Alors que les bombardements israéliens ont redoublé d’intensité et que le bilan des victimes, côté palestinien, s’élève à près de 500 morts, suite à la journée la plus meurtrière depuis le début de l’offensive israélienne, le traitement médiatique de la situation en Israël-Palestine relève du scandale. La plupart des médias présentent l’attaque israélienne comme un conflit entre deux puissances égales et coresponsables tout en occultant la réalité de l’occupation du territoire palestinien par Israël et son régime d’apartheid. Mais cette lecture idéologique qui sape la solidarité avec le peuple palestinien ne s’arrête pas là.
Nous, militant-e-s du Parti de Gauche, avons décidé de nous rendre à la manifestation du 19 juillet à Paris non autorisée par le gouvernement Valls. Comme de très nombreux citoyen-e-s, nous avons voulu exprimer notre soutien au peuple palestinien et protester contre cette interdiction scandaleuse. Est-il nécessaire de rappeler que la France a été le seul pays à interdire une telle manifestation de solidarité internationale ?
Un traitement médiatique partial et mensonger
Dès l’après-midi, les médias ont repris les poncifs de la communication gouvernementale : « explosion de violences » pour Le Figaro, manifestation qui « dégénère » pour Le Monde et Libération. Les images retenues sont bien entendu celles de casseurs, on évoque des pavés jetés, des violences, le drapeau israélien brûlé, des slogans antisémites, etc. La palme de l’article-poubelle revient certainement à Rue89 : hésitant entre le micro-trottoir ridicule qui mêle des extraits sans contexte et laissant affleurer des généralités fallacieuses et un parti pris grossier, il présente les policiers comme des hommes courtois (certainement entre deux tirs de flash-ball tendus et coups de barres de fer de policiers en civil). Pour de tels journalistes les manifestants seraient au mieux des imbéciles, au pire des personnes violentes et vulgaires, et bien entendu toutes plus ou moins antisémites. Les journalistes de Mediapart semblent, eux, avoir fait un réel travail d’investigation et de croisement des sources.
Tout ceci fournit autant d’arguments à Valls pour justifier son interdiction a posteriori : les violences montreraient bien qu’il a eu raison d’interdire cette manifestation. Comme l’indique le communiqué des organisateurs, « c’est la décision politique, pour ne pas dire idéologique, du gouvernement usant d’une violence disproportionnée qui a créé les conditions des troubles à l’ordre public, dont le gouvernement porte donc la totale responsabilité́ ».
Nous dénonçons le traitement partial et mensonger de ce qui s’est passé à Barbès. Nous protestons également contre cette inimaginable cécité médiatique : non, il n’est pas vrai que, comme il est écrit dans l’article de Libération, une fois les affrontements commencés à Barbès, « c’en était fini de toute manifestation ». Aucun média ne semble mentionner les rassemblements pacifistes à gare du Nord des manifestants qui n’ont pas pu se rendre à Barbès. Et encore moins cette incroyable réussite populaire d’un cortège ayant défilé avec calme et détermination pendant des heures dans les rues de Paris passant par la gare du Nord, la gare de l’Est pour arriver jusqu’au niveau des Halles (Châtelet), plusieurs milliers de manifestants ont scandé leur solidarité avec le peuple palestinien, une liberté que le gouvernement français voulait censurer. La police, débordée par les événements et ne prévoyant pas cette marche spontanée d’un peuple reprenant ses rues, était obligée de suivre le cortège en constatant une dispersion dans le calme en fin de défilé à Châtelet. La manifestation décrite par les journalistes n’a pas existé. Nous y étions et pouvons en témoigner.
Ce sont les forces de l’ordre qui ont ouvert les hostilités
La désinformation ambiante va même jusqu’à travestir ce qui s’est passé à Barbès, lieu initial du rassemblement. Dès 14 heures, l’ambiance était plutôt calme et les drapeaux français étaient brandis à côté des drapeaux palestiniens. Des personnes de tous horizons étaient réunies, aussi bien des adultes, que des jeunes, des enfants, des personnes âgées – et on pouvait noter une présence féminine particulièrement forte. Puisque certains journalistes ne semblaient pas être dans le même cortège, précisons que nous n’avons pas entendu une seule injure antisémite mais que nous avons pu voir des panneaux « Antisémites non, Humanistes oui ». Les slogans politiques les plus repris : « Israël assassin, Hollande complice », « Nous sommes tous des Palestiniens », « Enfants de Gaza, enfants de Palestine, c’est l’humanité qu’on assassine ». Face à des citoyens révoltés de se voir confisquer leur liberté d’expression, ce sont les forces de l’ordre qui ont fait le choix d’ouvrir les hostilités : charges, utilisation massive et répétée de gaz lacrymogènes, matraques, etc.
