ALN, de choisir l’ "Orient" contre la France, de le choisir lui contre Francis Jeanson, Jean-Paul Sartre, Maurice Audin, Fernand Yveton, Henri Alleg, Emmanuel Roblès, Danielle Minne, René Vautier, Jean Sénac, Pierre Chaulet et ces milliers de Français qui, comme lui, avaient opté pour la destruction du colonialisme, en risquant leur vie et en la perdant parfois. Ceux-là qui, a contrario, ne suscitent aucun intérêt fussent-ils des écrivains, tel Roblès, ou auraient-ils marqué de leur empreinte l’épopée du peuple algérien, tandis que, à son corps défendant, Camus est fait Algérien. Suprême argument, qui se veut imparable, il aurait, nous dit-on, dénoncé en tant que journaliste la misère des Algériens. Piètre recours, il suffit de le lire et de constater qu’il se démenait, visionnaire, pour alerter ses compatriotes sur l’imminence d’une révolte des "Arabes". Attitude qui se transformera, une fois les feux de la révolution allumés, en militance ouverte pour la préservation de l’ordre colonial. Son programme : " La personnalité arabe sera reconnue par la personnalité française, mais il faut pour cela que la France existe ".
Camus algérien ? Que cesse le déni de réalité et qu’on s’en tienne à l’écrivain pour cesser la polémique.
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