Le documentaire présente la figure de Michael Nothdurfter, originaire de la région alpine du Tirol, qui guidé par l’ordre franciscaine a reçu une formation élémentaire dans la ville de Bolzano. Après avoir réalisé une partie de ses études supérieures en Angleterre et au Pays-Bas, il est parti en 1982 en Bolivie où, enrichie d’expériences avec les mouvements indigènes, miniers et étudiants, il a rejoint le parti du Bloque Populaire Patriotique (BPP) dirigé par le jésuite Rafael Puente.
En 1987 Michael Nothdurfter et quelques autres membres du BPP abandonnent le bloque afin de créer l’Armée Patriotique de Libération Nationale (EPLN) et transformer la société à l’aide de l’action révolutionnaire. Une de leurs actions a été le séquestre de l’entrepreneur nord-américain Jorge Lonsdale. En effet ce représentant de Coca-Cola a été retenu pendant le deuxième semestre du 1989 par l’EPLN - ladite action politique-militaire a eu comme conséquences la mort de Nothdurfter et de deux autres membres du groupe Comisión Néstor Paz Zamora (CNPZ).
Au cours de la structure narrative du documentaire, apparaissent les principaux protagonistes de la théologie de libération, comme Monseigneur à“scar Arnulfo Romero et le poète Ernesto Cardenal, les religieux qui ont dénoncé la violence structurelle touchant la population le plus vulnérable des pays latino-américains. Ainsi, l’influence de la Révolution Sandiniste et la présence de Movimento dos Trabalhadores Rurais Sem Terra est marquée dans ce documentaire. Il va sans dire que la Révolution Sandiniste (1978-1990) représentait un horizon non seulement politique, mais idéologique pour beaucoup d’intellectuels, théologies et militants sociaux de l’époque, elle exprimait la complémentarité prophétique entre le discours religieux (théologie de la libération) et politique (marxisme) : Entre le christianisme et la révolution il n’avait pas de contradiction ! on criait ces années là . En ce sens, même si dans le documentaire n’est pas expliquée la forme dont la révolution nicaraguayenne a impacté le jeune Nothdurfter, on suppose qu’elle a été capitale pour sa décision de traverser l’Atlantique.
Dans le film on peut suivre les témoignages de certains membres du CNPZ qui se déclarent ouvertement catholiques. Mais comment comprendre la relation entre la religion et le projet politique, supposément athée, comme il l’est marxisme ? N’est-elle la religion l’opium du peuple ? Ou sera-t-il que le mélange du marxisme et de la religion, comme l’a déclaré le frère de Michael Nothdurfter, a été fatal ? On pense que lesdites questions peuvent êtres éclairées d’une perspective de la sociologie de la culture par le concept du « Christianisme de la libération » proposé par Michael Löwy (1).
En analysant la fonction sociale de la théologie de la libération en Amérique latine, Michael Löwy signale que ce n’est que le sommet de l’iceberg d’un phénomène plus ample qui se constitue au sein du christianisme. Löwy assure que les deux événements historiques qui ont conditionné l’émergence de la théologie de la libération étaient d’un côté l’élection de Jean XXIII et de l’autre - la révolution cubaine. Cependant, en s’appuyant sur les commentaires de Leonardo Boff, Löwy remarque que la théologie de la libération est le reflet d’une pratique qui la précède et, en même temps, la réflexion sur elle-même. En ce sens Löwy avis que la théologie de la libération est l’expression d’un vaste mouvement social qui s’est développé dans les années 60, c’est-à -dire beaucoup avant la publication des premières oeuvres des théologiens libérationnistes.
Michael Löwy a réalisé une étude sur les "affinités électives" entre le christianisme de la libération et le marxisme pour élucider la convergence politique et sociale de ces discours. A ce propos, il montre que le « christianisme de la libération » exprimé dans les Communautés Ecclésiales de Base, les mouvements de la Jeunesse Universitaire Catholique ou des Jeunes Ouvriers Catholiques au Brésil -pour mentionner quelques exemples- partageait le même ethos critique à la modernité comme le processus de domination et d’exploitation. Pour cela la transformation de la société est une demande généralisée aussi bien par les militants catholiques que par les partisans du marxisme libértaire.