Alors que les forces de l’ordre sont censées disperser les manifestants et permettre leur évacuation, nous avons été bloqués avec l’ensemble des manifestants sur le boulevard ou dans les rues adjacentes. Asphyxiés par les gaz, les manifestants cherchaient à fuir le boulevard mais étaient repoussés par les CRS postés en amont. Cette stratégie répressive faisait des rues adjacentes de véritables souricières. Certains d’entre nous ont même dû se cacher dans les halls d’immeubles, portes cochères, pour éviter les violences policières et essayer de trouver une atmosphère respirable. Des foules ont ainsi été vigoureusement refoulées dans le métro, rappelant de sombres heures de l’histoire de France. Notons également que plusieurs manifestants ont tenté de répondre aux tirs par des sit-ins, pour bien souligner leurs intentions pacifiques. Cependant, on ne voit aucune photo des manifestants à terre devant la police… Cette police cherchait-elle à empêcher la manifestation et à la disperser, ou plutôt à provoquer affrontements et violences pour pouvoir ainsi justifier son autoritarisme et donner du grain à moudre aux manipulations politiques ? La réaction de Manuel Valls (qui pendant ce temps-là se promenait le long du tour de France pour satisfaire son plan de communication) est claire : l’ordre, la répression et la privation de liberté de manifester.
Une belle manifestation populaire
Au-delà de cette violence policière initiale, il faut souligner, dire et répéter ce que les médias ont choisi de taire : les manifestants, bien qu’ayant été dispersés, gazés, voire frappés, se sont regroupés spontanément et la manifestation a eu lieu, plusieurs heures durant, sur un vaste espace, dans les rues de Paris. Ces dernières n’avaient pas été bloquées, pas plus que le cortège, par une préfecture de police débordée, et pourtant aucune violence, aucun heurt, aucun incident. Mais les médias n’en parlent pas, à l’exception notable du Nouvel Observateur : « Manif pro-Gaza : partie de cache-cache dans les rues de Paris », article qui s’étend sur les trois cortèges de manifestation spontanée, et qui souligne leur réussite et leur pacifisme. Citons la fin de l’article : « A Barbès, le principal rassemblement de la journée, la manif spontanée a pris fin de façon beaucoup plus musclée. (…) Mais, ailleurs, toute la journée, de la gare du Nord aux Halles en passant par la place de Clichy, des cortèges plus ou moins spontanés, déterminés sans être violents, auront tourné la tête aux vieux routards du maintien de l’ordre de la préfecture de police, plus rompus à la surveillance de cortège organisés qu’à la partie de cache-cache inhérente aux manifestations soi-disant “interdites”. »
Pourquoi, à part au Nouvel Observateur, les journalistes ne parlent-ils pas de ces manifestations ? Pourquoi les journalistes ont-ils choisi de rester place Barbès et de photographier ou de filmer quelques jeunes lançant des pavés plutôt que de mettre par écrit et en images ce fait : une fois libérés de l’assaut policier, nous avons marché dans Paris dans la plus grande tranquillité. Ne serait-ce pas parce qu’il serait ennuyeux pour le gouvernement de constater que, sans pression policière, les manifestants pro-palestiniens de Paris sont tout à fait capables de manifester dans le calme, comme cela a été fait à Londres et à Marseille par exemple ? Ne serait-ce pas parce que Valls serait alors forcé d’avouer que cette interdiction n’avait pas lieu d’être et qu’elle n’était qu’un coup de force scandaleux et liberticide ? Pourquoi ne voyons-nous aucune photo de ces milliers de manifestants pacifistes, qui s’excusent auprès des automobilistes coincés et qui expliquent leur démarche aux touristes attablés aux terrasses des cafés ? De même, l’épisode qui vit les manifestants reformer le cortège en haut de la butte Montmartre, reprendre les drapeaux avec détermination, et entamer une descente pour le moins audacieuse, a été passé sous silence. Tous les mensonges médiatiques ne pourront pas faire oublier le véritable enseignement de cette manifestation : le peuple est capable de braver les interdictions et les violences policières pour se réapproprier les rues de sa ville et défendre l’intérêt général. Gageons que ce qui s’est passé hier n’est qu’un début, et que les manœuvres du gouvernement n’auront pas raison de l’immense enthousiasme populaire qui soutient la lutte des Palestiniens contre la colonisation.
Nous demandons à ce que les médias ne se comportent pas comme des chiens de garde à la botte d’un pouvoir à la déroute. Et qu’une rigueur journalistique effective leur permette de revenir sur ce traitement biaisé de la réalité et de réellement faire état de ce que nous et l’ensemble des manifestants avons vécu. Après nous être vus privés de la liberté fondamentale de manifester, nous citoyen-ne-s, nous voyons bafouer le droit à une information indépendante. Nous refusons l’odieux chantage à l’antisémitisme du gouvernement pour faire taire notre voix et celle du peuple palestinien Il faut faire savoir ce qu’il s’est vraiment passé à Barbès : la manifestation libre, populaire et pacifiste et solidaire a bien eu lieu, et nous y étions !
Les auteurs sont militants du Parti de Gauche :
Danièle Atala
Daoud Baccouche
Boris Bilia
Fethi Chouder
Julie Dusseaux
Guillaume Etiévant
Bruno Fialho
Annick Flageollet
Hugo Hanry
Nourredine Kaddouri
Ramzi Kebaili
Bylal Khellouf
Djordje Kuzmanovic
Mathilde Larrère
Nathalie Levallois
Hugo Lycurgue
Maximilien Perret
Christian Rodriguez
Aissa Terchi
Jean-Sébastien Thirard
Laélia Véron