Löwy note certaines coïncidences dans la critique des théologiens libérationnistes et des penseurs marxistes. Pour un part il démontre la critique du capitalisme et de ses expressions culturales -consommation, idolâtrie du marché, fétichisme de la marchandise, etc.- et, pour autre part, le pari -dans le sens pascalien- au monde démocratiquement concret, une société sans classes. C’est pour ça qu’au niveau théorique, les théologiens de la libération ont précisé l’utilisation des outils analytiques d’origine marxiste, puisque seulement ceux-là permettaient montrer le noyau pervers du capital et de sa logique prédatrice. Incontestablement la sociologie positiviste ou la « haute théorie fonctionnelle », comme les expressions idéologiques du capitalisme, ne permettront pas l’explication de cette logique prédatrice. Par ailleurs, le marxisme en tant que la théorie critique permet expliquer sociologiquement les causes de la pauvreté, l’origine de la marginalisation et la genèse de l’exploitation. C’est évident que certains membres de l’Eglise ont radicalisé leur position, en arrivant même à la militance non pas seulement politique, mais insurgée. La figure du prêtre et sociologue Camilo Torres est la référence obligatoire dans l’histoire de l’Eglise qui a pris des pauvres comme son option préférentielle et qui a du faire appel à la violence comme une terrible nécessité historique.
Si bien la violence est évoquée dans le film comme inévitable recours, il nous semble qu’elle n’est pas montrée dans sa juste dimension, c’est-è-dire, qu’elle n’est pas contemplée comme la conséquence d’une violence que la constitue - la violence structurelle du système économique. A ce propos il est important de pondérer les travaux de Frantz Faon et de Cyril Lionel Robert James qui rendent compte de ladite violence comme de la matrice des autres violences quotidiennes.
La constante criminalisation des mouvements sociaux par les administrations de la droite ou des gouvernements prétendus « progressistes » (2) nous alerte sur sa complexité dans l’aiguisement des tensions sociales par les réductions budgétaires de l’état social, la diminution des dépenses publiques, l’augmentation des impôts et la privatisation des ressources, et en même temps mets en évidence son hypocrisie au sujet de la sécurité qui institutionnalise la suppression de l’homo sacer moderne.
En ce sens le documentaire reperce, c’est-à -dire, évoque les phantasmes qui paraissaient déjà exorcisés dans l’imaginaire sociopolitique. Après la chute du Mur de Berlin en 1989 et l’échec du Front Sandiniste en 1990, qui seront les sceptiques à la « fin de l’histoire » ? Dans le monde où american way of life se globalise, qui seront les retardateurs qui se battront pour une société sans classes ? Dans une planète où on accepte soigneusement les règles imposées par la démocratie libérale-bourgeoise, qui seront les sacrilèges qui mettront en question ces normes ?
Peut être aujourd’hui plus que jamais il est nécessaire d’écouter à ces sceptiques, retardateurs et sacrilèges pour que leur message d’espoir et de révolte pourra suivre à éclairer le chemin de libération dans cette longue marche. De la façon que les paysans sans terre au Brésil ou les zapatistes de sud-est mexicain continuent à nous guider dans la lutte quotidienne et leur digne rage reste toujours indomptée.
A Saint-Denis, le 5 février 2010
Luis Martànez Andrade
Sociologue.
Premier Prix International d’Essai "Penser à Contre-courant" lors de sa VIème édition
Traduction : Marianna Musial.
(1) Michael Löwy,
La Guerre des Dieux, Félin, Paris, 1998.
(2) Le sous-commandant Marcos a souligné la fonction de l’appareil répressif imposé dans le District Fédéral pendant le mandat de Andrés Manuel López Obrador, le supposé président légitime, qui a importé des Etats Unis la doctrine de la tolérance zéro, et qui est aujourd’hui appliquée par le gouvernement de Marcelo Ebrard.
Cfr. Sous-commandant Marcos. Saisons de la digne rage, Climats, Paris, 2009.